Chapitre 1 — La Boussole du Doute
Logan Hayes
Logan Hayes était assis sous la faible lueur de l’unique ampoule suspendue au plafond, ses doigts glissant sur les délicates gravures de la boussole en bois posée sur son établi. Les motifs floraux et géométriques sculptés dans le bois captaient la lumière douce, créant des ombres qui dansaient dans leurs rainures. À l’intérieur, l’aiguille vacillait, tremblant de manière erratique, sans jamais trouver le nord. C’était l’un de ses premiers projets, réalisé il y a une dizaine d’années, à une époque où sa passion pour la menuiserie brillait plus fort que sa peur de l’échec. Aujourd’hui, cet objet reposait là, comme une relique silencieuse de rêves abandonnés.
L’arôme de la sciure flottait encore dans l’air, mêlé à une légère odeur métallique émanant des vieux outils. Tout autour de lui, l’atelier—un véritable refuge niché à l’arrière de sa modeste maison en location—baignait dans un silence troublé uniquement par le grincement occasionnel de son tabouret en chêne et le bruit sourd du radiateur. Les murs étaient ornés de panneaux perforés où chaque outil était minutieusement ordonné : ciseaux à bois, maillets, rabots, leurs arêtes scintillant faiblement. Un espace d’ordre et de précision, en contraste complet avec les pensées désordonnées qui agitaient l’esprit de Logan.
Il retourna la boussole entre ses mains calleuses, son pouce s’arrêtant sur une petite entaille dans le bois. L’imperfection était presque invisible maintenant, mais Logan savait exactement où elle se trouvait. Il avait passé des heures à poncer et sculpter pour la lisser : une leçon de patience et de persévérance. Il conservait cette boussole non pas pour sa perfection, mais précisément parce qu’elle en était dépourvue. Elle lui rappelait celui qu’il avait été autrefois : un homme persuadé que les défauts pouvaient être corrigés, que les choses brisées pouvaient être réparées.
Sans prévenir, la voix de son père résonna dans son esprit. « Chaque pièce que tu fabriques raconte une histoire, mon fils. Même les erreurs. » Le souvenir était doux-amer, aussi vivant que si son père se tenait toujours à ses côtés dans l’atelier, dispensant ses encouragements silencieux. Logan pouvait presque entendre le rythme régulier des mains de son père façonnant le bois, presque ressentir la chaleur rassurante de sa présence. Ces jours-là avaient semblé si sûrs, si pleins de promesses. À cette époque, il était convaincu qu’il pourrait construire une vie grâce à son artisanat, créer des objets que les gens chériraient autant qu’il chérissait les vieux outils de son père. Mais cette certitude s’était effritée avec le temps, usée par des échecs répétés, laissant derrière elle le poids d’un potentiel inassouvi.
Le vrombissement soudain de son téléphone brisa le silence, tirant Logan de ses pensées. Il expira bruyamment, reposant délicatement la boussole comme si elle risquait de se briser sous trop de pression. L’écran s’illumina avec le nom de Jake Tanner, et son premier réflexe fut de laisser sonner. Mais Jake n’était pas du genre à abandonner facilement ; le téléphone se remettrait à vibrer, plus fort et plus insistant.
Logan attrapa le téléphone et décrocha. « Ouais ? »
« Ne me fais pas un ‘ouais’, » rétorqua la voix familière et éraillée de Jake. « Tu broies encore du noir dans ton trou de moine, là ? »
Logan esquissa un léger sourire en s’adossant au tabouret, son regard dérivant vers la fenêtre couverte de givre. La lumière de la lune inondait les collines ondulées à l’extérieur, baignant le paysage d’une lueur argentée. « Ça s’appelle travailler, Jake. Tu devrais essayer, un de ces jours. »
« Travailler sur quoi ? » répliqua Jake. « Une autre de tes petites cabanes à oiseaux pour la foire du comté ? »
Logan secoua la tête, un sourire se dessinant malgré lui. « Ça fait des années que je n’ai pas fait de cabane à oiseaux. »
« Eh bien, tu vas illuminer ma journée, alors. Écoute, gros boulot demain : on doit déménager une dame de sa maison à la ville. Tu viens ou je dois trouver quelqu’un qui n’a pas de la sciure à la place du cerveau ? »
Logan se frotta l’arrière du cou, sentant le poids de la réticence s’abattre sur lui comme une chape de plomb. Les déménagements étaient stables, pratiques, mais ils le laissaient vide. Il passait ses journées à transporter la vie des autres dans des cartons, tandis que ses propres rêves accumulaient la poussière. Pourtant, c’était sûr, prévisible. Une façon de garder la tête hors de l’eau.
« Qui est le client ? » demanda-t-il, davantage pour gagner du temps que par réelle curiosité.
« Et alors ? Elle paie, elle a plein de trucs, et il faut que ça soit fait. Meubles, cartons, probablement cinquante mille coussins. Tu connais la chanson. Dis juste oui, Hayes. J’ai déjà accepté pour nous. »
Logan fronça les sourcils, sa mâchoire se contractant. Il pouvait imaginer Jake, affalé sur sa vieille chaise grinçante, souriant comme s’il avait déjà gagné. Jake avait toujours su comment le convaincre, comptant sur son sens du devoir pour finaliser le plan.
Son regard revint sur la boussole posée sur l’établi. L’aiguille frémissait toujours, tremblant d’indécision, reflétant le nœud dans sa poitrine. Accepter le travail signifiait quitter son sanctuaire—un monde ordonné où les échecs restaient cachés. Mais refuser ? Cela reviendrait à admettre, pour lui-même plus que pour quiconque, qu’il avait trop peur d’essayer.
« D’accord, » murmura-t-il.
« C’est mon gars ! Sept heures précises. Et ne me force pas à venir te chercher. »
La ligne se coupa avant qu’il ne puisse répondre, le laissant seul une fois de plus avec le ronronnement monotone du radiateur. Il jeta un coup d’œil à la boussole. Sa beauté imparfaite, son refus obstiné de pointer vers le nord—c’était comme un défi. Un défi qu’il ne se sentait pas encore prêt à relever.
Logan se leva brusquement et se dirigea vers une étagère garnie de chutes de bois. Ses doigts glissèrent sur une planche de cèdre, son grain lisse et chaud sous sa main. Il songea aux projets qu’il rêvait autrefois de réaliser—des tables avec des tiroirs secrets, des chaises sculptées comme des œuvres d’art. Ces idées semblaient autrefois si vivantes, si possibles. Maintenant, elles paraissaient incroyablement éloignées, enterrées sous des années de routine et de doute.
Son regard se posa sur un coin de l’atelier où un tiroir usé reposait sous l’établi. Il ne l’avait pas ouvert depuis des années, mais il n’en avait pas besoin. Il savait exactement ce qu’il contenait : le plan d’affaires en lambeaux pour l’entreprise de menuiserie qu’il avait tenté de lancer à la fin de sa vingtaine. Une relique d’espoir et d’ambition, mais aussi un rappel brutal de ses échecs.
Il resta immobile un long moment, sa main flottant près du tiroir. Puis, il se détourna, ses gestes mesurés. Ressasser le passé ne le changerait pas. Il attrapa un chiffon propre et se mit à essuyer son établi, le mouvement répétitif l’ancrant dans le présent. Demain n’était qu’un autre boulot. Une autre journée à soulever et charger. Rien de plus.Mais alors qu’il éteignait la lumière au plafond et pénétrait dans l’air froid de la nuit, la boussole continuait d’occuper son esprit. Son aiguille frémissait légèrement, comme si elle cherchait quelque chose juste hors de portée. Logan s’arrêta sur le seuil et jeta un regard en direction de l’atelier. La boussole reposait dans la pénombre, aussi imparfaite et inachevée qu’il se sentait lui-même. Pourtant, elle persistait.
Pour l’instant, il se contenterait de suivre la même routine qu’il avait toujours respectée : se présenter, travailler dur et garder profil bas. Faire davantage semblait être un risque qu’il ne pouvait pas encore se permettre de prendre.