Chapitre 3 — Le Coup de Pouvoir de Victor
Victor Steele
Victor Steele se tenait devant les immenses fenêtres du plafond au sol de son penthouse, tournant le dos à la pièce somptueuse, ses yeux gris perçants fixant la vue plongeante sur la ville tentaculaire. La ligne d’horizon scintillait d’une arrogance éclatante—des tours majestueuses transperçaient les nuages, tandis que des rivières de phares serpentaient à travers les veines de la métropole. C’était son domaine. Chaque lumière scintillante témoignait de son emprise, chaque ombre dissimulait ses manœuvres. À cette hauteur, un faible bourdonnement urbain atteignait encore ses oreilles, adouci mais régulier, comme le battement d’un cœur—celui de la créature gigantesque qu’il contrôlait.
Dans sa main, Victor faisait lentement tourner un verre de whisky, le liquide ambré capturant la douce lumière des plafonniers. Il brillait tel un or liquide, incarnant à la fois maîtrise et plaisirs coupables. Son autre main reposait légèrement sur le verre froid de la fenêtre, ses doigts tapotant un rythme méthodique, tel un métronome de réflexion. Une légère odeur de cuir flottait dans l’air, mêlée à la fumée ténue d’un cigare éteint depuis des heures. Le penthouse respirait une élégance austère : les sols en marbre noir réfléchissaient les lignes angulaires du mobilier chromé, et des sculptures abstraites se dressaient comme des gardiennes silencieuses de sa richesse, choisies davantage pour leur présence intimidante que pour leur message artistique. Au centre de la pièce, un bureau en acajou, impeccablement ordonné, n’accueillait qu’un seul objet : un échiquier en marbre noir où une partie était en cours.
Un carillon doux brisa le silence. La porte coulissa, libérant brièvement un soupir d’air insonorisé, tandis que Dominic, le lieutenant dévoué de Victor, pénétrait dans la pièce. Le costume sur-mesure de Dominic masquait à peine sa stature imposante, et ses mouvements étaient précis, évoquant ceux d’un prédateur évoluant dans son territoire. La porte se referma derrière lui dans un léger sifflement, restituant à la pièce son calme oppressant.
Victor parla sans se retourner, sa voix basse et lisse, empreinte d’une menace latente. « Dominic. »
Dominic inclina légèrement la tête. « L’affaire est réglée. »
Victor se retourna lentement, chaque geste mesuré et calculé. Il s’approcha de l’échiquier, posant son verre de whisky à côté. Le léger tintement du verre contre le bois brisa le silence. Ses longs doigts caressèrent doucement la reine noire, effleurant sa surface polie avec une révérence presque religieuse. « Des détails », ordonna-t-il, sa voix tranchante et autoritaire.
« Le témoin ne témoignera pas », répondit Dominic, ses paroles nettes et succinctes. « Il a… été éliminé. » Aucune justification supplémentaire n’était nécessaire. Dans l’univers de Victor Steele, certaines vérités étaient mieux tues.
Un sourire fin étira les lèvres de Victor, sans chaleur aucune. Il reposa la reine sur l’échiquier avec un clic délibéré, un son qui résonnait comme le coup d’un marteau de jugement. « Bien », murmura-t-il, ses yeux gris rencontrant ceux de Dominic avec une intensité glaciale. « Les fins non résolues sont inacceptables. Elles défaisaient des empires. »
Un silence pesant enveloppa la pièce, perturbé uniquement par le doux clapotis du whisky que Victor savourait à petites gorgées. Dominic se déplaça imperceptiblement, ses larges épaules trahissant une légère hésitation. « Il y a autre chose », dit-il, sa voix ferme mais précautionneuse. « Lydia March a repris l’affaire Black. »
Victor suspendit sa gorgée. Une tension fugace passa sur sa mâchoire avant qu’il ne retrouve son calme glacial. Il reposa son verre avec une précision méthodique et se concentra de nouveau sur l’échiquier. Ses doigts effilés firent avancer un pion noir. « Lydia March », répéta-t-il, son ton chargé d’une nuance de mépris. « Une femme de principes qui s’aventure sciemment dans l’abîme. »
Dominic hésita, étudiant la réaction de Victor. « Elle est futée », risqua-t-il prudemment. « Et Julia Carter fouille pour elle. »
Victor laissa échapper un rire bref, sombre, chargé de mépris. Un geste nonchalant de sa main fit tinter sa bague contre le verre, amplifiant son aura d’autorité. « Julia Carter », railla-t-il, « est une souris dans une maison pleine de pièges. Elle pourrait bien tomber sur quelque chose de précieux, mais elle ne vivra pas assez longtemps pour en profiter. »
Son attention revint à l’échiquier. Il déplaça un cavalier en un arc précis, sa gestuelle fluide mais déterminée. « Et Rowan Black ? », demanda-t-il, sa voix se durcissant imperceptiblement bien que son visage restât impassible.
Dominic sembla plus mal à l’aise, son poids se déplaçant légèrement. « Il persiste... »
Les doigts de Victor s’immobilisèrent au-dessus du cavalier, une ombre passant sur son visage. Pendant un moment, il resta silencieux, sa silhouette se découpant nettement dans la lumière froide et artificielle du penthouse. « Rowan Black », finit-il par dire, sa voix chargée de venin. « Un charognard qui a pris ma générosité pour de la faiblesse. Il m’a trahi, Dominic. La trahison appelle une réponse. »
Il laissa tomber le cavalier sur l’échiquier dans un bruit sourd et calculé. Se tournant vers Dominic, il le transperça d’un regard d’acier. « Survivre n’est pas triompher. Rowan apprendra cette leçon. » Sa voix était plus tranchante, aiguisée comme une lame.
Dominic inclina la tête, un geste d’acquiescement. « Dois-je envoyer un message ? »
Victor s’avança lentement vers la fenêtre, ses mains croisées derrière son dos. La lumière de la ville se reflétait faiblement sur la surface vitrée, une écho déformé de son empire. Lorsqu’il parla, ce fut doucement, presque pour lui-même, mais ses mots avaient la précision d’une sentence. « Oui. Mais pas à lui. Pas encore. »
Il se retourna vers Dominic, un sourire prédateur réapparaissant sur ses lèvres. « Envoyez-le à elle. »
Le visage de Dominic se plissa légèrement de confusion. « À Lydia March ? »
Victor hocha la tête, son calme intact. « Pénétrez dans sa petite forteresse immaculée. Brisez son illusion de contrôle. Faites-lui comprendre qu’elle est observée, qu’elle est vulnérable. Mais ne lui faites aucun mal—pas encore. » Sa main désigna l’échiquier, encerclant la reine noire avec les pions. « La peur, Dominic, est bien plus efficace que la douleur. Laissez-la s’enraciner. Laissez-la étouffer dans ses propres principes. »
Dominic parut hésiter, son inconfort devenant palpable malgré sa façade contrôlée. « Je m’en charge », finit-il par répondre, sa voix mesurée mais résolue.
Les yeux de Victor se plissèrent, perçant Dominic d’un regard qui ne tolérait ni erreur ni faiblesse.« Et Dominic, » ajouta-t-il, son ton baissant d’un octave, « assure-toi qu’elle comprenne à quel jeu elle joue. »
Dominic acquiesça d’un léger signe de tête et se tourna pour partir, le doux chuintement de la porte scellant sa sortie. Victor resta près de la fenêtre, l’air contemplatif, ses pensées déjà à plusieurs coups d’avance. Il leva à nouveau son verre de whisky, le liquide ambré capturant la lumière tamisée, et en prit une gorgée lente et calculée.
La ville s’étendait à perte de vue devant lui : un labyrinthe de lumière et d’ombres. Les doigts de Victor effleurèrent l’échiquier tandis qu’il saisissait le roi noir, la surface polie de la pièce froide sous ses doigts. Pour lui, le monde était simple : un jeu de stratégie, de manipulation et de contrôle absolu.
Et lui, comme toujours, tenait l’échiquier.