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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Rivalités retrouvées


Troisième personne

Le Palais de Justice de Paris s’élevait dans la lumière grise de l’après-midi, ses colonnes imposantes projetant des ombres rigides sur le parvis. Alice Marceau traversait la vaste Salle des Pas Perdus, ses talons résonnant sur le marbre froid. L’ambiance était à la fois imposante et oppressante, les murmures feutrés des avocats et les pas pressés créant une chorégraphie discrète. La lumière tamisée filtrée à travers les hautes fenêtres arquées donnait au lieu un éclat spectral. Alice, tailleur noir parfaitement ajusté et chignon strict, avançait d’un pas assuré, son attaché-case serré dans sa main. Ses lunettes reflétaient les lueurs diffuses de l’espace, cachant temporairement son regard déterminé.

Elle approcha de la salle de réunion, une pièce sobre aux murs crème et à l’éclairage légèrement trop agressif. Une odeur vague de cire et de papier ancien flottait dans l’air. Derrière une table en bois verni, Victor Renard était déjà installé. Sa silhouette élégante et nonchalante tranchait avec l’austérité du décor. Son costume bleu marine impeccable et sa cravate bordeaux apportaient une touche de couleur affirmée. En la voyant entrer, il se leva avec un sourire qu’elle reconnaissait immédiatement : désarmant, calculé, et surtout, exaspérant.

— Alice Marceau. Ça faisait longtemps, dit-il, sa voix veloutée teintée de la même ironie qu’elle connaissait autrefois.

Alice s’arrêta devant lui, ajustant ses lunettes d’un geste mesuré avant de lui serrer la main.

— Maître Renard, répondit-elle froidement. J’ignorais que vous aviez quitté les États-Unis.

Victor éclata d’un rire bref, presque amusé par son ton glacial.

— Le charme de Paris m’a rappelé, dit-il en haussant légèrement les épaules. Et vous, toujours aussi imperturbable. Je vois que le temps n’a pas émoussé votre discipline.

Elle retira sa main avant qu’il ne puisse la retenir plus longtemps, puis s’assit sans l’inviter à reprendre place.

— Je propose que nous nous concentrions sur les raisons de cette réunion, dit-elle d’un ton tranchant. Votre client et le mien ont des intérêts opposés. Et je vous préviens d’emblée : je n’ai aucune intention de me laisser distraire.

Victor, toujours debout, sembla peser ses options avant de se rasseoir avec une désinvolture qui frôlait l’insolence.

— Eh bien, allons droit au but, alors, dit-il, ouvrant un dossier en cuir avec une précision presque théâtrale. Vous défendez Louise Bélanger, la veuve éplorée ? Une posture classique, mais risquée.

Alice redressa légèrement le menton.

— Louise Bélanger est une jeune femme injustement accusée d’avoir manipulé son mari. Mon rôle est de m’assurer que ses droits soient respectés, ce qui, je dois l’ajouter, semble être un concept étranger à votre client.

Victor haussa un sourcil, un éclat amusé dans les yeux.

— Et moi, je suis ici pour m’assurer que les volontés de Marc Bélanger soient honorées et que les intérêts de sa famille soient protégés. Mais vous savez, Alice, la vérité n’est jamais aussi simple qu’on le voudrait.

Elle le fixa, son expression impénétrable, avant de répondre :

— Non, Victor. Mais elle mérite qu’on se batte pour elle.

Un silence tendu s’installa entre eux, chargé du poids de leur passé et de leur rivalité renaissante. Alice sentit une chaleur familière monter en elle : un mélange d’irritation et d’excitation. À l’université, il avait toujours eu ce don pour la provoquer, pour transformer chaque échange intellectuel en un duel passionné. Et visiblement, cela n’avait pas changé.

Victor s’appuya légèrement sur le dossier de sa chaise, son regard brillant d’une lueur de défi.

— La famille Bélanger prévoit de faire témoigner plusieurs anciens collaborateurs de Marc, dit-il d’un ton presque détaché. Des amis proches qui pourront attester de son jugement et de son état d’esprit dans ses derniers mois. Certains évoqueront même des discussions où il aurait exprimé des doutes sur les motivations de sa femme.

Alice sentit un pincement dans l’estomac, mais son visage resta impassible.

— Des témoins biaisés, répondit-elle calmement. J’espère que vous êtes prêt à justifier leur crédibilité.

Victor esquissa un sourire narquois.

— Toujours aussi incisive, Alice. Mais je vous retourne la question : Louise Bélanger a-t-elle quelque chose à cacher ?

Alice soutint son regard sans faiblir.

— Rien qui ne soit pertinent à cette affaire.

Victor hocha la tête, mais un instant, son sourire sembla vaciller, comme si une pensée furtive l’avait distrait. Il reprit rapidement son masque de confiance.

— Nous verrons bien.

Leur échange, bien que professionnel en surface, était marqué par des coups subtils, des insinuations glissées dans chaque mot. Alice ne pouvait ignorer le plaisir que Victor semblait tirer de cette joute, mais elle ne pouvait nier qu’une partie d’elle-même se sentait stimulée par ce duel. Il excellait dans l’art de détourner l’attention, un don qu’elle connaissait trop bien.

Ils discutèrent encore quelques instants des aspects techniques de l’affaire, leurs échanges ponctués de sous-entendus et d’attaques voilées. Finalement, Victor referma son dossier avec un claquement sec et se leva, l’ombre d’un sourire persistant sur ses lèvres.

— Une dernière chose, dit-il, se penchant légèrement vers elle. Je suis ravi d’avoir l’opportunité de travailler face à vous à nouveau, Alice. Cela rend les choses beaucoup plus... intéressantes.

Elle se leva à son tour, maintenant un calme apparent malgré l’accélération de son rythme cardiaque.

— Si par "intéressant", vous entendez "difficile", alors oui, je suis sûre que ce sera mémorable, répondit-elle avec une pointe d’ironie.

Victor éclata de rire, sincèrement amusé cette fois, avant de se diriger vers la porte.

— À bientôt, Maître Marceau, lança-t-il par-dessus son épaule avec son sourire désarmant, qui restait, malgré elle, gravé dans son esprit.

Alice le suivit du regard, son cœur battant légèrement plus vite. Elle inspira profondément, rassemblant ses pensées. Ce duel ne faisait que commencer, et elle savait que Victor Renard n’épargnerait aucun effort pour tenter de la déstabiliser. Mais elle ne cèderait pas.

Alors qu’elle sortait à son tour de la salle, ses pas résonnant à nouveau dans la Salle des Pas Perdus, elle se surprit à repenser à leurs échanges d’autrefois. Ces moments où l’arrogance de Victor n’avait d’égal que son intelligence. Aujourd’hui, il semblait toujours aussi brillant, mais peut-être moins invulnérable qu’il ne le laissait paraître. Sous le haut plafond de marbre, elle releva le menton, prête à affronter non seulement l’affaire Bélanger, mais aussi les fantômes de son passé.