Chapitre 3 — La Rencontre avec Alex
Alternance entre Louise Blanc et Alex Laval
La lumière tamisée du Club d’Échecs de la Tour d’Ivoire enveloppait la pièce d’une solennité presque sacrée. Les tapis persans et les lourds rideaux bordeaux, combinés à l’odeur subtile de bois ciré, absorbaient chaque son, ne laissant que le cliquetis des horloges d’échecs et le glissement des pièces sur les échiquiers lustrés. Louise Blanc s’immobilisa un instant dans cette atmosphère feutrée. Malgré son assurance habituelle, elle se sentait étrangère dans cet univers codifié, où chaque geste semblait pesé et réfléchi.
Elle ajusta son blazer coloré, un contraste audacieux contre l’austérité ambiante, et repéra Alex Laval assis près d’une baie vitrée. La lumière naturelle accentuait la netteté de ses traits, mais sa posture impeccable trahissait une tension contenue. Louise inspira profondément, son carnet serré dans une main, et avança à pas mesurés. Ses talons, étouffés par les tapis, empêchaient son arrivée d’être remarquée, jusqu’à ce qu’elle s’installe sur une chaise voisine.
Alex, absorbé par l’échiquier devant lui, ne leva pas les yeux. Cependant, sa voix brisa le silence, calme mais empreinte d’un sarcasme subtil :
— Vous êtes encore là ? Je pensais que vous auriez déjà filé pour… apprendre à jouer.
Louise fronça légèrement les sourcils, refoulant l’élan de nervosité qui menaçait de la déstabiliser.
— Vous semblez bien sûr de vous, répondit-elle, un sourire ironique aux lèvres. Je pourrais vous surprendre.
Il releva enfin les yeux, ses iris gris-bleu perçants la détaillant avec une froide précision. Une fraction de seconde, un éclat d’intérêt traversa son regard avant qu’il ne retourne à son jeu solitaire.
— La surprise est une arme à double tranchant. Mais ce n’est pas suffisant pour gagner une partie d’échecs.
Louise croisa les bras, son ton devenant plus tranchant :
— Heureusement pour moi, j’ai trois mois pour prouver le contraire.
Alex esquissa un sourire bref, presque imperceptible, avant de déplacer une tour sur l’échiquier avec une précision mécanique.
— Vous savez pourquoi j’ai accepté ce marché ? demanda-t-il d’un ton absent.
Louise haussa un sourcil.
— Parce que vous aimez vous amuser aux dépens des autres ?
Un rictus marqua la commissure de ses lèvres, mais il ne confirma pas.
— Parce que j’aime voir jusqu’où les gens peuvent aller lorsqu’ils sont poussés.
Il tourna à nouveau son regard vers elle, cette fois plus intense, comme s’il cherchait à percer une façade invisible.
— Les échecs exigent des sacrifices, mademoiselle Blanc. Êtes-vous prête à en faire ?
Un bref silence s’installa. Louise sentit une vague de colère monter en elle. Elle n’aimait pas l’arrogance implicite dans ses mots, ni l’idée qu’il puisse la juger sans la connaître.
— Si vous croyez pouvoir m’intimider avec vos discours philosophiques, vous vous trompez, trancha-t-elle.
Alex inclina légèrement la tête, comme pour marquer un respect distant.
— Très bien. Alors revenez ici dans une semaine. Je vous montrerai les bases.
Louise haussa un sourcil, surprise.
— Vous allez m’enseigner les échecs ?
— Considérez cela comme un investissement dans ma distraction, répondit-il, un éclat ironique dans son regard.
Elle se leva, tendant une main ferme dans sa direction.
— Marché conclu.
Alex hésita une seconde avant de saisir sa main, sa poigne ferme mais détachée. La poignée de main, bien que brève, fut lourde de promesses implicites. Tandis qu’elle quittait le Club, le cœur battant encore à un rythme accéléré, Louise sentait un mélange d’excitation et d’appréhension. Ce défi, elle le savait, ne serait pas seulement un jeu.
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Alex suivit des yeux la silhouette de Louise alors qu’elle s’éloignait d’un pas vif, son blazer audacieux contrastant avec l’austérité du décor. Il croisa les bras, observant un instant l’échiquier, puis la baie vitrée où la lumière déclinante dessinait des motifs complexes sur le parquet ciré.
Elle était… différente. Trop directe, presque intruse. Mais il y avait dans ses yeux une intensité qu’il reconnaissait, bien qu’il aurait préféré l’ignorer.
Il fit rouler une pièce d’échecs entre ses doigts, une tour, symbole de force et de protection. Mais aussi, songea-t-il, d’isolement.
— Monsieur Laval ?
La voix du réceptionniste le tira de ses pensées.
— Oui, Henri ?
— Cette femme… Est-ce une amie ?
Un sourire froid effleura les lèvres d’Alex.
— Pas encore.
Il retourna à son échiquier, mais le jeu solitaire avait perdu de son attrait. Louise Blanc venait de troubler son équilibre soigneusement maintenu.
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Le soir, dans son petit appartement sous les toits de Paris, Louise étala un échiquier poussiéreux sur sa table encombrée. Les pièces de bois, usées par le temps, semblaient porter en elles le poids d’un passé révolu. Elle les plaça méthodiquement, s’efforçant de se souvenir des règles : le roi, la reine, les pions… Chaque pièce avec ses forces et ses faiblesses.
Elle poussa un soupir et attrapa son téléphone.
— Anna, j’ai besoin de ton aide.
Quelques minutes plus tard, la voix chaleureuse de son amie résonna à l’autre bout de la ligne.
— Tu t’es embarquée dans un défi d’échecs avec Alex Laval ? Sérieusement ?
— Oui, et je n’ai pas le temps pour les sarcasmes, répondit Louise avec un sourire nerveux. J’ai besoin de me préparer.
Anna rit doucement avant de répondre.
— Tu sais, ce jeu demande plus que de la logique. Il faut apprendre à penser comme son adversaire.
— Parfait. Trouve-moi un guide pour débutants, et je ferai le reste.
Anna marqua une pause.
— Louise… Ce défi, ce n’est pas juste une question de victoire. Ce que tu apprendras en cours de route pourrait être plus important que le résultat final.
Louise resta silencieuse un instant, son regard fixé sur l’échiquier devant elle. Ses doigts effleurèrent une pièce, un cavalier, symbole de mouvements inattendus.
— Peut-être, murmura-t-elle. Mais je n’ai pas l’intention de perdre.
Elle savait que ce défi était une porte d’entrée, non seulement dans le monde des échecs, mais aussi dans la vérité qu’elle cherchait à dévoiler. Et peu importait les sacrifices à faire, elle jouerait chaque coup avec détermination.