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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 11


Nous buvions du punch léger, à la mode de ma jeunesse. Nous étions assis devant le feu, mes cousins Érard, les enfants et moi. C’était un soir d’automne, tout rouge au-dessus des champs labourés trempés de pluie ; le couchant de flammes promettait un grand vent pour le lendemain ; les corbeaux criaient. Dans cette grande maison glacée l’air souffle de partout avec le goût âpre et fruité qu’il a en cette saison. Ma cousine Hélène et sa fille, Colette, grelottaient sous les châles que je leur avais prêtés, des cachemires de ma mère. Comme toutes les fois où elles viennent me voir, elles me demandaient comment je fais pour vivre dans ce trou à rats et Colette, qui est à la veille de se marier, me vantait les charmes de Moulin-Neuf où elle va habiter désormais, « où j’espère vous voir souvent, cousin Silvio », disait-elle. Elle me regardait avec pitié. Je suis vieux, pauvre, je suis garçon ; je me terre dans une masure de paysan au fond des bois. On sait que j’ai voyagé, que j’ai mangé mon héritage ; fils prodigue, lorsque je suis revenu dans mon pays natal, le veau gras lui-même était mort de vieillesse, après m’avoir longtemps espéré en vain. Mes cousins Érard, comparant en pensée leur sort au mien, me pardonnaient sans doute tout l’argent que je leur avais emprunté sans le rendre et ils répétaient avec Colette :

— Vous vivez en sauvage ici, pauvre ami. Il faudra venir chez la petite quand elle sera installée et passer chez elle la belle saison.

J’ai pourtant de bons moments, quoiqu’ils ne s’en doutent pas. Aujourd’hui, je suis seul ; la première neige est tombée. Ce pays, au centre de la France, est à la fois sauvage et riche. Chacun vit chez soi, sur son domaine, se méfie du voisin, rentre son blé, compte ses sous et ne s’occupe pas du reste. Pas de châteaux, pas de visites. Ici règne une bourgeoisie toute proche encore du peuple, à peine sortie de lui, au sang riche et qui aime tous les biens de la terre. Ma famille couvre la province d’un réseau étendu d’Érard, de Chapelin, de Benoît, de Montrifaut ; ils sont gros fermiers, notaires, fonctionnaires, propriétaires terriens ; leurs maisons sont cossues, isolées, bâties loin du bourg, défendues par de grandes portes revêches, à triple verrou, comme des portes de prison, précédées par des jardins plats, presque sans fleurs : rien que des légumes et des arbres fruitiers taillés en espalier pour produire davantage. Les salons sont bourrés de meubles et toujours clos ; on vit dans la cuisine pour épargner les feux. Je ne parle pas de François et Hélène Érard, bien entendu ; je ne connais pas de demeure plus agréable ni plus accueillante, de foyer plus intime, plus riant et plus chaud. Malgré tout, pour moi rien ne vaut un soir comme celui-ci : la solitude est complète ; ma servante qui couche au bourg vient de rentrer les poules et s’en va chez elle. J’entends le bruit de ses sabots sur le chemin. Pour moi, ma pipe, mon chien entre les jambes, le bruit des souris dans le grenier, le feu qui siffle, pas de journaux, pas de livres, une bouteille de juliénas qui chauffe doucement près des chenets.

— Pourquoi vous appelle-t-on Silvio, mon cousin ? demande Colette.

Je réponds :

— Une belle dame qui a été amoureuse de moi et qui trouvait que je ressemblais à un gondolier, car j’avais en ce temps-là, il y a trente ans, les moustaches en crocs et les cheveux noirs, a transformé ainsi mon prénom de Sylvestre.

— Mais non, c’est à un faune que vous ressemblez, dit Colette, avec votre grand front, votre nez retroussé, vos oreilles pointues, vos yeux qui rient. Sylvestre, l’homme des bois. Cela vous va très bien.

Colette est, de tous les enfants d’Hélène, ma préférée. Elle n’est pas belle, mais a ce que je prisais par-dessus tout chez les femmes dans mon jeune temps : du feu. Elle aussi, ses yeux rient, et sa grande bouche ; ses cheveux noirs sont légers et s’échappaient en petites boucles sous le châle dont elle s’était couvert la tête, car elle prétendait sentir sur sa nuque un vent coulis. On dit qu’elle ressemble à Hélène, jeune. Mais je ne me rappelle pas. Depuis la naissance de son troisième fils, le petit Loulou, qui a maintenant neuf ans, Hélène a engraissé, et la femme de quarante-huit ans, à la peau douce et fanée, masque dans ma mémoire l’Hélène de vingt ans que j’ai connue. Elle a maintenant un air de placidité heureuse qui repose. Cette soirée chez moi était une visite de présentation officielle : on me faisait connaître le fiancé de Colette. C’est un Jean Dorin, des Dorin du Moulin-Neuf, minotiers de père en fils. Une belle rivière, verte et écumeuse, coule au pied de ce moulin. J’allais y pêcher la truite quand le père Dorin était vivant.

— Tu nous donneras de bons plats de poisson, Colette, dis-je.

François refuse mon punch : il ne boit que de l’eau. Il a une barbiche grise pointue et fine qu’il caresse doucement de la main. Je remarquai :

— Vous n’aurez pas à regretter le monde lorsque vous l’aurez quitté, ou plutôt lorsqu’il vous aura quitté, comme il l’a fait pour moi…

Car j’ai parfois la sensation d’avoir été rejeté par la vie comme par une mer trop haute. J’ai échoué sur un triste rivage, vieille barque solide encore pourtant, mais aux couleurs déteintes par l’eau et rongées par le sel.

— Vous n’aurez rien à regretter, vous qui n’aimez ni le vin, ni la chasse, ni les femmes.

— Je regretterai ma femme, dit-il en souriant.

C’est alors que Colette s’est assise près de sa mère et lui a demandé :

— Maman, raconte-moi tes fiançailles avec papa. Ton mariage, tu n’en as jamais parlé. Pourquoi ? Je sais que c’était une histoire romanesque, que vous vous aimiez depuis longtemps… Tu ne me l’as jamais raconté. Pourquoi ?

— Parce que tu ne me l’as jamais demandé.

— Mais je te le demande maintenant.

Hélène se défendait en riant :

— Ça ne te regarde pas, disait-elle.

— Tu ne veux pas le dire parce que ça te gêne ; ce n’est pas à cause de cousin Silvio pourtant : il doit tout savoir. Est-ce à cause de Jean ? Mais demain ce sera ton fils, maman, et il faut qu’il te connaisse comme je te connais. Je voudrais tant que nous vivions avec lui comme tu vis avec papa ! Je suis sûre que vous ne vous êtes jamais disputés.

— Ça ne me gêne pas à cause de Jean, dit Hélène, mais de ces grands dadais, et elle montra ses fils avec un sourire.

Ils étaient assis sur le carreau et jetaient des pommes de pin dans le feu ; ils en avaient des provisions dans leurs poches ; elles éclataient parmi les flammes avec un bruit vif et clair. Georges et Henri, qui ont quinze et treize ans, répondirent :

— Si c’est à cause de nous, va toujours, ne te gêne pas. Ça ne nous intéresse pas, vos histoires d’amour, dit avec mépris Georges de sa voix qui muait.

Quant au petit Loulou, il s’était endormi.

Mais Hélène secouait la tête et ne voulait pas parler. Le fiancé de Colette intervint timidement :

— Vous formez un ménage modèle. J’espère aussi… un jour pourtant… nous…

Il bafouillait. Il a l’air d’un bon garçon ; il a une figure maigre, douce, de beaux yeux inquiets de lièvre. Il est curieux qu’Hélène et Colette, la mère et la fille, aient recherché pour le mariage la même nature d’homme, sensible, délicate, presque féminine, facilement dominée et, en même temps, réservée, sauvage, presque pudique. Bon Dieu ! Je n’étais pas ainsi, moi ! Je les regardais tous les sept. J’étais un peu à l’écart. Nous avions pris notre repas dans la salle, qui est la seule pièce habitable de mon logement, avec la cuisine ; je couchais dans une espèce de mansarde au grenier. Cette salle est toujours un peu sombre et par ce soir de novembre elle était si obscure que lorsque le feu retombait on ne voyait rien que ces grands chaudrons, ces antiques bassinoires pendus au mur et dont le cuivre capte les moindres lueurs. Quand les flammes se ranimaient, elles éclairaient des visages placides, des sourires bienveillants, la main d’Hélène avec son anneau d’or qui caressait les boucles du petit Loulou. Hélène portait une robe de foulard bleu à pois blancs. Le cachemire à ramages de ma mère couvrait ses épaules. À côté d’elle François était assis, et tous deux contemplaient les enfants à leurs pieds. J’ai voulu rallumer ma pipe et j’ai élevé en l’air un bout de bois enflammé qui a projeté sa lumière sur ma figure. Il faut croire que je n’étais pas seul à observer ce qui m’entourait et que Colette, elle non plus, n’a pas les yeux dans sa poche, car elle s’est écriée tout à coup :

— Que vous avez donc l’air sardonique, cousin Silvio, je l’ai souvent remarqué.

Puis, se tournant vers son père :

— J’attends toujours le récit de vos amours, papa.

— Je vais vous raconter, dit François, ma première entrevue avec votre maman. Votre grand-père habitait alors au bourg. Comme vous le savez, il avait été marié deux fois. Votre maman était un enfant du premier mariage et sa belle-mère, de son côté, avait une fille, d’un premier mari également. Ce que vous ignorez, c’est qu’on me destinait cette jeune fille (la demi-sœur de votre mère par conséquent) comme épouse.

— C’est drôle, dit Colette.

— Oui, voyez ce que c’est que le hasard. J’entre pour la première fois dans cette maison, à la remorque de mes parents. J’allais au mariage comme un chien qu’on fouette. Mais ma mère tenait beaucoup à m’établir, la pauvre femme, et à force de supplications elle avait obtenu cette entrevue qui ne m’engageait à rien, avait-elle bien précisé. Nous entrons. Imaginez le plus sévère, le plus froid des salons de province. Il y avait sur la cheminée deux torchères de bronze qui figuraient les flambeaux de l’Amour et que je revois encore avec horreur.

— Et moi donc ! dit en riant Hélène. Ces flammes glacées et immobiles dans ce salon que l’on ne chauffait jamais avaient une valeur symbolique.

— La seconde femme de votre grand-père était, je ne vous le cacherai pas, douée d’un caractère…

— Tais-toi, dit Hélène, elle est morte.

— Heureusement… Mais votre mère a raison : paix aux morts. C’était une dame très forte et rousse, avec un gros chignon rouge et la peau très blanche. Sa fille ressemblait à un navet. Tout le temps que dura ma visite, cette malheureuse ne cessa de croiser et de décroiser sur ses genoux ses mains gonflées d’engelures et ne dit pas un mot. C’était l’hiver. On nous offrit six petits-beurre dans un compotier et des chocolats gris de vieillesse. Ma mère, qui était frileuse, éternuait sans arrêt. J’écourtai le plus possible la visite. Or, comme nous sortions enfin de la maison, la neige s’étant mise à tomber, je vis les enfants qui rentraient de l’école voisine et, parmi eux, courant et glissant dans la neige, chaussée de grosses galoches de bois, vêtue d’une pèlerine rouge, ses cheveux noirs tout défaits, ses joues vermeilles, de la neige sur le bout de son nez et sur ses cils, une petite fille qui avait alors treize ans. C’était votre maman : elle était poursuivie par des gamins qui lui jetaient des boules de neige dans le cou. Elle était à deux pas de moi ; elle se retourna ; elle empoigna de la neige à deux mains et la jeta droit devant elle, en riant, puis, comme son sabot était plein de neige, elle l’ôta et demeura debout sur le pas de la porte en sautant à cloche-pied, ses cheveux noirs dans sa figure. Après avoir quitté ce salon glacial, ces gens compassés, vous ne pouvez imaginer combien cette enfant semblait vivante et séduisante. Ma mère me dit qui elle était. Ce fut à cet instant que je résolus de l’épouser. Riez, mes petits. Ce fut moins un désir ou un souhait en moi qu’une sorte de vision. Je la vis en esprit plus tard, dans quelques années, sortant de l’église à mes côtés, ma femme. Elle n’était pas heureuse. Son père était vieux et malade ; sa belle-mère ne s’occupait pas d’elle. Je m’arrangeai pour qu’elle fut invitée chez mes parents. Je l’aidai à faire ses devoirs ; je lui prêtai des livres ; j’organisai des pique-niques, de petites sauteries pour elle, pour elle seule. Elle ne s’en doutait pas…

— Oh, mais si, fit Hélène, et sous ses cheveux gris les yeux eurent un éclair malicieux et la bouche, un sourire très jeune.

— Je partis pour finir mes études à Paris ; on ne demande pas en mariage une fillette de treize ans. Je m’en allai donc en me disant que je reviendrais cinq ans après et que j’obtiendrais sa main, mais elle s’est mariée à dix-sept ans ; elle a épousé un bien brave homme, beaucoup plus âgé qu’elle. Elle aurait épousé n’importe qui pour fuir sa belle-mère.

— Les derniers temps, dit Hélène, elle était si avare que nous n’avions qu’une paire de gants, ma demi-sœur et moi. En principe, nous devions les mettre chacune à son tour pour aller en visite. En fait, ma belle-mère s’arrangeait pour me punir chaque fois que nous devions sortir et c’était sa fille à elle qui mettait ces gants, de beaux gants de chevreau glacé. Ils me faisaient tellement envie que la perspective d’en avoir de pareils à moi, à moi seule, quand je serais mariée, me décida à dire oui au premier homme qui me demanda et qui ne m’aimait pas. On est bête quand on est jeune…

— J’eus beaucoup de chagrin, dit François, et, à mon retour, quand je vis la jeune femme délicieuse, un peu triste que ma petite amie était devenue, je fus très épris… Elle, de son côté…

Il se tut.

— Oh, comme ils rougissent, s’écria Colette en battant des mains, en désignant alternativement son père et sa mère. Allons, dites tout ! C’est de là que date le roman, n’est-ce pas ? Vous vous êtes parlé, vous vous êtes compris. Il est reparti, la mort dans l’âme, parce que tu n’étais pas libre. Il a attendu bien fidèlement, et quand tu as été veuve, il est revenu et il t’a épousée. Vous avez vécu heureux, et vous avez eu beaucoup d’enfants.

— Oui, c’est bien cela, dit Hélène, mais, mon Dieu, auparavant, que de soucis, que de larmes ! Que tout paraissait difficile à arranger, irréconciliable ! Que tout cela est loin… Quand mon premier mari est mort, votre père était en voyage. Je croyais qu’il m’avait oubliée, qu’il ne reviendrait pas. Quand on est jeune, on a tant d’impatience. Chaque jour qui passe et qui est perdu pour l’amour vous déchire. Enfin, il est revenu.

Il faisait tout à fait nuit au dehors. Je me suis levé et j’ai fermé les grands volets de bois plein qui rendent un son si lugubre et gémissant dans le silence. Ce bruit les a fait tressaillir et Hélène a dit qu’il était temps de rentrer. Jean Dorin s’est levé bien docilement pour aller chercher dans ma chambre les manteaux de ces dames. J’entendis Colette demander :

— Maman, et ta demi-sœur, qu’est-elle devenue ?

— Elle est morte, mon chéri. Tu te rappelles, il y a sept ans, nous sommes allés, ton père et moi, à un enterrement à Coudray, dans la Nièvre. C’était cette pauvre Cécile.

— Elle était aussi méchante que sa mère ?

— Elle ? Oh, non, pauvre créature ! Il n’y avait pas de femme plus douce et plus complaisante. Elle m’aimait tendrement et je le lui rendais. Elle a été comme une vraie sœur pour moi.

— C’est drôle qu’elle ne venait jamais nous voir…

Hélène ne répondit pas. Colette lui posa encore une question ; la mère ne répondit pas davantage. Enfin, comme Colette insistait, la mère :

— Oh, tout cela est si vieux, dit-elle, et sa voix fut tout à coup bizarre, altérée, lointaine, comme si elle parlait en songe.

Alors le fiancé revint avec les manteaux et nous partîmes. J’accompagnai mes cousins jusqu’à chez eux. Ils habitent à quatre kilomètres d’ici une charmante maison. Nous avancions dans un chemin étroit et plein de boue, les garçons devant, avec leur père, puis les fiancés, puis Hélène et moi.

Hélène me parlait des jeunes gens :

— Il a l’air d’un bon garçon, ce Jean Dorin, n’est-ce pas ? Ils se connaissent depuis longtemps. Ils ont pour eux toutes les chances de bonheur. Ils vivront, comme nous avons vécu avec François, une existence tranquille, unie, digne… tranquille surtout… sans secousses, sans orages… Est-ce donc si difficile d’être heureux ? Il me semble que le Moulin-Neuf a en lui quelque chose d’apaisant. J’avais toujours rêvé d’une maison bâtie près de la rivière, de me réveiller la nuit, bien au chaud dans mon lit, et d’entendre couler l’eau. Bientôt, un enfant, continua-t-elle, rêvant tout haut. Mon Dieu, si on savait, à vingt ans, comme la vie est simple…

Je pris congé d’eux devant la grille du jardin ; elle s’ouvrit avec un grincement aigu et se referma sur cette note grave, basse, comme un coup de gong qui procure à l’oreille un singulier plaisir, du même ordre qu’un vieux bourgogne en donne au palais. La maison est recouverte d’une vigne vierge verte et épaisse, parcourue au moindre vent de frissons moirés, mais en cette saison il ne restait que quelques feuilles sèches et un lacis de fils de fer éclairés par la lune. Quand les Érard furent rentrés, je demeurai un instant sur la route avec Jean Dorin, et je vis s’allumer les unes après les autres les fenêtres du salon et des chambres ; elles brillaient de toutes leurs paisibles lumières dans la nuit.

— Nous comptons bien sur vous pour la cérémonie ? me demanda anxieusement le fiancé.

— Comment donc ! Il y a bien dix ans que je n’ai été à un repas de noces, dis-je, et je revoyais tous ceux auxquels il m’avait été donné d’assister, ces longues ripailles de province, les figures rouges des buveurs, les garçons loués à la ville voisine avec des chaises et le parquet du bal, la bombe glacée au dessert, le marié qui souffre dans ses souliers trop étroits et, surtout, surgis de tous les coins et recoins de la campagne environnante, la famille, les amis, les parents, les voisins, perdus de vue parfois depuis des années et qui reviennent tout à coup comme des bouchons sur l’eau, chacun éveillant dans la mémoire le souvenir de brouilles dont l’origine se perd dans la nuit des temps, d’amours et de haines mortes, de fiançailles rompues et oubliées, d’histoires d’héritages et de procès…

Le vieil oncle Chapelain qui a épousé sa cuisinière, les deux demoiselles Montrifaut, deux sœurs qui ne se parlent plus depuis quatorze ans, quoiqu’elles habitent la même rue, parce que l’une d’elles, un jour, n’a pas voulu prêter à l’autre sa bassine à confitures, et le notaire dont la femme est à Paris avec un commis-voyageur, et… Mon Dieu, quelle réunion de fantômes, un mariage de province ! Dans les grandes villes on se voit tout le temps, ou on ne se voit jamais, c’est plus simple. Ici… Des bouchons sur l’eau, je vous dis. Hop ! les voilà qui apparaissent et, dans le remous qu’ils font, que de vieux souvenirs ! Puis ils plongent, et, pour dix ans, les voilà oubliés.

Je sifflai mon chien qui nous avait suivis et brusquement je quittai le fiancé. Je rentrai. Il fait bon chez moi. Le feu baisse. Quand il ne joue plus, ne danse plus, ne lance plus de tous côtés des flammes rayonnantes, ses milliers d’étincelles qui se perdent sans lumière, ni chaleur, ni profit pour personne, quand il se contente de faire bouillir doucement la marmite, c’est alors qu’il fait bon.