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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Messages Cachés


Louise Vernier

Le Café des Ombres était exactement comme Louise s’en souvenait : un lieu discret, presque invisible dans les recoins sombres du quartier. La façade vieillotte, aux fenêtres embuées et à l’enseigne à moitié effacée, semblait délibérément conçue pour repousser les curieux. À l’intérieur, une odeur de café fort, mêlée à celle du tabac froid, imprégnait les murs sombres, couverts de photos en noir et blanc. Le murmure feutré des conversations flottait dans l’air, étouffé par la lumière tamisée des vieilles lampes suspendues. Elles projetaient sur les murs des ombres vacillantes, donnant au lieu une ambiance à la fois oppressante et intime.

Gabriel l’attendait déjà, assis à une petite table reculée. Sa chemise à carreaux froissée et ses lunettes légèrement de travers trahissaient sa nervosité. Il jouait distraitement avec une cuillère dans sa soucoupe, tandis qu’une tasse de café à moitié vide et une enveloppe brune posée sur la table attestaient de son impatience. Il leva les yeux en la voyant approcher, son visage s’éclairant brièvement d’un soulagement teinté d’anxiété.

Louise s’assit face à lui, posant son sac sur la chaise voisine. Elle scruta son visage attentivement, cherchant à évaluer son état.

« Gabriel, depuis quand tu bois du café ? » lança-t-elle avec une pointe d’ironie, cherchant à alléger l’atmosphère.

Un sourire nerveux effleura ses lèvres alors qu’il évitait son regard. « Depuis que je ne dors presque plus. » Sa voix baissa d’un ton, et il jeta un coup d’œil furtif autour de lui, comme pour s’assurer qu’ils n’étaient pas observés. « Merci d’être venue, Louise. Il fallait que tu voies ça. »

Il poussa l’enveloppe vers elle. Louise l’ouvrit avec précaution, ses doigts glissant sur le papier rugueux. À l’intérieur, elle découvrit plusieurs lettres jaunies par le temps, écrites d’une main qu’elle reconnaissait immédiatement. Son cœur se serra. C’était l’écriture de leur père. Elle lut rapidement les premières lignes, décelant des allusions codées et des mentions répétées de « l’honneur des Corso ». À plusieurs reprises, une même phrase revenait, lourde de sens : *« Rien ne sera oublié. »*

Une vague d’émotion l’envahit, mêlant colère, tristesse et appréhension. Elle posa une main sur les lettres, comme pour se réapproprier un fragment de leur passé, avant de relever les yeux vers Gabriel. « Où as-tu trouvé ça ? »

Il déglutit difficilement et croisa les bras, visiblement mal à l’aise. « Chez un antiquaire, dans une petite boîte en bois. Il m’a dit qu’elle appartenait à papa. Je… je voulais comprendre ce qu’il s’était passé. »

Louise serra les dents. Ces lettres étaient bien plus qu’une relique familiale. Leur contenu suffisait à relier leur père à des affaires criminelles qu’elle avait cherché à fuir toute sa vie. Mais ce n’était pas la seule chose qui la troublait. *Ce lien avec les Corso… Pourquoi papa ? Pourquoi maintenant ?*

Elle replia soigneusement les papiers et les remit dans l’enveloppe. « Tu as bien fait de me les montrer. Mais, Gabriel, tu dois être extrêmement prudent avec ça. Personne ne doit savoir que tu les as. »

« Trop tard. »

La voix imposante et glaciale de Matteo fit sursauter Louise. Son regard se posa sur la silhouette massive qui se tenait près de leur table. Matteo, le majordome fidèle d’Élio, semblait absorber la lumière autour de lui, son visage impassible accentué par ses yeux perçants. Louise sentit son estomac se nouer, mais elle se força à garder son calme.

« Vous ne devriez pas jouer avec ce qui ne vous appartient pas, mademoiselle Vernier, » dit Matteo, désignant l’enveloppe d’un geste presque désinvolte. Mais derrière son ton courtois se cachait une menace froide et calculée.

Louise se redressa, ses traits se durcissant. « Je ne joue pas, Matteo. Mais votre présence ici est… intéressante. Vous êtes chargé de me suivre maintenant ? »

Matteo esquissa un sourire mince, dépourvu de chaleur. « Disons qu’Élio aime être informé. Je suis là pour m’assurer que vous ne preniez pas de décisions regrettables. »

Gabriel se tassa sur sa chaise, visiblement mal à l’aise, ses mains tremblantes cherchant à ajuster ses lunettes. Louise posa une main ferme sur son bras pour le calmer, sans quitter Matteo des yeux. « Nous ne faisons que parler, et cela ne concerne pas Élio. »

Matteo s’avança d’un pas, réduisant la distance entre eux. « Tout ce qui concerne votre père concerne Élio. Et tout ce qui concerne Élio… me concerne. »

Louise inspira profondément, luttant pour maîtriser la colère qui montait en elle. « Si Élio veut savoir ce que je fais, il peut me le demander directement. Je suis sûre qu’il n’a pas besoin de messagers. »

Matteo la fixa longuement, son sourire disparaissant. Un éclat menaçant passa dans son regard, mais il recula finalement d’un pas. « Très bien. Mais soyez prudente, mademoiselle Vernier. Certains jeux sont plus dangereux qu’ils n’en ont l’air. »

Il se détourna et quitta le café, ses pas lourds résonnant sur le parquet usé. Louise suivit sa silhouette du regard, son corps tendu comme une corde prête à rompre.

Gabriel se pencha immédiatement vers elle, la panique dans les yeux. « Louise, qu’est-ce qu’on fait ? Il sait pour les lettres ! Si Élio les récupère, on n’aura plus rien ! »

Louise réfléchit rapidement. Matteo n’aurait jamais agi sans l’accord d’Élio. Mais la présence même du majordome signifiait qu’ils n’avaient que peu de temps avant que ces lettres ne soient arrachées de leurs mains.

« On les cache, » dit-elle fermement. « Et toi, Gabriel, tu restes loin de tout ça. »

« Mais— »

« Non, Gabriel. Je ne plaisante pas. Si quelque chose t’arrive, je ne me le pardonnerai jamais. »

Il baissa les yeux, vaincu. « D’accord. Mais on a besoin d’aide. Peut-être que Henri Leclerc… »

Louise fronça les sourcils. « Henri Leclerc ? »

Gabriel acquiesça rapidement. « C’était un vieil ami de papa. Un jour, quand j’étais petit, il m’a dit que ‘si jamais on devait savoir la vérité’, il fallait aller le voir. »

Elle hocha la tête, enregistrant l’information. « Bien. On ira le voir. Mais pour l’instant, je vais m’occuper des lettres. »

Ils passèrent le reste de leur échange à planifier prudemment, évitant toute imprudence. Louise quitta le café peu après, l’enveloppe soigneusement rangée dans son sac. Tandis qu’elle remontait les rues pavées du Marais, la sensation d’être suivie ne la quittait pas. Une silhouette indistincte semblait apparaître brièvement dans les reflets des vitrines, avant de disparaître dans l’ombre. Mais elle ne se retourna pas. Elle ne pouvait pas montrer de faiblesse.

Paris était une ville de secrets, et Louise savait que les réponses qu’elle cherchait se trouvaient derrière l’épais rideau de cette noirceur. Elle resserra son manteau autour d’elle, déterminée. Quoi qu’il en coûte, elle déterrerait la vérité.