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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Un cas délicat


Alice Marceau

La brume matinale enveloppait doucement les toits de Paris, effaçant les contours des immeubles au loin. Alice Marceau, assise à son bureau, observait distraitement la ville au-delà de la vitre. La lueur tamisée du jour naissant adoucissait les angles froids de son espace de travail. Sur la surface immaculée de son bureau, une pile de dossiers soigneusement alignés attendait son attention, flanquée d’une tasse de café abandonnée, dont l’arôme s’était déjà dissipé. Pourtant, ses pensées étaient ailleurs.

Deux ans s’étaient écoulés depuis la mort d’Étienne, et si le temps avait adouci les bords tranchants de sa douleur, il n’avait pas effacé la cicatrice. Cette perte l’avait redéfinie, et elle s’était forgé une réputation d’avocate intraitable, animée d’une quête inébranlable pour la vérité.

Son téléphone vibra soudain, déchirant le silence soigneusement construit de son bureau. Le nom qui s’affichait sur l’écran lui était inconnu : Maître Franck Leroux.

Elle décrocha, un léger froncement de sourcils accentuant sa concentration.

— Maître Marceau, à l'appareil.

La voix au bout du fil était grave, ponctuée d’une légère urgence.

— Bonjour, Maître. Franck Leroux. Je me permets de vous contacter à propos d’une affaire urgente. Louise Bélanger a besoin de vos services.

Alice se redressa, intriguée. Le nom résonnait vaguement, mais elle n’arrivait pas encore à le replacer.

— Continuez, répondit-elle d’un ton mesuré.

— Louise Bélanger est la veuve de Marc Bélanger. Son nom ne vous est peut-être pas inconnu : c’était un homme d’affaires influent, décédé il y a un an. Sa famille accuse Louise d’avoir manipulé Marc pour s’accaparer son héritage. Ils viennent de déposer une plainte officielle.

Il marqua une pause, avant d’ajouter d’un ton plus grave :

— La famille Bélanger est puissante, bien connectée. Ce sera une bataille difficile. Louise insiste pour se défendre, et elle m’a spécifiquement demandé de vous recommander.

Alice sentit un poids nouveau se poser dans la pièce. Une recommandation explicite n’était pas inhabituelle, mais la mention d’une « compréhension particulière » éveilla sa curiosité, mêlée d’un soupçon d’agacement.

— Pourquoi moi ? demanda-t-elle, sa voix impénétrable.

Leroux hésita avant de répondre.

— Elle dit que vous êtes la seule à pouvoir comprendre ce qu’elle traverse.

Le silence s’installa, lourd. L’évocation d’Étienne était implicite mais claire. Alice pinça les lèvres, retenant un élan de contrariété face à cette intrusion dans son passé. Pourtant, elle ne put ignorer un tiraillement intérieur : l’ombre de sa propre douleur semblait s’immiscer dans cette affaire. Après une brève réflexion, elle répondit :

— Très bien. Envoyez-moi les détails. Je la rencontrerai.

***

Quelques heures plus tard, Alice se tenait dans une petite salle de réunion de son cabinet. La lumière diffuse des plafonniers tombait doucement sur la table, où Louise Bélanger était déjà assise, les mains nouées nerveusement sur ses genoux.

Elle était jeune, pas plus de vingt-sept ans, et sa silhouette frêle contrastait avec l’image de prédatrice que la presse semblait s’acharner à projeter sur elle. Ses yeux, rouges et fatigués, racontaient des nuits d’insomnie et les larmes retenues d’un chagrin qu’elle tentait de maîtriser.

En se levant précipitamment, Louise tendit une main hésitante.

— Maître Marceau, murmura-t-elle d’une voix tremblante.

Alice serra la main brièvement, notant la moiteur de sa paume.

— Asseyez-vous, Madame Bélanger, dit-elle avec douceur mais fermeté. Nous allons commencer par votre version des faits.

Louise s’assit, joignant nerveusement ses mains. Sa voix tremblait légèrement lorsqu’elle commença :

— Marc et moi… nous nous sommes mariés il y a trois ans. Nous avons eu un coup de foudre lors d’un vernissage. Il était… il était tout pour moi.

Alice hocha doucement la tête, l’encourageant à poursuivre.

— Sa famille n’a jamais approuvé notre union. Ils pensaient que je n’étais qu’une arriviste, que je cherchais à profiter de lui… Mais ils se trompent. Je l’aimais sincèrement.

Elle hésita, baissant les yeux un instant.

— Quand Marc est tombé malade, j’étais à ses côtés chaque jour, jusqu’à son dernier souffle. Mais maintenant qu’il est parti, sa famille se retourne contre moi. Ils m’accusent d’avoir influencé Marc pour qu’il modifie son testament.

Alice croisa ses mains sur la table, son regard froid mais attentif fixé sur la jeune femme.

— Et vous ? L’avez-vous influencé ?

La question frappa comme un coup, mais Louise redressa la tête, ses yeux s’illuminant d’une détermination inattendue.

— Non ! Marc a pris cette décision de son plein gré. Il savait que sa famille ne pensait qu’à son argent. Il voulait me protéger.

Alice observa Louise en silence, étudiant son visage. Elle y perçut à la fois une sincérité brute et une fragilité qui laissait présager des failles exploitables par ses adversaires. Louise semblait honnête, mais le monde où elles allaient se battre ne pardonnait ni la faiblesse ni l’hésitation.

— Très bien, dit-elle enfin. Je vais examiner les documents et nous préparerons une stratégie. Mais soyez prévenue : ce combat sera long et difficile. La famille Bélanger utilisera chaque ressource et chaque connexion pour vous écraser. Êtes-vous prête à cela ?

Louise serra les bords de la table, son visage pâle mais résolu.

— Je n’ai plus rien à perdre, Maître.

Alice se leva, mettant fin à l’entretien.

— Alors nous commençons immédiatement.

***

Le soir, Alice rentra chez elle, exténuée. Son appartement, plongé dans une obscurité apaisante, était éclairé seulement par la lumière orangée des lampadaires filtrant à travers les rideaux. Elle retira ses talons et s’effondra sur le canapé, son regard fixé sur un point invisible du mur.

La détermination de Louise lui avait rappelé quelque chose, ou plutôt quelqu’un : elle-même, deux ans plus tôt, lorsqu’elle avait juré de ne plus jamais laisser une injustice la terrasser. Mais cette affaire était différente. Louise était vulnérable, et s’attaquer à une dynastie comme les Bélanger était une entreprise risquée, même pour quelqu’un comme Alice.

Son regard tomba sur une photo encadrée d’Étienne, posée sur la table basse. Elle tendit la main, effleurant doucement le verre du bout des doigts. Sa poitrine se serra sous une douleur sourde.

— Qu’aurais-tu fait, toi ? murmura-t-elle dans le silence.

Bien sûr, il n’y avait pas de réponse. Il n’y en avait jamais.

Inspirant profondément, elle refoula cette douleur familière dans un recoin de son esprit et se leva pour préparer un thé. Son téléphone vibra sur la table, brisant le calme de la pièce. Elle lut le message de Franck Leroux :

"Attention. L’avocat de la famille Bélanger sera Victor Renard."

Le nom frappa Alice comme une gifle. Elle resta immobile, le téléphone encore dans sa main, alors que des souvenirs enfouis refaisaient surface. Les joutes verbales à l’université, les regards suffisant qu’il lançait à chaque victoire… et cette dernière fois où leurs chemins s’étaient séparés, marqués par une rivalité qui n’avait jamais été vraiment enterrée.

Un sourire glacé effleura ses lèvres.

— Très bien, murmura-t-elle. Que le duel commence.