Chapitre 1 — Prologue : Le jour où tout s'effondre
Alice Marceau
La lumière du matin filtrait à travers les rideaux de satin crème, caressant doucement les murs blancs de la chambre. Alice Marceau, vêtue d'une chemise en soie ivoire, croisa son reflet dans le miroir de sa coiffeuse. Une promesse d'avenir brillait dans ses yeux gris acier. Aujourd'hui devait être le plus beau jour de sa vie.
Le voile, encore replié sur le fauteuil en osier, semblait l'attendre avec patience. Ses cheveux bruns, soigneusement relevés en un chignon élégant, trahissaient un soin méticuleux. Mais l’élégance de son apparence ne pouvait apaiser les flots d’émotions qui bouillonnaient en elle. Une légère nervosité se mêlait à une excitation palpable.
Assise devant le miroir, elle ajusta ses fines lunettes et contempla le bracelet en argent à son poignet, cadeau de son fiancé, Étienne. Son cœur se serra légèrement en pensant à lui. Étienne n’était pas seulement l’homme qu’elle aimait ; il était son pilier, son mentor, celui qui avait éveillé en elle la passion pour la justice. Ils partageaient tout : leurs rêves, leurs ambitions, et aujourd'hui, ils devaient unir leurs vies.
Elle se souvenait encore de leur dîner de la veille. Attablés dans leur restaurant favori près des quais de Saône, Étienne avait levé son verre avec ce sourire taquin qu'elle aimait tant. « À demain, ma future épouse. Prépare-toi à dominer le monde à deux. » Ces mots résonnaient encore en elle, amplifiant la déchirure qui allait bientôt s’ouvrir.
Un léger coup à la porte interrompit ses pensées. Sa mère entra, vêtue d'une robe élégante mais modeste, un sourire bienveillant aux lèvres, bien qu’un brin crispé.
— Alice, ma chérie, le photographe est arrivé. Il veut quelques clichés avant que tu te prépares complètement. Tu es magnifique, tu sais ? Étienne va être ébloui.
— Merci, maman, répondit Alice avec un sourire doux mais distant.
Sa mère s'approcha, réajustant distraitement un pli imaginaire sur la chemise d'Alice.
— Je suis si fière de toi, tu sais. Étienne est exceptionnel, mais toi... tu es une force, ma fille.
Alice détourna légèrement les yeux, touchée mais mal à l'aise face à tant de fierté. Une étrange appréhension grignotait le fond de son esprit, comme une ombre insaisissable.
— Je finis juste ici, je descends dans cinq minutes.
Sa mère hocha la tête et referma doucement la porte. Alice inspira profondément, tentant de chasser cette sensation qu’elle ne parvenait pas à nommer. Elle parcourut du doigt la surface du miroir, comme si elle cherchait des réponses dans son propre reflet.
Alors qu’elle se levait pour attraper son téléphone posé sur la table de nuit, une vibration retentit. L’écran affichait "Étienne". Un sourire instinctif illumina son visage, mais avant qu’elle puisse répondre, l'appel s’interrompit. Elle fronça les sourcils et tenta de le rappeler, mais la tonalité sonnait dans le vide. Elle posa le téléphone, se disant qu'il devait être en route, peut-être coincé dans le trafic matinal de Lyon.
Les minutes passèrent. Une deuxième vibration, cette fois un message. Curieuse, elle ouvrit la notification. Mais ce n’était pas Étienne. Le nom affiché appartenait à un collègue d’Étienne, un certain maître Franck Leroux.
"Maître Marceau, veuillez me rappeler immédiatement. Il y a eu un accident. C'est urgent."
Le sang d’Alice se glaça. Ses doigts se figèrent sur l'écran. Tout autour d'elle sembla ralentir. Les sons de la maison – le rire distant des enfants, les discussions des membres de la famille – lui parvenaient comme à travers une épaisse vitre. Elle composa le numéro de Leroux, sa voix tremblante lorsqu’il décrocha.
— Franck ? Que se passe-t-il ?
— Alice… Je suis désolé… Étienne… il a eu un accident de voiture ce matin en se rendant au tribunal. Les pompiers sont arrivés trop tard.
Les mots tombèrent comme des pierres. Chaque syllabe semblait creuser un gouffre sous elle. Incapable de répondre, Alice resta silencieuse, les yeux rivés sur le voile posé sur le fauteuil. Franck continua doucement, conscient du choc qu’elle devait ressentir.
— La police pense que… ce pourrait être un suicide. Il roulait à une vitesse excessive, mais… ce n’est pas clair. Je…
— Non, coupa Alice d’une voix cassée. Ce n’est pas possible. Étienne ne ferait jamais ça. Il… il allait bien.
Franck hésita, puis soupira doucement.
— Je sais, Alice. Je ne comprends pas non plus.
Alice raccrocha, incapable d’entendre davantage. Son téléphone tomba au sol, brisant le lourd silence de la pièce. Ses jambes cédèrent sous elle, et elle s’assit sur le bord du lit, le regard fixe. Son esprit tentait de comprendre, de trouver un sens à l’impensable. Étienne ? Mort ? Et cette idée absurde de suicide… Non. Ce n’était pas possible.
Des pas précipités dans le couloir la tirèrent de son état de stupeur. Sa mère entra à nouveau, alarmée par le bruit.
— Alice, qu’est-ce qui ne va pas ?
La voix de sa mère était douce mais inquiète. Alice leva les yeux et, pour la première fois, sentit les larmes brûler ses joues.
— C'est Étienne… il est parti.
Le visage de sa mère se décomposa, mais Alice détourna les yeux, incapable de supporter la douleur qu’elle lisait sur ses traits. Un silence pesant s’installa.
Quelques heures plus tard, Alice se retrouva seule sur les lieux de l’accident. Le tribunal de Lyon n'était qu'à quelques rues de l’endroit où la voiture d’Étienne avait terminé sa course, encastrée contre un lampadaire. Sous un ciel gris menaçant, des débris épars jonchaient encore la route. La carcasse du véhicule avait été enlevée, mais une marque de pneu sur l’asphalte témoignait encore de l’impact brutal.
Alice s’agenouilla près du trottoir, là où les restes de verre brisé scintillaient faiblement sous la lumière déclinante. Une odeur de métal et de brûlé persistait dans l'air. Elle toucha du bout des doigts un morceau de plastique noirci, appartenant probablement au rétroviseur. Une colère sourde monta en elle, mêlée d’un désespoir qu’elle ne pouvait contenir.
— Pourquoi ? murmura-t-elle. Pourquoi Étienne aurait-il accéléré ainsi ?
Ses genoux lâchèrent et elle posa ses mains à terre, tremblante. Tout dans cette scène semblait absurde. La veille encore, il parlait de leur avenir avec enthousiasme. Comment une personne si pleine d’entrain aurait-elle pu…
Soudain, son téléphone vibra à nouveau, brisant le fil de ses pensées. Cette fois, c’était un message automatique de l’opérateur : "Un appel manqué de Étienne – 07h32." Son cœur s’arrêta un instant. L'appel qu'elle n'avait pas vu, qu'elle avait ignoré.
De retour chez elle, tard dans la soirée, Alice rangea méthodiquement les affaires d’Étienne dans une boîte. Chaque objet – une montre, une cravate, un carnet juridique à la couverture usée – semblait porter un fragment de leur histoire. Mais au lieu de la réconforter, ces souvenirs lui donnaient l'impression qu'il s'éloignait davantage.
Elle verrouilla le tiroir où elle plaça la boîte et, pour la première fois depuis l’appel, laissa éclater sa douleur. Une douleur brute, silencieuse, qui résonna dans les murs de sa chambre.
Ce jour-là, Alice Marceau changea. Elle enterra une part d’elle-même avec Étienne. Mais elle fit également une promesse silencieuse : jamais elle ne laisserait une vérité aussi insaisissable lui échapper à nouveau. Quoi qu'il en coûte, elle chercherait la justice, non seulement pour les autres, mais pour elle-même.
Sous le ciel de Lyon, une étoile invisible semblait s’éteindre. Mais quelque part, au cœur de cette obscurité, naissait une détermination nouvelle, froide et inébranlable.