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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3La Villa Moretti


Élise Duval

Le moteur de la voiture ronronnait doucement alors qu’Élise roulait sur une route sinueuse bordée de cyprès et de lauriers-roses. À travers la vitre ouverte du taxi, l’air marin portait des effluves de sel et de terre sèche, mêlés à une légère odeur de lavande qui évoquait à Élise des étés lointains. Mais cette nostalgie fugace ne parvenait pas à dissiper la tension qui lui serrait l’estomac. Ses mains, posées sur son sac en bandoulière contenant ses outils de restauration, étaient légèrement moites.

La route s’éleva soudainement, dévoilant une vue spectaculaire sur la mer miroitante. La lumière du soleil, presque aveuglante, dansait sur les vagues, et pour un instant, Élise sentit une étrange vibration en elle, comme un écho du passé. Sur une falaise escarpée, la Villa Moretti apparut alors, imposante et énigmatique. L’édifice mêlait l’élégance du XIXe siècle à la froideur moderne des grandes baies vitrées, soulignant une dualité qui troubla Élise. Quelque chose dans cette villa capturait son attention, la fascinant autant qu’il la glaçait.

Le taxi s’immobilisa devant une large grille en fer forgé, ornée d’un motif complexe qui ressemblait à des vagues entrelacées. Un garde en costume noir s’approcha d’un pas mesuré, échangeant quelques mots avec le chauffeur avant d’ouvrir lentement les grilles. La voiture avança sur l’allée bordée d’oliviers noueux. Élise observa les ombres dansantes des arbres sur le chemin, une étrange sensation d’oppression lui nouant la gorge.

Elle descendit de la voiture, le battement de son cœur s’accélérant légèrement. Le soleil semblait plus intense ici, accentuant chaque angle et chaque détail de la villa. Une femme élégante en tailleur noir l’attendait près de l’entrée principale, son sourire professionnel masquant toute trace d’émotion.

— Mademoiselle Duval, bienvenue, dit-elle avec une courtoisie précise. Monsieur Moretti vous attend à l’intérieur.

Élise hocha la tête, remerciant d’un murmure avant de s’avancer vers les lourdes portes en bois sombre. La poignée ancienne en laiton, finement sculptée de motifs floraux, semblait comme un fragment d’un autre temps. Elle inspira profondément, son esprit oscillant entre appréhension et curiosité, puis poussa la porte.

L’intérieur était encore plus impressionnant que ce qu’elle avait imaginé. Le hall d’entrée s’ouvrait sur une vaste pièce baignée de lumière. Des colonnes de pierre soutenaient un plafond voûté, tandis que les fresques anciennes, bien que ternies par le temps, semblaient murmurer des histoires oubliées. Élise sentit sa respiration se suspendre en observant les motifs complexes et les couleurs fanées. Le sol en mosaïque, brillant sous la lumière filtrée par les grandes fenêtres, dessinait des motifs géométriques qui semblaient presque hypnotiques.

Le bruit de pas résonnant sur les marches d’un escalier en colimaçon détourna son attention. Luca Moretti apparut au sommet de l’escalier, sa silhouette imposante baignée dans la lumière douce de l’après-midi. Son costume anthracite, impeccable, épousait sa carrure athlétique, et ses cheveux bruns légèrement grisonnants ajoutaient une gravité à son expression. Mais ce furent ses yeux sombres, perçants, qui capturèrent Élise, la forçant à redoubler d’efforts pour maintenir son calme.

— Mademoiselle Duval, dit-il en descendant lentement, sa voix grave résonnant dans l’espace avec une autorité paisible. Merci d’être venue si rapidement.

Élise ravala la boule dans sa gorge et répondit, le ton aussi professionnel qu’elle le pouvait :

— Merci de me recevoir, Monsieur Moretti. Votre villa est… impressionnante.

Un sourire discret effleura ses lèvres, comme s’il percevait quelque chose qu’elle ne disait pas.

— Elle a ses charmes, bien que le poids de son histoire puisse être… lourd à porter, parfois.

Il s’arrêta à quelques pas d’elle, et ses yeux fixèrent les siens, comme s’il cherchait à sonder ses pensées. Élise soutint son regard, bien que cela lui demande un effort.

— Puis-je vous faire visiter avant que vous ne commenciez votre travail ? demanda-t-il, un geste de la main l’invitant à le suivre.

Elle acquiesça, serrant légèrement la sangle de son sac pour se donner contenance.

Luca guida Élise à travers les pièces principales de la villa. La salle à manger, ornée de portraits anciens, semblait figée dans le temps, tandis que le salon, avec ses meubles modernes et son éclairage minimaliste, reflétait une froideur presque dérangeante.

— Cette villa a été construite par mes arrière-grands-parents, expliqua Luca d’un ton calme. Ils étaient commerçants dans le textile et ont utilisé leur fortune pour ériger un lieu qui devait symboliser leur réussite. Avec le temps, la villa a accumulé ses secrets, comme toutes les vieilles demeures.

Élise nota l’intonation, un mélange de fierté et de mélancolie. Il s’arrêta devant une porte en bois massif et se tourna vers elle, une lueur indéchiffrable dans les yeux.

— Mais je suppose que vous êtes surtout curieuse de voir la fresque, n’est-ce pas ?

Élise hocha lentement la tête, sentant une tension obscure monter en elle.

Luca ouvrit la porte, révélant une pièce plus petite mais tout aussi majestueuse. La lumière naturelle y pénétrait délicatement, illuminant les murs recouverts d’une fresque qui avait autrefois éclaté de couleurs vives. Maintenant ternie et fissurée, elle semblait attendre qu’on lui redonne vie. Élise s’approcha lentement, ses yeux s’attardant sur chaque détail : des silhouettes humaines dans des poses dramatiques, des motifs floraux qui s’enroulaient en spirales, et un paysage marin à peine visible dans le fond.

Une vague de déjà-vu s’empara d’elle, comme si une partie oubliée d’elle-même essayait de refaire surface.

— Elle est magnifique, murmura-t-elle, presque sans s’en rendre compte.

Luca resta silencieux un instant, puis répondit d’une voix basse :

— Elle l’était. Votre travail est de lui redonner sa splendeur d’antan.

Élise s’agenouilla pour examiner les détails de plus près. Un symbole gravé dans un coin attira son attention, presque effacé mais encore perceptible sous la couche de poussière. Elle l’observa longuement, une sensation troublante grandissant en elle.

— Savez-vous ce qu’elle représente ? demanda-t-elle à Luca sans se détourner.

— Les interprétations varient, répondit-il après une pause. Certains y voient une tragédie, d’autres une allégorie de la résilience humaine. Peut-être découvrirez-vous votre propre version en travaillant dessus.

Elle tourna la tête vers lui, mais Luca s’était avancé vers la porte.

— Une dernière chose, dit-il en effleurant le cadre de la porte. Certaines histoires sont mieux laissées inachevées.

Élise ne répondit pas, le cœur battant plus vite. Elle resta seule dans la pièce, entourée par le silence étouffant de la villa.

Un bruit sourd dans le couloir la fit se figer. Elle se tourna vers la porte entrouverte, une tension glaciale lui parcourant la nuque. Peut-être était-ce seulement le vent, pensa-t-elle. Mais alors qu’elle fixait l’ombre mouvante au-delà de la porte, une certitude s’imposa à elle : cette villa n’était pas seulement une demeure. Elle était un théâtre chargé de secrets, et chacun semblait l’attendre, tapi dans les recoins.