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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Les Ombres du Passé


Élise Moreau

Un froid mordant s’insinue dans mes os alors que nous pénétrons dans la Crypte du Sceau Écarlate, un gouffre de ténèbres enfoui au cœur des Terres Creuses. L’air, lourd et saturé d’une odeur de fer et de cendres, me brûle la gorge à chaque inspiration. Les parois de pierre froide qui nous entourent sont gravées de runes pulsantes, leur lueur rouge projetant des reflets sinistres sur le sol de verre noir. Chaque pas résonne comme un glas, et dans ce miroir d’obsidienne sous mes pieds, des ombres mouvantes dansent, indistinctes, comme si quelque chose – ou quelqu’un – nous observait. Ma cicatrice au poignet gauche palpite douloureusement, une pulsation qui semble répondre à l’énergie malsaine de cet endroit. Je serre le manuscrit jauni de Marianne contre ma poitrine, ses pages fragiles devenues mon dernier rempart contre la peur qui me ronge. Mais même ce talisman ne peut apaiser la terreur que je ressens : et si la Fracture Vorace, cette ombre qui me hante, trouvait ici un écho encore plus fort ?

Mathis avance à mes côtés, ses pas lourds et irréguliers trahissant la douleur de ses blessures. Son flanc suinte encore sous un bandage de fortune, et son épaule droite, presque inutilisable, tremble sous l’effort. Pourtant, ses yeux gris-bleu scrutent l’obscurité avec une vigilance farouche, comme s’il pouvait repousser les ténèbres par la seule force de sa volonté. Derrière nous, Gérald grogne à voix basse, son regard de loup méfiant balayant chaque recoin. « Cet endroit empeste la mort, » marmonne-t-il, ses mots résonnant comme un avertissement. Je ne réponds pas, mais mon cœur se serre. Il a raison. La Crypte n’est pas un refuge ; c’est une tombe qui n’attend que de se refermer sur nous.

Après notre fuite désespérée dans la Forêt Maudite, j’ai convaincu Mathis et Gérald de venir ici, poussée par une mention sibylline dans le manuscrit de ma mère. Une "clé cachée dans le sang", disait-elle, un secret lié à cet endroit maudit. Mais maintenant que nous y sommes, chaque fibre de mon être hurle de partir. Pourtant, je continue d’avancer, guidée par une intuition inexplicable, presque viscérale. Les parois se resserrent autour de nous, et je remarque des rivières de sang pétrifié incrustées dans la pierre, formant des motifs runiques complexes qui semblent pulser comme des veines vivantes. Chaque pas amplifie le silence oppressant, brisé seulement par le souffle rauque de Mathis et les grognements intermittents de Gérald.

Nous atteignons une salle plus vaste, dominée par un autel fissuré au centre. Les runes y sont plus denses, leur lueur rouge presque aveuglante. Mon cœur s’emballe, et une douleur aiguë traverse ma cicatrice, me faisant grimacer. Je m’approche malgré moi, comme attirée par une force invisible. Mes doigts tremblants effleurent une rune centrale, gravée plus profondément que les autres. Le contact est glacé, mais une chaleur soudaine explose dans mon poignet, et le monde bascule.

Une vision me frappe comme un coup, brutale et implacable. Je vois Marianne, ma mère, agenouillée près de cet autel même, ses cheveux sombres collés à son visage par la sueur et la peur. Dans sa main, une dague ensanglantée tremble, et ses yeux, si semblables aux miens, sont emplis d’une terreur mêlée de résignation. Elle murmure, d’une voix brisée, presque spectrale : « Le sang lié scelle ou brise tout. » Ses mots s’enroulent autour de moi comme des chaînes, lourds de sens que je ne comprends pas encore. Puis un hurlement déchire l’air, un cri qui n’est pas humain, et la vision s’effrite, me ramenant à la réalité avec une violence qui me coupe le souffle.

Je m’effondre à moitié, mes genoux heurtant le sol de verre noir. Un filet de sang noirâtre suinte de ma cicatrice, rampant sur la pierre comme animé d’une volonté propre, se mêlant aux motifs runiques qui s’illuminent brièvement à son contact. Mon estomac se noue, et une vague de nausée me submerge. Qu’est-ce que je suis devenue ? Cette chose en moi, cette corruption héritée de la Fracture Vorace, est-elle en train de s’éveiller encore plus ici ? Mes mains tremblent alors que je serre le manuscrit contre moi, comme si ces pages fragiles pouvaient me protéger de ce que je ressens. Une lueur rouge fugace traverse mes yeux verts – je le sais, je le sens, même si je n’ose pas affronter mon reflet dans le sol. Un murmure chaotique s’élève dans mon esprit, un écho de ma propre voix mêlé à celle, insidieuse, de la Fracture : *Et si je suis la clé… et la cage ?*

Mathis est à mes côtés en un instant, malgré la douleur qui doit le déchirer à chaque mouvement. Sa main tremblante se pose sur mon épaule, un contact à la fois brûlant et réconfortant. « Élise, qu’est-ce que tu as vu ? » demande-t-il, sa voix rauque empreinte d’une inquiétude qu’il ne peut cacher. Mais il y a aussi une frustration sous-jacente, comme s’il se reprochait de ne pas pouvoir me protéger de ça, de moi-même. Je détourne le regard, incapable de soutenir ses yeux gris-bleu, si pleins de douleur et de doute. « Marianne… » Ma voix se brise, à peine un murmure. « Elle était ici. Elle parlait du sang lié… de sceller ou de briser. Je crois… je crois que ça me concerne. Que ça nous concerne. » Les mots s’échappent, lourds et amers. « Et si je vous entraînais tous dans ma chute ? »

Il resserre sa prise sur mon épaule, un geste qui devrait me rassurer mais qui ne fait qu’amplifier ma culpabilité. « On affrontera ça ensemble, Élise. Comme toujours, » dit-il, mais sa voix tremble, et je perçois le doute qui s’y glisse, une fissure dans son stoïcisme d’alpha. Je veux y croire, m’accrocher à cette promesse, mais la peur me ronge. Et si ensemble signifiait mourir ensemble ? Gérald, resté en retrait, grogne avec impatience. « Cet endroit est maudit. On devrait partir avant que ça nous tue tous. » Son ton est sec, presque accusateur, et ses yeux jaunes me fixent avec une méfiance croissante. « Je dois savoir, » dis-je, ma voix plus ferme malgré le chaos en moi. « Si je fuis maintenant, je ne comprendrai jamais. » Il secoue la tête, un rictus de dédain sur ses lèvres, mais il ne proteste pas davantage. La tension entre nous s’épaissit, un mur invisible qui menace de s’effondrer à tout moment.

Je me relève, vacillante, et mes yeux se posent sur une fresque près de l’autel, à moitié cachée par l’ombre. Les runes y sont différentes, plus anciennes, et je m’approche, poussée par un besoin que je ne peux réprimer. Mes doigts effleurent la pierre, et les inscriptions semblent se révéler à moi, comme si mon sang les appelait. Les mots, gravés dans une langue que je ne devrais pas comprendre, me parlent pourtant. Ils racontent un pacte ancien, un lien de sang entre des âmes maudites et le Puits des Lamentations. Mon sang – et peut-être celui de Mathis – est lié à cet endroit, à cette malédiction. Pire encore, ils mentionnent un gardien, une entité endormie depuis des siècles, réveillée par les bouleversements récents, par la Fracture Vorace… par moi.

Mon souffle se coupe, et je recule d’un pas, mon cœur battant à tout rompre. Mathis s’approche, lisant par-dessus mon épaule, et je sens son corps se tendre. « Qu’est-ce que ça veut dire, Élise ? » demande-t-il, sa voix basse, presque un grondement. Je secoue la tête, incapable de répondre. Mais au fond de moi, je sais. Le poids de ce pacte, de cette "clé cachée", repose sur nous. Sur notre sang. Et si la vision de Marianne était un avertissement ? Si sceller cette malédiction exigeait un prix que je ne suis pas prête à payer ?

Avant que je ne puisse formuler une réponse, un grondement guttural secoue la crypte, si profond qu’il semble venir des entrailles de la terre. Des fragments de pierre tombent du plafond, s’écrasant autour de nous dans un fracas assourdissant. Dans les coins sombres de la caverne, des ombres mouvantes se forment, mi-chair, mi-obscurité, leurs contours indistincts évoquant une présence ancienne, hostile. Ma cicatrice palpite plus fort, une douleur lancinante qui me fait presque hurler, comme si mon sang attirait ces entités. Mathis se place devant moi, son corps blessé prêt à combattre malgré tout, un grognement sauvage montant de sa gorge. Gérald, à ses côtés, hurle : « Faut fuir, maintenant ! »

Mais je suis paralysée, mes yeux fixés sur les ombres qui se rapprochent. Des points rougeoyants, comme des braises, apparaissent dans l’obscurité, pulsant avec une malveillance presque palpable. Un hurlement inhumain déchire l’air, un son qui me glace jusqu’à l’âme, et je réalise, avec une clarté terrifiante, que la Crypte n’a pas encore révélé tous ses secrets. La "clé cachée" pourrait bien coûter ma vie, celle de Mathis, ou quelque chose de bien pire. Les ombres avancent, et je sais que nous n’avons plus nulle part où courir.