Chapitre 3 — Rencontre sous tension
Marie
Le Grand Hall du Louvre respirait une majesté moderne, baigné par la lumière diffuse filtrée à travers la pyramide de verre. Les visiteurs allaient et venaient, leurs murmures et pas résonnant doucement sur le marbre poli. Marie Dupont, un pli soucieux sur le front, se tenait à l’écart de la foule. Depuis sa découverte de l’inscription cryptique sur le tableau de Villiers, sa curiosité et son besoin d’élucidation s’étaient transformés en une obsession discrète. Elle avait passé la nuit précédente à essayer de relier les indices, mais sans succès. Aujourd’hui, elle espérait que ce colloque sur "Les secrets de la Renaissance" pourrait l’aider à avancer, malgré son scepticisme croissant envers la plupart des intervenants annoncés.
L’une des conférences inscrites au programme avait néanmoins retenu son attention : une intervention de Cédric Lacroix, un chercheur indépendant dont les théories sensationnalistes faisaient souvent la une des cercles académiques — et pas toujours pour les bonnes raisons. Ses hypothèses sur les codes cachés dans les œuvres d’art l’agaçaient, mais elles lui semblaient étrangement en résonance avec ses propres découvertes. Une partie d’elle espérait que cet homme excentrique pourrait détenir des informations utiles, tandis qu’une autre le redoutait comme une distraction inutile.
Une voix amplifiée par le micro attira son attention. Sur la petite scène improvisée au centre du hall, un homme grand aux cheveux noirs désordonnés et aux lunettes rondes ajustait nerveusement une veste en velours vert bouteille. L’écharpe orange autour de son cou contrastait violemment avec son costume, renforçant son allure décalée. C’était Cédric Lacroix.
« Mesdames et messieurs, » commença-t-il avec une exubérance théâtrale, son accent légèrement chantant captant immédiatement l’attention, « combien de secrets pensez-vous qu’une œuvre d’art peut contenir ? Un, deux, peut-être trois ? Et si je vous disais que ce nombre pourrait être… infini ? »
Il laissa planer un silence dramatique, marquant son effet d’un sourire malicieux. Des éclats de rires étouffés parcoururent le public.
Marie roula des yeux et croisa les bras. Elle notait cependant une montée palpable d’intérêt autour d’elle. Lacroix savait captiver son auditoire.
« Antoine de Villiers, par exemple, » poursuivit-il, « n’était pas seulement un peintre talentueux. Non, mesdames et messieurs, c’était un homme aux multiples strates, un architecte de secrets, un maître des ombres. Son art… » Il marqua une pause, ses mots flottant dans l’air. « …est un langage. Un langage codé, conçu pour être décrypté. »
Les propos de Lacroix résonnèrent en elle plus qu’elle ne l’aurait voulu. L’inscription sur le tableau, les ombres intentionnelles qu’elle avait relevées, les motifs qu’elle soupçonnait d’être plus qu’esthétiques… Elle serra les poings, agacée par son propre trouble.
La conférence dura encore quelques minutes, oscillant entre anecdotes fascinantes et affirmations audacieuses. Une fois les applaudissements retombés et les questions du public épuisées, Marie décida qu’elle ne pouvait plus attendre. Si Lacroix avait une quelconque piste, elle devait le confronter, ou du moins, l’évaluer.
Elle le repéra près d’une table, entouré de spectateurs captivés. Il gesticulait, une flamme d’enthousiasme dans le regard, tout en répondant à leurs questions avec une verve qui semblait inépuisable.
« Monsieur Lacroix, » lança-t-elle d’un ton sec qui fit tourner les têtes.
L’homme se figea un instant, avant de relever la tête vers elle, intrigué. Puis un sourire narquois étira ses lèvres. « Mlle Dupont, si je ne m’abuse ? Restauratrice d’art au Louvre, n’est-ce pas ? À quoi dois-je l’honneur ? »
« À votre intervention, » répondit-elle, son ton glacial contrastant avec son regard perçant. « Vous avez mentionné un langage dans les œuvres de Villiers. Parlez-vous d’un code spécifique ou simplement de vos… interprétations personnelles ? »
Un éclat de malice passa dans ses yeux. « Ah, la pragmatique Marie Dupont. Vous avez certainement une solide réputation pour votre travail méticuleux. Mais dites-moi, vous posez cette question par intérêt académique… ou par curiosité personnelle ? »
Marie ignora la provocation. « Je cherche des réponses. Si vous avez des faits, je veux les entendre. »
Cédric éclata de rire, attirant une fois de plus l’attention des curieux. « Très bien, je vais être direct : oui, je crois que Villiers utilisait un système codé dans ses œuvres. Pas juste des détails symboliques, mais un langage complexe. Et je suis convaincu que ce langage est lié à une… organisation particulière de son époque. »
Marie plissa les yeux. « Une société secrète, je suppose ? »
« Exactement, » répondit-il sans hésiter, croisant les bras. « Et avant que vous ne rouliez des yeux, sachez que j’ai des indices. Mais la vraie question est : pourquoi cela vous intéresse-t-il autant ? »
Marie hésita. Elle n’avait aucune intention de révéler l’inscription découverte sur le tableau. « Mon intérêt est purement professionnel, » finit-elle par dire.
Cédric la scruta, son regard curieux trahissant son envie de percer ses défenses. « Hm. Très bien. Mais sachez ceci, Mlle Dupont : si vous êtes ici, c’est que vous cherchez quelque chose. Et parfois, chercher signifie prendre des risques. Êtes-vous prête à en prendre ? »
Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais une silhouette imposante les interrompit. Gabriel Vernet s’avança lentement, vêtu d’un costume sombre impeccablement ajusté. Son arrivée fit taire les murmures alentour.
« Monsieur Lacroix, Mlle Dupont, quelle coïncidence de vous voir ensemble, » dit-il, sa voix basse mais chargée d’autorité. « J’espère que cette discussion est productive. »
« Toujours, monsieur Vernet, » répondit Cédric avec un sourire narquois.
Le regard perçant de Vernet se posa sur Marie. « N’oubliez pas, Mlle Dupont, que certaines vérités peuvent être plus dangereuses qu’elles n’en valent la peine. Prenez garde à ne pas vous égarer. »
Sans attendre de réponse, il tourna les talons et s’éloigna, laissant derrière lui une atmosphère lourde.
Cédric, malgré son apparente insouciance, sembla momentanément déstabilisé. Marie, quant à elle, ressentit une détermination nouvelle. Les mots énigmatiques de Vernet n’avaient fait qu’attiser sa curiosité.
Elle se tourna de nouveau vers Lacroix, le regard dur. « Très bien. Prouvez-moi que vos théories tiennent la route. Montrez-moi des preuves. »
Cédric sourit, mais cette fois, son amusement semblait teinté d’un sérieux inattendu. « Avec plaisir. Mais préparez-vous, Mlle Dupont. La vérité a un coût. »
Contre toute attente, l’idée d’une collaboration avec cet homme à l’attitude désinvolte éveillait en elle une étrange excitation. Peut-être, à travers ce mélange improbable de rigueur et d’intuition, les secrets d’Antoine de Villiers pourraient enfin être révélés.