Chapitre 1 — L'Invitation
Celeste Marlowe
Les bords frais et impeccables de l’invitation effleurèrent le bout des doigts de Celeste Marlowe tandis qu’elle la retournait, son pouce glissant sur les lettres gaufrées. Le carton épais couleur crème dégageait une élégance mesurée, retenue et indéniablement puissante. Un léger parfum de papier de qualité flottait dans l’air, rappelant son origine : une entité qui accordait autant de valeur à l’héritage qu’à l’influence. *« Projet de Rénovation du Château de Lumière : Une invitation exclusive pour perpétuer l’héritage parisien. »*
Celeste posa la carte sur son bureau en verre avec la précision de quelqu’un plaçant la dernière pièce d’un casse-tête complexe. Pourtant, ses doigts restèrent suspendus une seconde de trop, trahissant un courant de tension qu’elle refusait de nommer. Les enjeux étaient clairs. Gagner ce projet ne relevait pas seulement du prestige. Il s’agissait de cimenter Marlowe Kane Designs comme un acteur incontournable de l’industrie, de prouver que sa vision mesurée et disciplinée pouvait surpasser le tumulte chaotique des tendances. Il s’agissait de contrôle — de son travail, de son avenir, de son héritage.
L’horloge affichait 14h57. Evander Kane arriverait dans exactement trois minutes. Il était prévisible dans son imprévisibilité, toujours en retard mais juste assez pour éviter un réel reproche. Celeste croisa les mains, ses yeux gris se plissant légèrement en se posant sur l’invitation. Une pointe d’anxiété effleura sa concentration, non invitée et non désirée, mais elle la réprima avec une maîtrise habituelle. Ce n’était pas le moment de douter.
La porte du bureau s’ouvrit à 15h00 précises. Evander entra d’un pas décontracté, ses mèches châtain en bataille et son sourire juvénile respirant un charme désinvolte. Il dégageait une nonchalance qui heurtait la nature méticuleuse de Celeste, comme si chaque geste était une provocation délibérée à sa précision.
« Ah, la convocation dorée », remarqua-t-il, sa voix mêlant amusement et curiosité. Ses yeux noisette jetèrent un coup d’œil à l’invitation posée sur le bureau, brillant d’une étincelle compétitive qu’elle détestait admettre être contagieuse. « Laisse-moi deviner. Tu as déjà analysé chaque mot, cherchant les petites lignes cachées. »
« Ce ne sont pas les petites lignes que je cherche », répliqua Celeste froidement, son ton tranchant comme la lame d’un scalpel. « C’est l’opportunité. Quelque chose que je suis sûre que tu apprécies, même si tu as tendance à la gaspiller. »
Le sourire d’Evander s’élargit, imperturbable, alors qu’il s’appuyait contre l’encadrement de la porte. « Gaspiller ? C’est un peu dur, même venant de toi, Marlowe. Moi, je préfère parler de... *réinterpréter* l’opportunité. »
Son regard se durcit, mais elle ne répondit pas. À la place, elle laissa le poids de son silence remplir l’espace entre eux. Evander, bien sûr, n’en fut pas décontenancé. Il se détacha de l’encadrement et laissa ses yeux parcourir le bureau — des fenêtres du sol au plafond encadrant la silhouette de New York, une étendue lisse de verre et d’acier. Le bourdonnement du trafic lointain était faible mais constant, rappelant l’élan incessant de la ville.
« Jolie vue », dit-il d’un ton léger.
Elle ne répondit pas. À la place, elle désigna d’un geste ferme la chaise en face d’elle. « Si tu as fini d’admirer le paysage, il faut qu’on parle de Paris. »
« Toujours aussi directe. Classique Celeste. » Evander s’installa dans la chaise, étendant ses longues jambes d’une manière qui semblait décontractée mais qui était probablement calculée pour l’agacer. Son dos était droit, ses mains parfaitement composées, tandis qu’il s’affalait comme un homme sans échéances ni doutes.
« Très bien », dit-il enfin, inclinant la tête. « Quelle est notre stratégie ? »
« Notre stratégie ? » répéta Celeste, ses sourcils se fronçant légèrement d’incrédulité. « Ce n’est pas un lancement de produit, Kane. C’est le Château de Lumière. Un monument culturel. Un héritage. »
« Les héritages se construisent en prenant des risques. » Son sourire s’adoucit, sa posture se penchant en avant alors qu’il appuya ses coudes sur les accoudoirs de la chaise. « Tu penses à préserver l’histoire. Moi, je pense à en créer une. »
Sa mâchoire se crispa, une lueur d’irritation traversant son calme extérieur. « L’héritage du château, *c’est* son histoire. Son charme réside dans son authenticité, pas dans une modernisation tape-à-l’œil et mal conçue. »
« L’authenticité ne paie pas les factures », répliqua-t-il, sa voix calme mais résolue. « On ne fait pas que restaurer un bâtiment, Celeste. On crée une déclaration. La question est, que voulons-nous qu’elle dise ? »
Avant qu’elle ne puisse répondre, l’interphone bourdonna, perçant la tension. Celeste appuya sur le bouton d’un geste qui trahissait son impatience. « Oui ? »
« Mlle Marlowe, une certaine Margaux Laurent est en ligne. Elle dit que c’est au sujet du projet de rénovation. »
La posture de Celeste se raidit instantanément, ses doigts se crispant légèrement sur le bord de son bureau. Margaux Laurent. Le seul nom était à la fois un avertissement et un défi. Connue pour son habileté à manier le pouvoir avec un charme aussi tranchant qu’une lame, Margaux n’était pas une personne à sous-estimer. « Passez-la-moi. »
Alors que l’appel se connectait, Celeste lança à Evander un regard qui disait clairement : *Ne gâche pas tout.* Il répondit par un salut exagéré, son sourire exaspérément imperturbable.
« Mlle Marlowe. M. Kane. » La voix de Margaux résonna à travers le haut-parleur, douce et mesurée. « Quel plaisir de vous parler à tous les deux. J’espère que vous avez bien reçu notre invitation ? »
« Oui, tout à fait », répondit Celeste d’un ton net, poli mais maîtrisé. « C’est un honneur d’être considérés pour un projet aussi prestigieux. »
« Nous sommes ravis de l’opportunité », ajouta Evander, sa voix chaleureuse et assurée. Il se pencha légèrement en arrière, sa main effleurant la sangle de sa montre vintage — un tic qu’elle avait appris à reconnaître comme un rare moment d’incertitude.
« Merveilleux », répondit Margaux. « Comme vous le savez, le Château de Lumière n’est pas simplement un hôtel. C’est un témoignage de l’histoire parisienne. Préserver son héritage tout en assurant sa pertinence dans le monde moderne sera au cœur de notre processus de sélection. »
Le regard de Celeste glissa vers Evander. Il était toujours affalé, mais son sourire s’était transformé en une expression plus réfléchie. Elle pouvait presque voir les rouages de son esprit élaborer un concept audacieux qui la rendrait folle.
« Nous croyons au pouvoir d’une restauration réfléchie », dit Celeste, sa voix ferme. « Une restauration qui honore le passé tout en embrassant l’avenir. »
« Une perspective admirable, Mlle Marlowe », répondit Margaux, son ton aussi doux que de la soie.Il y eut une pause – subtile, délibérée – avant qu’elle ne continue : « Cependant, vous devriez savoir que Maison Duval sera également en compétition pour ce projet. »
Le nom tomba comme une fissure dans le verre. Celeste sentit sa respiration se suspendre, à peine, avant qu’elle ne se force à expirer lentement. Elle perçut également une réaction chez Evander : un léger durcissement de sa mâchoire, ses doigts effleurant à nouveau le bord de sa montre.
« La réputation de Maison Duval les précède, » ajouta Margaux, ses mots empreints d'un défi implicite. « Nous sommes impatients de voir comment Marlowe Kane Designs se mesurera à eux. À condition, bien sûr, que vous présentiez un front uni. »
La pique était tout sauf subtile. Les doigts de Celeste effleurèrent la surface de son bureau alors qu'elle redressait soigneusement sa posture. « Vous pouvez être certaine que notre proposition reflétera l’essence unique du château. »
« J’ai hâte de la voir, » répondit Margaux. « Le conseil a prévu un examen préliminaire dans deux semaines. D’ici là, je vous souhaite à tous deux inspiration et… *harmonie.* »
La ligne se coupa, laissant un silence presque assourdissant. Celeste fixa le téléphone un long moment, ses pensées emmêlées dans une angoisse qu’elle contrôlait avec soin. Maison Duval. Le nom évoquait des images de portfolios impeccables et de designs révolutionnaires, un titan qu’elle ne pouvait pas se permettre de sous-estimer.
Evander laissa échapper un faible sifflement. « Maison Duval. Eh bien, pas de pression. »
« Concentre-toi, Kane, » répliqua sèchement Celeste en se levant d’un bond. « Si nous voulons gagner, nous devons commencer à travailler dès maintenant. »
« D’accord. » Il se leva également, ses yeux noisette ancrés dans les siens avec une intensité qui fit frissonner légèrement sa colonne vertébrale. « Mais soyons clairs. Nous ne sommes pas seulement en compétition contre Maison Duval. Nous sommes aussi en compétition l’un contre l’autre. »
Pendant un moment, l’air entre eux crépita, le poids de leur ambition commune devenant presque étouffant. Finalement, Celeste se redressa, sa voix froide et imperturbable. « Alors donne tout ce que tu as. Parce que je ne me contenterai de rien de moins. »
Le sourire d’Evander réapparut – lent, exaspérément confiant. « Oh, ne t’inquiète pas, Marlowe. J’y compte bien. »
Alors qu’il quittait la pièce, Celeste laissa échapper un long soupir. Ses yeux dérivèrent vers le tiroir où son carnet de croquis Midnight était soigneusement rangé, une présence discrète mais constante, rappelant les risques qu’elle préférait taire. Elle ne l’avouerait pas, mais une petite partie d’elle savourait le défi. Parce que s’il y avait une chose dans laquelle Celeste Marlowe excellait, c’était bien de prouver que les autres avaient tort – surtout Evander Kane.
Et ainsi, la bataille pour le Château de Lumière avait commencé.