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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 1Les Murmures de l’Obsidienne


Élise

Le sang noir coulait de ma cicatrice comme une larme d’ombre, réveillant la fresque qui semblait me juger depuis des siècles. Chaque goutte frappait le sol glacé des Ruines de l’Alliance Sanglante avec un écho sourd, un rythme hypnotique qui faisait vibrer l’air saturé de fer et d’angoisse. La brume rougeâtre s’accrochait à ma peau, visqueuse, comme une entité vivante cherchant à s’infiltrer dans mes pores, à m’étouffer de l’intérieur. Agenouillée sur la pierre inégale, je sentais le froid mordre mes os, mais ce n’était rien comparé au poids de la solitude qui m’écrasait le cœur. Autour de moi, les murs d’obsidienne s’élevaient comme des juges muets, leurs fissures suintantes de rivières de sang pétrifié scintillant sous une lumière spectrale venue de nulle part.

Mes doigts tremblants effleuraient le manuscrit déchiré de Marianne, ma mère, que je serrais contre ma poitrine comme un bouclier dérisoire. Les pages jaunies, imprégnées de cendres et de mes propres larmes, semblaient brûler sous ma peau, lourdes de secrets que je n’étais pas sûre de vouloir affronter. Mes cheveux châtains, brûlés aux pointes et maculés de suie, collaient à mon visage, collés par la sueur et une peur viscérale qui ne me quittait plus. Mes yeux verts, hantés par une douleur qui ne s’éteignait jamais, capturaient des reflets rougeoyants dans l’obscurité – un signe de la Fracture Vorace qui rongeait mon âme un peu plus à chaque instant. Je clignai des yeux, essayant de chasser cette lueur maudite, mais elle persistait, comme un rappel que je n’étais plus tout à fait moi.

Devant moi, la fresque s’animait sous l’effet de mon sang. Les gravures dans l’obsidienne prenaient vie, des ombres mouvantes se dessinant avec une précision terrifiante. Une louve, fière et sauvage, se tenait aux côtés d’un alpha, leur posture empreinte d’une souffrance partagée. Ils versaient leur sang dans un calice, un flot écarlate et noir se mêlant en une spirale hypnotique, tandis qu’une ombre titanesque – une entité d’abîme et de désespoir – était aspirée dans un gouffre sous leurs pieds. Mon souffle se coupa, une lame de glace traversant ma poitrine, lorsque je reconnus mon propre visage dans celui de la louve, et celui de Mathis dans l’alpha. Ce n’était pas une simple image. C’était une prophétie, ou pire, un miroir de ce qui nous attendait.

"Partage ou péris." La voix glaçante résonna dans la chambre, un murmure spectral qui semblait surgir des entrailles mêmes des ruines. Elle lacéra mon esprit, chaque mot s’enfonçant comme une griffe. Mon cœur s’emballa, battant si fort que je craignis qu’il éclate dans ma cage thoracique. Qu’est-ce que cela signifiait ? Devais-je tout donner, tout sacrifier – ou pire, sacrifier quelqu’un – pour survivre ? Était-ce un piège, une manipulation de la Fracture Vorace pour me pousser à l’abandon total ? Mes lèvres s’entrouvrirent, mais aucun son n’en sortit. Seuls des murmures intérieurs, fragmentés et paniqués, résonnaient dans ma tête. *Et si c’est Mathis ? Et si c’est moi ? Et si nous devons perdre tout ce que nous sommes ?* Je serrai le manuscrit plus fort, mes ongles s’enfonçant dans le papier jusqu’à ce que mes jointures blanchissent. C’était la seule chose qui me raccrochait à une semblance de réalité, même si chaque page semblait m’entraîner plus loin dans l’abîme.

Un tremblement soudain secoua le sol sous moi, un grondement profond qui fit vibrer les chaînes brisées pendant des plafonds fissurés. Des éclats d’obsidienne tombèrent autour de moi, s’écrasant avec un fracas qui me fit sursauter. Mon regard se porta instinctivement vers une fissure élargie dans le mur, une crevasse noire d’où s’échappait un filet de brume rougeâtre encore plus dense. À travers cette ouverture, je le vis. Mathis. Mon cœur se serra, un mélange de soulagement et de désespoir m’envahissant comme une vague. Il était là, à peine conscient, son corps musclé mais émacié appuyé contre Ronan. Ses cheveux noirs, striés de gris, tombaient en mèches désordonnées sur son visage marqué, et ses yeux gris-bleu, voilés de douleur, cherchaient quelque chose – ou quelqu’un. Moi. Mais ce qui me frappa encore plus, ce fut Ronan. Ses yeux vacillaient, passant d’un jaune lupin à un rouge malveillant, un signe indéniable de la Fracture Vorace qui le consumait autant qu’elle me poursuivait. Était-il encore un allié, ou déjà perdu ?

Je voulus crier son nom, me lever, courir vers lui, mais mes jambes refusèrent de m’obéir. Elles tremblaient sous moi, affaiblies par l’épuisement et le poids oppressant de la brume qui semblait s’enrouler autour de mes membres comme des chaînes invisibles. Chaque inspiration était une lutte, l’air saturé d’un goût métallique qui brûlait ma gorge. La culpabilité me submergea, plus lourde encore que la fatigue qui m’écrasait. Comment pouvais-je le protéger, lui, quand je n’arrivais même pas à me tenir debout ? Comment pouvais-je le sauver de tout ça, de moi, de la corruption qui coulait dans mes veines et menaçait de tout détruire ?

Les hurlements spectraux montèrent des profondeurs, un chœur d’agonie qui semblait déchirer l’air lui-même. Ils s’entremêlaient à la brume, formant des visages difformes qui apparaissaient et disparaissaient autour de moi, leurs bouches ouvertes sur des cris silencieux. Chaque son, chaque vision, était comme un coup de poignard dans mon esprit déjà à vif. Je pressai mes mains contre mes tempes, essayant de bloquer les murmures incessants de la Fracture Vorace qui s’insinuaient en moi, me poussant à céder, à abandonner. *Tu es faible. Tu es brisée. Laisse-moi prendre le contrôle. Laisse-moi tout sauver.* Mais je ne pouvais pas. Pas encore. Pas tant que Mathis était là, quelque part, à portée de vue mais hors d’atteinte.

Mon regard revint à la fresque, à ces figures qui portaient nos visages. Le "sang partagé". Était-ce cela, la clé cachée dans le sang dont parlait le manuscrit de Marianne ? Était-ce un rituel, un sacrifice, une malédiction que nous devions porter ensemble ? La terreur me paralysait, mais une part de moi, enfouie sous des couches de peur et de douleur, brûlait d’une détermination presque masochiste. Je devais savoir. Même si chaque réponse semblait me rapprocher de la damnation, même si chaque pas me menait plus près d’un précipice dont je ne reviendrais pas, je devais comprendre.

Un nouveau tremblement secoua les ruines, plus violent cette fois, et un cri étranglé m’échappa alors que je m’efforçais de rester stable. La brume s’intensifia, s’enroulant autour de moi comme un serpent, sa chaleur suffocante contrastant avec le froid de la pierre sous mes genoux. Elle semblait vivante, affamée, prête à m’engloutir tout entière. Mais je ne pouvais pas m’arrêter. Pas maintenant. Pas alors que Mathis était là, à quelques mètres, brisé mais vivant. Je devais le rejoindre. Je devais le protéger, même si cela signifiait plonger plus profondément dans cet enfer.

Avec un effort qui fit hurler chaque muscle de mon corps, je me forçai à me lever, mes jambes vacillant sous mon poids. Mes doigts s’accrochèrent au manuscrit comme à une bouée, ma cicatrice palpitant à chaque mouvement, libérant un nouveau filet de sang noir qui s’écrasa sur le sol. Alors que je faisais un pas hésitant vers la fissure, un dernier murmure spectral résonna dans la chambre, plus distinct, plus glacial que tous les autres. "Le sang appelle le sang."

Je me figeai, mon souffle se bloquant dans ma gorge. Mon regard tomba sur le manuscrit, une nouvelle peur s’insinuant dans mon cœur, plus insidieuse, plus profonde. Et si j’étais déjà liée à un destin que je ne pouvais fuir ? Et si chaque goutte de mon sang, chaque pas que je faisais, ne faisait que sceller un pacte que je ne comprenais pas encore ?