Chapitre 3 — Présages et Soupçons
Clara Duval
Clara se réveilla en sursaut, le souffle court et le cœur affolé. Sa main blessée la lançait toujours, bien que la douleur fût moins vive que la veille. L’obscurité de la chambre semblait plus lourde qu’à l’ordinaire, comme si elle portait en elle une tension impalpable, presque vivante. Elle se força à calmer sa respiration, pressant la paume scintillante contre son torse pour tenter de dissiper la sensation étrange qui l’envahissait. La lumière pâle de l’aube commençait à filtrer à travers les rideaux, dessinant des contours flous sur les murs familiers.
Elle alluma la lampe sur sa table de chevet et observa sa main. La cicatrice rougeâtre, fine mais nette, semblait étrange, presque vibrante sous ses doigts. Elle effleura la marque du bout de l’index, et une chaleur inattendue lui parcourut la peau. En son for intérieur, elle savait que cette blessure n’avait rien de naturel.
Cherchant un réconfort dans la routine, elle se leva et prit une douche chaude, espérant que l’eau apaiserait son esprit tourmenté. Mais rien n’y faisait. Les visions de la forêt la hantaient toujours : les murmures indistincts des arbres, les ombres dansantes, et cet œil doré, hypnotique, qui la scrutait dans ses rêves.
Elle attrapa son téléphone et envoya un message à Sophie : *"Salut, juste pour te dire que je vais bien. Pas de nouvelles du loup. Tu m’appelles quand tu peux ?"* L’absence de réponse immédiate amplifia son sentiment d’isolement.
Elle se dirigea vers son bureau, où des dossiers vétérinaires ouverts attendaient son attention. D’ordinaire, ces tâches lui procuraient une certaine stabilité. Mais cette fois, les papiers lui semblaient dérisoires face à l’énigme qui occupait son esprit. La forêt, cet œil gigantesque, la douleur étrange dans sa main… Il fallait qu’elle comprenne.
Un bruit de notification interrompit ses pensées. Sophie lui avait enfin répondu : *"Clara, fais attention. J’ai entendu des choses inquiétantes sur cette forêt. On peut en parler ce soir ? Ne fais rien de stupide d’ici là."*
Clara fronça les sourcils. Sophie, habituellement rationnelle, ne prêtait pas attention aux superstitions locales. Ce message, bien que bref, portait une intention alarmante. Pourtant, elle ne pouvait se résoudre à attendre.
Elle pivota sur son siège, ses yeux se posant instinctivement sur la fenêtre. Les collines verdoyantes encadraient l’horizon, et au loin, la ligne sombre de la Forêt des Murmures semblait l’appeler, comme une force magnétique. L’image de l’œil doré et la voix grave, lourde de sens, revinrent dans son esprit, inévitables.
Elle attrapa un carnet qui traînait sur le coin de son bureau et commença à noter frénétiquement ses impressions : le loup, la lumière étrange, les sensations de la veille, et ce qu’elle avait vu dans son rêve. Les mots étaient désordonnés, mais leur simple inscription semblait lui apporter un semblant de clarté.
Un souvenir jaillit soudain : le vieil homme qu’elle avait croisé en quittant la forêt. Ses paroles mystérieuses, pleines d’avertissements voilés, résonnaient dans son esprit. Il savait quelque chose, elle en était certaine. Peut-être détenait-il les réponses qu’elle cherchait.
***
La matinée s’écoula avec une lenteur insupportable. Clara tenta de se plonger dans son travail, mais son esprit revenait sans cesse à la forêt. Finalement, elle décrocha son sac à dos et commença à le remplir de provisions : une trousse de premiers secours, une lampe torche et une bouteille d’eau. Elle hésita un instant en tenant un couteau de camping, avant de le glisser dans une poche latérale. *Réaliste ou pas, mieux vaut être prudente,* pensa-t-elle, bien que l’ironie de cette pensée ne lui échappât pas.
En sortant de chez elle, elle s’arrêta un instant pour observer le ciel. Une couverture nuageuse dense s’étendait à perte de vue, lourde et menaçante. Une brise inhabituelle parcourut la vallée, glaciale malgré sa veste épaisse. Clara frissonna, se demandant si la nature elle-même ne réagissait pas à ce qu’elle avait perturbé.
Alors qu’elle s’installait au volant de sa voiture, son téléphone vibra à nouveau. Une alerte météorologique locale s’affichait : *"Météo instable : orages isolés attendus cet après-midi. Restez vigilant."* Elle fronça les sourcils, hésita un instant, puis ignora l’avertissement.
***
La forêt était plus sombre et plus silencieuse que dans son souvenir. Clara gara sa voiture à distance et se dirigea prudemment vers l’entrée. Un panneau, partiellement effacé par le temps, avertissait les visiteurs des dangers du lieu. Les arbres semblaient s’être resserrés, comme pour garder leurs secrets intacts.
À mesure qu’elle s’enfonçait, chaque craquement sous ses pieds résonnait trop fort dans le silence malsain. L’air était dense, chargé de la même énergie qu’elle avait ressentie la veille. Elle passa devant un arbre dont l’écorce avait été arrachée par d’étranges entailles. Les marques semblaient dessinées avec une précision presque rituelle, et une vague de malaise lui serra la gorge.
Sa main blessée se mit à chauffer doucement. Le frisson qui parcourut sa colonne vertébrale n’était pas simplement issu de la peur : c’était comme si la forêt réagissait à sa présence. Clara prit une profonde inspiration, tentant de garder son calme, mais une ombre de doute grandissait dans son esprit.
Un bruissement distinct attira soudain son attention. Elle s’immobilisa, balayant les ombres du regard. Rien. Pourtant, elle avait la désagréable impression d’être observée. Accélérant légèrement le pas, elle suivit le chemin sinueux jusqu’à une clairière qu’elle n’avait jamais vue auparavant.
Le sol, jonché de pierres sombres et irrégulières, dégageait une aura oppressante. Au centre, une colonne brisée, seule vestige d’une structure ancienne, se dressait telle une sentinelle oubliée. Clara s’approcha lentement, la chaleur dans sa main s’intensifiant à chaque pas.
Un bruit plus fort – un craquement distinct – la fit sursauter. Elle se retourna brusquement. Une silhouette émergea des ombres des arbres.
Un homme, grand et mince, avançait lentement. Ses vêtements pratiques et usés contrastaient avec sa posture alerte. Ses cheveux châtain clair encadraient un visage marqué, et ses yeux gris, profonds et froids, la fixaient avec une intensité dérangeante.
"Qu’est-ce que vous faites ici ?" demanda-t-il d’une voix basse et méfiante.
Clara, bien que surprise, refusa de laisser transparaître son désarroi. Elle garda une distance prudente tout en soutenant son regard. "Je pourrais vous poser la même question," répondit-elle, d’un ton qu’elle espérait calme.
Un sourire sans chaleur effleura les lèvres de l’homme. "Je suis randonneur. Et vous ?"
Clara hésita, pesant ses mots. Cet homme n’avait rien d’un simple randonneur, mais elle ne savait pas encore à quoi s’attendre. "Je cherche… quelque chose," finit-elle par dire, sa propre ambiguïté la troublant.
L’homme sembla la jauger un instant avant de hocher la tête. "Alors peut-être que nous devrions chercher ensemble. Ce n’est pas un endroit sûr."
Clara n’eut pas le temps d’objecter. Un bruit, cette fois plus menaçant, résonna à travers les arbres : des pas lourds, accompagnés de voix lointaines. Une tension palpable s’empara d’elle.
L’homme, tout aussi tendu, lui lança un regard appuyé. "Vous feriez mieux de me suivre," murmura-t-il. "Et vite."
Clara hésita un instant. Elle n’avait aucune raison de lui faire confiance, mais une chose était sûre : rester ici n’était pas une option.