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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Échos du passé


Juliette Delacroix

Les rayons d’un soleil voilé par les nuages s’infiltraient à travers les vitraux colorés des Archives Nationales, projetant des motifs fugaces sur les étagères chargées de poussière et le parquet ancien. L’atmosphère, empreinte d’un calme presque sacré, semblait retenir son souffle. Juliette Delacroix, penchée sur une table de bois sombre, tournait méthodiquement les pages d’un registre jauni par le temps. L’odeur du papier vieilli, mêlée à celle du cuir des reliures, formait un cocon qui renforçait sa concentration.

Les noms défilaient sous ses yeux gris-verts, mais un en particulier revenait, encore et encore : la famille de Morvan. Ces mentions sporadiques s’étalaient sur des siècles, scintillant comme des fragments d’un puzzle épars. Une lignée aux contours flous, marquée par des disparitions soudaines et des réapparitions inexplicables. Juliette sentit son cœur se serrer chaque fois que ce nom surgissait, comme si une corde invisible vibrait dans les tréfonds de son être. Elle ne savait pas pourquoi, mais la sensation d’un lien intime, presque primitif, s’intensifiait à chaque découverte.

Ses doigts glissèrent sur la surface rugueuse d’un feuillet, s’arrêtant sur une date : 1791. Elle inspira profondément et murmura les mots à voix basse, comme pour s’en imprégner. Pourtant, ce n’était pas seulement le contenu des archives qui l’obsédait, c’était une enveloppe. Une simple enveloppe froissée qu’elle avait découverte dans un dossier au début de la matinée. En la dépliant, ses mains avaient légèrement tremblé. À l’intérieur, une lettre manuscrite, rédigée d’une écriture élégante mais étrangement familière. Trop familière.

Juliette s’adossa à sa chaise, brisant sa posture concentrée. La lettre reposait sur la table, ouverte devant elle. Ses mots résonnaient encore dans son esprit : une plume d’un autre siècle, racontant un amour intense, un certain Raphaël, une douleur qui semblait transcender le temps. Plus troublant encore, cette signature : « Juliette ». Elle aurait pu se convaincre de la coïncidence, mais l’écriture… L’écriture ressemblait à la sienne—de manière troublante, presque impossible. Elle ferma les yeux un instant, cherchant à apaiser le tumulte grandissant en elle, mais au lieu de cela, des images floues naquirent dans son esprit : des silhouettes indistinctes, des lieux qu’elle ne pouvait nommer, des murmures portés par le vent.

Un coup léger contre le bois de la table la ramena brusquement à la réalité. Elle ouvrit les yeux pour découvrir Léo Vernay, son collègue et ami, debout devant elle avec un sourire taquin.

— Toujours à exhumer des trésors oubliés ? ironisa-t-il, jetant un coup d’œil à la pile de documents qui menaçait de s’écrouler.

Juliette lui adressa un sourire las. Léo, avec son allure décontractée, ses cheveux bruns en bataille et sa chemise froissée, était l’exact opposé de son esprit méthodique. Pourtant, il avait une manière de briser la tension, même si son scepticisme affiché l’irritait parfois.

— Et toi, toujours à venir perturber ma concentration ? rétorqua-t-elle avec un soupçon de sarcasme.

Il haussa les épaules et tira une chaise pour s’asseoir en face d’elle. Ses doigts tapotaient doucement la table, un geste nerveux qui trahissait malgré lui une curiosité sincère.

— Alors, qu’est-ce qui te fait plonger tête baissée dans ces vieux papiers cette fois ? demanda-t-il, son ton oscillant entre amusement et intérêt.

Juliette hésita. Elle savait que Léo avait du mal à prendre au sérieux tout ce qui dépassait les limites de la raison. Pourtant, elle avait besoin de partager ce qu’elle avait trouvé, même si elle s’attendait à des doutes.

— La famille de Morvan, répondit-elle finalement, en poussant un document vers lui. Une lignée qui apparaît et disparaît dans l’histoire de façon… étrange. Il y a quelque chose qui ne colle pas.

Léo parcourut la page rapidement, fronçant légèrement les sourcils. Après un moment, il reposa le papier, son expression oscillant entre scepticisme et réflexion.

— OK… Mais qu’est-ce que ça veut dire, selon toi ? Que cette famille fait des allers-retours dans le temps ? plaisanta-t-il.

Juliette soupira et, sans répondre, tira lentement la lettre de 1791 de son dossier. Elle la posa devant lui, ses doigts effleurant le bord du papier comme pour calmer son appréhension.

— Lis ça, dit-elle simplement.

Léo la prit, ses mouvements plus lents qu’à l’accoutumée. Il parcourut les lignes, et au fur et à mesure qu’il avançait, son sourire se figea. Ses yeux s’attardèrent sur la signature, puis sur l’écriture, qu’il examina avec une attention renouvelée.

— Juliette… murmura-t-il. OK, je vais admettre que c’est étrange. Une Juliette qui écrit à un Raphaël en 1791, et cette écriture… Oui, c’est troublant. Mais tu sais, il y avait probablement des centaines de Juliettes à cette époque. C’est un hasard, rien de plus.

Juliette sentit une vague de frustration monter en elle.

— Et cette écriture, Léo ? Tu ne peux pas me dire que c’est une simple coïncidence. Regarde-la de plus près.

Il obéit, étudiant de nouveau les courbes et la fluidité des lettres. Cette fois, son expression changea imperceptiblement, un éclat d’inconfort traversant ses traits.

— OK, je vais être honnête, ça me donne un peu la chair de poule, admit-il. Mais tu sais ce que ça peut être ? Une réminiscence culturelle. Une façon d’écrire qui te semble familière parce que tu es habituée à ce style dans tes recherches.

Juliette croisa les bras, son regard insistant.

— Ce n’est pas ça, murmura-t-elle. Léo, je ressens quelque chose. Un lien… Je ne peux pas l’expliquer, mais c’est comme si cette lettre me parlait directement.

Il resta silencieux un moment, puis posa doucement sa main sur son épaule, son ton devenant plus sérieux.

— Écoute, Juliette. Je sais que ton instinct est rarement à côté de la plaque. Si tu penses qu’il y a quelque chose à creuser, alors creusons. Mais promets-moi de ne pas te laisser emporter. Parfois, il faut prendre du recul.

Juliette hocha la tête, bien qu’intérieurement, elle savait qu’elle ne pourrait pas relâcher cette piste. Léo se leva, promettant de revenir plus tard, et elle retourna son attention vers ses documents. Mais l’écho de leurs échanges résonnait encore dans sa tête.

La lumière du jour commençait à décliner, et les Archives s’enveloppaient d’une pénombre douce et inquiétante. Juliette tenta de se concentrer, mais une sensation étrange, presque oppressante, l’envahit. Elle releva les yeux, balayant la salle du regard. Les rangées d’étagères semblaient s’étirer à l’infini, leurs ombres dansant sous les derniers rayons du jour. Elle était seule, mais une part d’elle se sentait épiée.

Inspirant profondément, elle se força à ignorer cette impression troublante. Peu importait ce que cela impliquait, elle devait continuer. Une vérité dormait dans ces pages, et elle était déterminée à la déterrer, même si cela signifiait affronter l’inconnu.