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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Rencontre fugitive


Alterné entre Juliette Delacroix et Raphaël de Morvan

Les Archives Nationales baignaient désormais dans une obscurité paisible, à peine troublée par les halos vacillants des lampes anciennes qui parsemaient la salle de lecture. Juliette, seule à sa table, feuilletait encore des registres, bien que ses pensées dérivassent de plus en plus vers l’étrange enveloppe trouvée plus tôt. Ses doigts effleurèrent sans y penser le papier jauni devant elle, comme pour y déceler le secret qu’il semblait murmurer. L’air, chargé de l’odeur familière du cuir et du papier vieux, avait quelque chose de réconfortant, mais ce soir-là, l’atmosphère semblait plus lourde, presque oppressante.

Elle passa une main fébrile dans ses cheveux pour se recentrer, mais son regard fut attiré, presque malgré elle, par un mouvement lointain. Au milieu des rayonnages imposants, une silhouette masculine se tenait immobile. Juliette plissa les yeux, incertaine de ce qu’elle voyait. L’éclairage tamisé et les ombres mouvantes rendaient ses perceptions floues, presque irréelles. Elle hésita un instant, se demandant si elle rêvait.

L’homme bougea légèrement, suffisamment pour qu’elle distingue un manteau sombre et une posture rigide. Une certaine élégance émanait de lui, anachronique, comme s’il appartenait à une époque révolue. Juliette sentit un frisson lui parcourir la nuque, mélange de curiosité et d’une angoisse qu’elle ne pouvait expliquer.

Elle détourna immédiatement les yeux, gênée par cette soudaine intrusion dans son espace intime. Pourtant, quelque chose en elle – une force inexplicable, presque instinctive – la poussa à regarder de nouveau. Lorsqu’elle leva les yeux, l’homme avait avancé, ses pas si silencieux qu’ils semblaient absorbés par les ombres elles-mêmes. Son visage, bien qu’à demi dissimulé par la pénombre, révéla des traits anguleux et des yeux d’un bleu saisissant. Pendant un instant suspendu, leurs regards se croisèrent.

Une vague de sensations contradictoires l’envahit. La chaleur familière de son regard contrastait avec une froideur glaçante, comme si cet inconnu portait en lui des échos d’une histoire qu’elle ne parvenait pas à saisir. Elle n’aurait su dire pourquoi, mais ce regard lui coupa le souffle, éveillant une nostalgie qu’elle ne comprenait pas.

L’homme s’arrêta brusquement, figé comme s’il hésitait à faire un pas de plus. Son expression demeurait indéchiffrable, mais une tension semblait parcourir ses traits. Juliette se sentit soudain prise d’une impulsion inexplicable. Même si tout en elle criait de rester en place, ses mains tremblantes effleurèrent le bord de la table tandis qu’elle se levait maladroitement.

— Excusez-moi ! lança-t-elle, sa voix ébranlée par une émotion qu’elle ne pouvait nommer.

L’homme tourna légèrement la tête, mais il ne se retourna pas tout de suite. Le silence s’étira, lourd et oppressant, avant qu’il ne pivote lentement pour lui faire face. Ses yeux glacés rencontrèrent de nouveau les siens, et Juliette sentit son cœur s’emballer.

— Puis-je vous aider ? répondit-il enfin, d’une voix basse, presque musicale, qui résonna dans l’immensité silencieuse de la salle.

Juliette ouvrit la bouche, incapable de formuler une pensée cohérente. Ce timbre… elle était certaine de ne l’avoir jamais entendu auparavant, mais il éveillait en elle quelque chose de profondément enfoui.

— Je… Désolée, je pensais… Je ne sais pas. Vous travaillez ici ? demanda-t-elle, maladroite, en serrant ses mains pour masquer leur nervosité.

Un sourire imperceptible effleura les lèvres de l’homme sans atteindre ses yeux.

— Non, je ne travaille pas ici, répondit-il simplement.

Le silence qui suivit sembla encore plus pesant. Juliette sentit la chaleur lui monter aux joues, consciente de l’absurdité de leur échange. Pourtant, quelque chose dans son instinct la poussait à poursuivre.

— Vous cherchiez quelque chose en particulier ? finit-elle par ajouter, tâchant de donner une légitimité à sa question.

L’homme inclina légèrement la tête, comme s’il réfléchissait à sa réponse.

— Peut-être, murmura-t-il. Mais il semble que ce ne soit pas le bon moment.

Il recula d’un pas, prêt à disparaître de nouveau dans l’ombre. Juliette, cependant, ne pouvait supporter l’idée de le laisser partir ainsi.

— Attendez… Vous… vous m’avez observée, n’est-ce pas ? osa-t-elle demander, sa voix trahissant une pointe d’inquiétude.

Il s’arrêta net, son regard trahissant une fraction de surprise avant de retrouver son calme.

— Parfois, les réponses que nous cherchons viennent à nous sans invitation, dit-il d’un ton énigmatique. Puis, sans attendre sa réaction, il se retourna et s’éloigna, ses pas avalés par la pénombre.

Juliette resta immobile, son esprit embrouillé par ses paroles sibyllines. Elle voulut le suivre, mais ses jambes refusaient de bouger. Une étrange tension la retenait, comme si quelque chose de plus grand qu’elle-même se jouait à cet instant.

***

De l’autre côté des rayonnages, Raphaël de Morvan posa une main contre une étagère, cherchant un appui alors que le poids de la rencontre l’écrasait. Ses souvenirs, verrouillés depuis des siècles, refusaient de rester enfouis. Voir Juliette, sentir sa présence si proche, avait ravivé une douleur qu’il avait cru maîtrisée.

Clara avait raison. Intervenir maintenant risquait de tout compliquer. Elle n’était pas prête. Pourtant, il s’était laissé happer par cet instant, incapable de résister à l’attraction qui le liait à elle. Leur lien était trop puissant.

Il ferma brièvement les yeux, submergé par des visages et des murmures issus de vies antérieures. Chaque rire, chaque larme resurgissait, amplifiant son dilemme. Il ne pouvait rester, mais partir lui semblait tout aussi impossible.

Dans un souffle, il murmura :

— Pardonne-moi, Juliette.

***

Juliette, quant à elle, ne pouvait se débarrasser de l’impression laissée par cet homme. Elle retourna lentement à sa table, mais les mots sur les pages devant elle devinrent flous. Son esprit ne cessait de repasser leur rencontre, cherchant à comprendre son trouble.

Alors qu’elle s’apprêtait à ranger ses affaires, un mouvement, cette fois près de l’entrée, attira son attention. Une silhouette féminine, d’une élégance sobre, se tenait dans l’ombre. Ses cheveux argentés captaient la lumière d’une lampe, et elle semblait observer la salle avec une tranquillité étrange.

Juliette sentit un mélange d’étrange réconfort et d’appréhension. La femme croisa son regard et esquissa un sourire presque imperceptible avant de disparaître dans un couloir adjacent.

Juliette resta figée, son cœur battant à tout rompre. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle était certaine que cette soirée marquait le début de quelque chose. Une force invisible, insondable, s’était mise en mouvement.