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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Chasseurs dans la Brume


Élise

Naviguer dans la ravine des Terres Creuses, c’est comme plonger dans les entrailles d’un cauchemar vivant. La brume rouge-noire s’accroche à ma peau, gluante, presque vivante, ses doigts spectraux s’infiltrant dans mes pores, brûlant mes poumons à chaque inspiration hachée. Le sol sous mes pieds n’est qu’un piège, un mélange de boue et de cendres qui s’effrite, prêt à m’engloutir. Des arbres tordus, leurs écorces suintant une sève noire et corrosive, semblent tendre des griffes vers nous, comme s’ils murmuraient des malédictions dans le vent glacial. Et ces murmures… ils ne cessent jamais. Des voix spectrales résonnent dans l’air, des sifflements qui rampent dans mon esprit, amplifiant la peur qui me ronge. Je serre les dents, ma main tremblante crispée autour du bras de Mathis. Il vacille à chaque pas, son souffle rauque et laborieux, son flanc pulsant d’une manière qui me glace le sang. Quelque chose vit sous sa peau, j’en suis sûre. Et mon poignet… la cicatrice suinte encore, un sang noir et visqueux traçant des motifs mouvants sur ma peau, comme un avertissement que je ne peux déchiffrer.

Chaque regard que je pose sur Mathis est une lame dans mon cœur. Ses cheveux, presque entièrement gris maintenant, collent à son front trempé de sueur. Ses yeux gris-bleu, voilés par l’épuisement, brillent d’une lueur rouge fugace qui me terrifie. La culpabilité me dévore. C’est ma faute. Ce rituel au Puits des Lamentations, ce sang partagé… je l’ai entraîné dans cet enfer. Je sens sa douleur à travers notre lien, un écho qui vibre dans mes os, me rappelant que je pourrais le perdre à tout instant. Et si je le transformais en quelque chose de pire que moi ? Mes yeux, hantés, rougeoyants, trahissent la Fracture Vorace qui s’enracine plus profondément à chaque seconde. Ses murmures corrosifs s’insinuent dans mon esprit, promettant un pouvoir illimité si je cède, si je m’abandonne. Je secoue la tête, chassant ces pensées, mais elles reviennent, plus fortes, plus affamées.

— Reste près de moi, murmure Mathis, sa voix grave brisée par la douleur, chaque mot semblant lui coûter une vie.

— Je ne te lâcherai pas, je réponds, ma propre voix rauque, arrachée de ma gorge comme du verre brisé. Mais je tremble, et il le sent. Il le sent toujours.

Un craquement sec déchire le silence oppressant de la ravine. Mon cœur s’arrête. Avant que je puisse réagir, des ombres émergent de la brume, des silhouettes bardées de fer et de haine. L’Ordre du Fer. Gregor est là, au centre, sa relique d’obsidienne pulsant dans sa main comme un cœur noir. Ses yeux, fous, oscillent entre un fanatisme glacial et… quelque chose d’autre. Un doute ? Sa peau est marquée, des veines sombres rampant sur son avant-bras, comme si la relique le dévorait de l’intérieur.

— Ton sang, Élise, gronde-t-il, sa voix tremblante d’une intensité maladive. Il est la clé. Pour purifier Viktor. Donne-le, ou je le prendrai.

Un frisson d’horreur me traverse, mais la rage l’emporte. — Jamais, je crache, ma voix vibrant de défi malgré la peur qui me tord les tripes. Va pourrir en enfer.

Gregor hésite, un instant furtif. Ses lèvres bougent, un murmure à peine audible. — Et si je me trompe ? Mais il se ressaisit, son regard durcissant, et fait un signe à ses hommes. Ils fondent sur nous, lames et chaînes prêtes à mordre.

Mathis pousse un grognement primal, se plaçant devant moi malgré son état. Sa fureur est sauvage, brute, mais ses mouvements sont lents, entravés par la douleur. Il frappe un soldat, son poing s’écrasant contre une mâchoire avec une force désespérée, mais un spasme le traverse, et il s’effondre à un genou, une main pressée contre son flanc. La pulsation sous sa peau s’intensifie, visible même à travers ses lambeaux de vêtements, comme si quelque chose cherchait à s’échapper. Mon cri de panique est étouffé par la brume, mais je me précipite vers lui, ignorant les lames qui sifflent autour de nous.

Je n’ai pas le temps de réfléchir. Mon instinct prend le dessus. Je tends une main tremblante, invoquant la magie des Abîmes Miroitants, cette force chaotique qui coule dans mes veines. Une brume argentée-noire jaillit de mes doigts, un voile de ténèbres qui repousse les assaillants, les faisant reculer avec des hurlements de douleur. Mais le prix est immédiat. Une douleur insoutenable déchire mon poignet, le sang noir coulant plus vite, plus épais, traçant des arabesques sur ma peau. Je tombe à genoux, convulsant, un goût de cendres et de fer dans la bouche. La Fracture Vorace rit dans mon esprit, un sifflement venimeux. *Cède, Élise. Laisse-moi te rendre forte. Sauve-le.*

— Non ! je hurle, plus à moi-même qu’à quiconque, serrant les poings jusqu’à ce que mes ongles percent ma chair. Je ne serai pas ton arme.

Mathis, haletant, attrape ma main, sa poigne ferme malgré sa faiblesse. — On doit fuir. Maintenant.

Nous nous relevons, titubants, nos corps brisés se soutenant mutuellement. La brume est notre seule alliée, masquant notre fuite alors que les cris de Gregor résonnent derrière nous. — Je vous traquerai jusqu’au bout ! hurle-t-il, sa voix déformée par la rage et quelque chose de plus profond, de plus brisé.

Mais nous n’avons pas le temps de nous retourner. Un grondement guttural déchire l’air, un son qui n’a rien d’humain. La brume devant nous s’épaissit, puis se fissure comme du verre. Un Écho Miroitant s’ouvre, un portail d’ombre pure, et une forme s’en extirpe – une entité d’encre et de vide, ses griffes invisibles tendues vers nous. Mon cœur se fige, la terreur pure me paralysant un instant. Mathis grogne, me poussant derrière lui, mais il vacille, incapable de se battre dans son état.

— Cours ! crie-t-il, mais je refuse de le laisser affronter ça seul.

Je puise dans ce qui me reste de force, la brume argentée-noire jaillissant à nouveau, plus faible cette fois, mais assez pour repousser l’ombre un instant. La douleur est aveuglante, mon sang noir éclaboussant le sol, et je sens la Fracture Vorace griffer mon âme, plus proche que jamais. L’Écho se referme dans un hurlement strident, l’ombre disparaissant, mais je sais que ce n’est qu’un répit. Nous nous traînons hors de la ravine, chaque pas une torture, jusqu’à atteindre une clairière isolée. Un arbre tordu, suintant de sève corrosive, nous offre un abri précaire. Nous nous effondrons, nos corps brisés incapables d’aller plus loin.

Mes mains tremblent alors que je déchire un lambeau de tissu de mes vêtements en haillons pour panser le flanc de Mathis. Il grimace, mais ses yeux cherchent les miens, un mélange de douleur et de tendresse qui me brise. — Tu n’as pas à faire ça seule, murmure-t-il.

— Si, je le dois, je souffle, mes larmes brûlant mes joues. Si je te perds…

Je ne termine pas. Je ne peux pas. À la place, je presse le tissu contre sa blessure, ignorant la pulsation sous sa peau qui semble répondre à mon propre sang noir. Nous sommes des ruines, tous les deux, des fragments d’humanité accrochés à un fil. Mais alors que je relève les yeux, un grondement distant résonne, vibrant dans le sol. À l’horizon, un scintillement attire mon regard – un Écho Miroitant, non scellé, libérant une ombre fugace qui disparaît avant que je puisse réagir. Mon souffle se bloque dans ma gorge.

Gregor est toujours là, quelque part, prêt à nous traquer. Et l’Abîme… il ne nous laissera jamais de répit. Je serre la main de Mathis, nos doigts entrelacés, trempés de sang et de cendres. Peu importe ce qui nous attend, je ne le lâcherai pas. Mais au fond de moi, une terreur glaciale s’installe. Chaque instant nous rapproche d’une damnation que je ne suis plus sûre de pouvoir repousser.