Chapitre 1 — Le Contrat Liant
L’odeur de l’encens imprègne lourdement l’air, enroulée autour du silence glacial et austère de la cathédrale Saint-Michel. Mes doigts tremblent alors que je serre le bouquet de roses blanches pâles, leurs épines s’enfonçant dans mes paumes comme un avertissement silencieux. La douleur est vive, tangible, une petite rébellion contre l’engourdissement qui menace de m’absorber entièrement. Leur beauté fragile semble se moquer de moi—une façade délicate dissimulant des chaînes invisibles qui continuent de m’enlacer. Je lève les yeux vers les plafonds voûtés, où des faisceaux de lumière brisée percent à travers les vitraux, projetant des motifs kaléidoscopiques de saints et de pécheurs sur le sol de marbre. Saints et pécheurs, entremêlés. Je me demande lequel je suis censée représenter.
Le frottement des chaussures vernies contre la pierre résonne dans l’espace immense, net et délibéré, attirant mon attention vers l’homme qui attend à l’autel. Zane Romano. Mon futur époux.
Il se tient droit, une silhouette sculptée dans l’ombre et la précision. Son costume noir impeccablement taillé absorbe la lumière tamisée, ses lignes parfaites accentuant la largeur de ses épaules et la rigidité imposante de sa posture. Son visage est un modèle de sévérité : les angles aigus de sa mâchoire et de ses pommettes, la tension presque imperceptible de ses lèvres, la fixité calculée de ses yeux marron foncés. Il ne cille pas, il ne vacille pas. Pourtant, une montre en argent brille à son poignet. Subtile, presque discrète, mais bêtement incongrue au milieu de son apparente invincibilité. Une rare fissure dans l’armure qu’il arbore avec tant de discipline. Mon regard s’y attarde sans pouvoir s’en détacher. Il ajuste brièvement le bracelet, un geste infime, machinal, qui semble étrangement humain dans son apparente perfection.
La seule chose chez lui qui semble véritable.
Derrière lui, Dante Romano se tient comme une ombre, ses yeux bleus glacials transperçant l’atmosphère avec la précision d’une lame. Il n’a pas besoin de mots pour imposer sa domination ; elle est là, ancrée dans la rigidité de son corps, dans l’éclat de satisfaction froide qui traverse son regard lorsqu’il balaye la pièce. Son mépris est palpable—dirigé vers moi, vers le prêtre, vers tout ce qui échappe à son contrôle absolu. Sa présence est suffocante, un poids qui écrase toute sainteté de la cathédrale. Ce lieu, censé être sacré, semble profané par son aura.
À mes côtés, la prise de mon père sur mon coude se resserre, ses doigts s’enfonçant dans ma chair avec une force frôlant la douleur. « Ne me fais pas honte », siffle-t-il, sa voix un murmure venimeux et bas. Son parfum musqué flotte autour de moi, lourd et toxique.
Me faire honte. Comme si j’avais encore le pouvoir d’embarrasser qui que ce soit. L’homme qui m’a vendue ne mérite même pas la honte qu’il redoute. Un goût amer surgit dans ma bouche, brûlant et vif, mais il disparaît aussi vite qu’il est apparu, englouti par une froide terreur qui s’insinue dans ma poitrine.
Le prêtre se racle la gorge, le son tranchant le silence comme une lame. Mes jambes semblent faites de plomb, mais je les force à avancer, un pas à la fois. Chaque pas dans l’allée ressemble à une descente vers quelque chose de plus sombre, de plus oppressant. Les bancs presque vides s’ouvrent comme des orbites creuses, leurs occupants—des hommes en costumes sombres, capos et soldats—silencieux et attentifs. Leur présence n’est rien d’autre qu’une menace implicite, un rappel du pouvoir invisible qui me maintient ici. Même l’air semble refuser de bouger, lourd et stagnant, s’accrochant à ma peau.
Pas à pas, je m’approche de l’autel, de l’homme qui m’attend. Mon cœur bat dans ma poitrine comme un oiseau pris au piège, son rythme chaotique s’intensifiant à chaque pas. Quand je l’atteins enfin, c’est comme entrer dans l’ombre d’une montagne. De près, Zane est encore plus imposant que je ne l’avais imaginé. Ses yeux rencontrent les miens, sombres et perçants, et ma respiration s’arrête dans ma gorge.
Il n’y a aucune chaleur dans son regard, aucune trace de douceur ou de réconfort. Mais il y a autre chose. Du calcul. De la retenue. Et en dessous, quelque chose de bien plus dangereux—une tempête qui gronde sous la surface, maintenue en laisse. Son immobilité est presque inquiétante, comme le calme avant un orage.
Le prêtre commence à parler, sa voix grave bourdonnant en arrière-plan alors que mon attention se concentre. Zane ne bouge pas, ne cille pas, mais quand il tend sa main, c’est un geste autoritaire, absolu. Un ordre silencieux. Ma propre main tremble alors que je la place dans la sienne, la force de sa prise submergeant la mienne. Sa peau est chaude—contre toute attente—et ce contraste me fait frissonner. Je regarde à nouveau la montre en argent, captant chaque détail alors que son pouce effleure furtivement son cadran. Une hésitation. Ou peut-être l’ai-je imaginée.
« Zane Romano, voulez-vous prendre Ella Avril pour épouse légitime ? »
Sa réponse est immédiate, basse, délibérée, et posée. « Je le veux. » Les mots résonnent dans la cathédrale, lourds et définitifs, comme gravés dans la pierre.
« Et vous, Ella Avril, voulez-vous prendre Zane Romano pour époux légitime ? »
J’hésite, juste une fraction de seconde. Mais dans cet instant suspendu, la cathédrale semble retenir son souffle. La prise de mon père sur mon bras se resserre davantage, chargée d’une menace silencieuse. Du coin de l’œil, je croise le regard de Dante—tranchant, implacable, comme un prédateur traquant sa proie. Ma poitrine se contracte, l’air devient plus froid, comme si les saints dans les vitraux s’étaient détournés.
« Je le veux », murmuré-je, ma voix à peine audible, un mince fil de son chargé de mille protestations inexprimées.
La voix du prêtre continue de bourdonner, solennelle et pesante, les mots d’un rituel sacré détournés pour servir les ambitions d’hommes comme Dante et mon père. L’échange des anneaux se déroule comme dans un rêve brumeux, chaque geste semblant irréel, détaché. Ma concentration s’aiguise uniquement lorsque la main de Zane relâche la mienne, bien que la chaleur de son contact persiste, un rappel troublant de sa force et de son contrôle. Il recule d’un pas, son visage toujours impassible alors qu’il se tourne vers Dante.
« Bien », dit Dante, sa voix lisse mais chargée d’un tonnerre subtil. « La famille est plus forte grâce à cette union. N’oublie pas ce que cela signifie, Zane. » Ses paroles restent suspendues dans l’air, lourdes et inébranlables, comme le poids même de la cathédrale. La menace implicite est claire, bien que non formulée.
Zane hoche la tête, sa mâchoire se contractant imperceptiblement.C’est une trace infime de résistance, disparue trop rapidement pour que je sois certaine qu’elle ait réellement existé. Il ne parle pas, il ne me regarde pas.
Je l’observe attentivement, cherchant quelque chose—n’importe quoi—qui pourrait trahir ses pensées. Mais son visage reste une forteresse, impénétrable et inflexible. Quelle que soit la tempête qui gronde derrière cette façade, il ne laisse rien paraître.
Alors que nous sortons de la cathédrale, la lumière grise et glaciale du monde extérieur s’infiltre en moi, me glaçant jusqu’aux os. Le poids de la montre en argent de Zane capte un bref éclat de lumière, un instant fugitif contre les ténèbres qui semblent le suivre comme une ombre. Pour une raison que je ne comprends pas, je m’accroche à cette image—cette lumière, aussi faible et éphémère soit-elle, est indéniablement présente.
Une lueur d’humanité, dissimulée sous la pierre et l’ombre.
Cela semble peut-être insensé, mais je me surprends à m’accrocher à ce mince espoir. Car s’il existe une part d’humanité en Zane Romano, peut-être—juste peut-être—y a-t-il en lui quelque chose qui vaut la peine d’être sauvé. Et peut-être, si je tiens bon assez longtemps, je trouverai une manière de me sauver moi-même.