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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Un Étranger au Village


Troisième personne

Le soleil effleurait l’horizon, et le village amish baignait dans une lumière chaude et dorée. Les ombres s’allongeaient sur les chemins de terre, les silhouettes des hommes rentrant des champs se fondant dans l’atmosphère paisible de la fin de journée. Pourtant, cette sérénité apparente allait bientôt être troublée par un événement inhabituel.

Thomas Delacourt marchait lentement vers le cœur du village, son pas mesuré traduisant autant une certaine curiosité qu’une prudence calculée. Chaque détail de ce lieu isolé le fascinait : le bois sombre des maisons, les chemins bordés de clôtures impeccablement entretenues, l’odeur persistante de terre fraîchement retournée. Mais ce qui le frappait davantage était l’absence totale de signes de modernité. Pas un seul fil électrique, pas une seule voiture, uniquement le rythme organique d’une vie figée dans un autre siècle. Pourtant, cette vision idyllique était ternie par une atmosphère pesante. Le regard fuyant des quelques villageois qu’il croisait lui renvoyait une méfiance palpable. Il sentit, pour la première fois depuis son arrivée en région amish, la véritable portée de son isolement.

Les sourcils froncés, une mère pressa ses enfants à rentrer lorsqu’elle aperçut Thomas. Un homme, vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon sombre, s’arrêta en pleine conversation pour le dévisager avec insistance. Malgré ces réactions, Thomas avança, son expression calme et son sourire discret cherchant à désamorcer l’évidente méfiance qu’il suscitait. Pourtant, intérieurement, il ne pouvait ignorer une pointe de malaise. Ce regard collectif, presque inquisiteur, lui rappelait les histoires que sa tante racontait autrefois sur des lieux secrets où les étrangers n’étaient pas les bienvenus.

La grange commune se profilait devant lui, imposante et austère, comme le cœur battant de cette communauté. Une telle structure, construite avec soin et maintenue avec dévouement, était pour Thomas une source d’émerveillement. Il imaginait déjà les récits qu’elle renfermait, les échos des générations qui avaient travaillé et prié en ces lieux. Toutefois, un détail attira son attention : une fissure fine mais visible sur le mur ouest, juste sous une poutre sculptée avec des motifs floraux. Ce détail, presque insignifiant, semblait murmurer des histoires enfouies. Thomas s’arrêta un instant pour l’observer, son esprit déjà en quête de significations cachées. Mais il n’eut pas le temps de s’attarder.

Lorsqu’il atteignit enfin la place centrale, son arrivée ne passa pas inaperçue. Les discussions s’éteignirent comme des bougies soufflées par un vent soudain. Quelques hommes qui s’affairaient à réparer une roue de chariot s’arrêtèrent net, leurs outils à la main, pour le fixer. Une petite fille, curieuse, pointa un doigt vers lui avant d’être rappelée sèchement par une femme plus âgée. Thomas, bien qu’habitué à provoquer ce genre de réaction en tant qu’étranger dans des régions reculées, ressentit une tension particulière ici, plus intense, presque oppressante.

Un homme distingua sa voix dans le silence. « Qui êtes-vous, et que faites-vous ici ? »

Thomas se tourna vers lui. Il s’agissait de Jacob Schmidt, qu’il avait déjà rencontré brièvement près de la rivière. Jacob avançait à grands pas, sa carrure imposante accentuant l’autorité naturelle qu’il dégageait. Son regard bleu perçant scrutait Thomas avec une sévérité qui ne laissait place à aucune ambiguïté : il voyait en lui une menace potentielle pour son monde.

Thomas leva les mains en signe de paix et répondit avec une politesse mesurée. « Mon nom est Thomas Delacourt. Je suis restaurateur de patrimoine. Je fais des recherches dans cette région et je suis tombé sur votre village par hasard. »

Jacob plissa les yeux, son ton mordant. « Rien ne se passe par hasard. Si vous cherchez quelque chose, vous feriez mieux de le dire clairement. »

Avant que Thomas ne puisse répondre, un autre homme, plus âgé, s’éclaircit la gorge et s’avança. C’était Abraham Lutz, l’un des anciens du village. Sa posture droite et son visage marqué par les années imposaient le respect. Il fit un signe de tête bref à Jacob, qui recula légèrement mais ne quitta pas Thomas des yeux.

« Monsieur Delacourt, » commença Abraham d’une voix grave mais mesurée, « notre communauté est peu habituée aux visites. Si vous souhaitez rester ici, même pour une courte durée, vous devez d’abord vous présenter officiellement à notre conseil. »

Thomas acquiesça humblement, comprenant que cette formalité était inévitable pour dissiper les soupçons. « Bien sûr. Je ne voudrais pas manquer de respect à votre communauté. »

Abraham hocha la tête, mais sa méfiance restait palpable. Il fit un geste vers la grange commune, signifiant à Thomas de le suivre. Derrière lui, les murmures commencèrent à enfler parmi les villageois. Quelques femmes échangèrent des regards inquiets, tandis que les hommes discutaient à voix basse. Jacob, quant à lui, resta immobile, observant Thomas disparaître dans l’ombre imposante de la grange.

À l’intérieur, l’atmosphère était encore plus solennelle. La faible lumière des chandelles projetait des ombres vacillantes sur les murs en bois sombre. Sept des anciens étaient rassemblés autour d’une grande table, leurs visages figés dans une expression de neutralité étudiée. Abraham prit place parmi eux, laissant Thomas seul debout face à leur cercle.

Le silence s’étira, lourd et pesant. Thomas, bien qu’habitué à négocier dans des milieux variés, ressentit une étrange appréhension. Il comprit que ces hommes et femmes n’étaient pas simplement des gardiens de tradition : ils incarnaient la volonté collective de leur communauté, une force contre laquelle il serait difficile, sinon impossible, de lutter.

C’est une femme parmi les anciens qui parla la première. « Vous dites être ici pour des recherches historiques. Expliquez-vous. »

Thomas inspira profondément avant de répondre. « Je suis restaurateur de patrimoine, spécialisé dans la documentation et la préservation de sites historiques. J’ai entendu parler de votre vallée et de son isolement unique. J’espérais en apprendre davantage sur son histoire et ses bâtiments. »

Un homme aux cheveux gris, assis à l’extrémité de la table, fronça les sourcils. « Et pourquoi cela vous intéresse-t-il ? Ce n’est pas un musée ici, mais notre foyer. Notre histoire ne regarde pas les étrangers. »

Thomas comprit qu’il devait procéder avec prudence. « Je comprends votre réticence, et je respecte votre vie privée. Mon intérêt est purement professionnel. Mais… je dois être honnête. Mon objectif principal est de retrouver des informations sur un membre de ma famille. Ma tante a disparu il y a de nombreuses années, et je crois qu’elle pourrait être passée par cette région. »

Un murmure parcourut les anciens. Les visages autrefois impassibles se tendirent, et certains échangèrent des regards lourds de sous-entendus. Abraham intervint à nouveau, sa voix plus ferme. « Vous accusez-vous notre communauté d’avoir quelque chose à voir avec sa disparition ? »

« Pas du tout, » répondit Thomas en secouant la tête. « Je cherche seulement des réponses. Si ma présence ici cause un malaise, je suis prêt à partir. Mais je vous demande humblement de me permettre de poser quelques questions. »

Un silence retomba, encore plus pesant que le précédent. Les anciens semblaient peser leurs options, chacun évitant soigneusement de croiser le regard de l’autre. Finalement, Abraham se leva.

« Nous allons délibérer. Pendant ce temps, vous ne parlerez à personne d’autre dans notre communauté sans permission. Jacob vous accompagnera pour s’assurer que vous respectez nos règles. »

Thomas inclina légèrement la tête, acceptant les termes imposés, bien qu’il sente que cela compliquerait ses recherches. Alors qu’Abraham ouvrait la porte pour lui faire signe de sortir, Thomas lança un dernier regard vers les anciens. Une femme, assise à l’autre bout de la table, semblait l’observer avec une intensité troublante, comme si elle savait quelque chose qu’elle ne pouvait dire.

À l’extérieur, Jacob attendait, les bras croisés. Sans un mot, il conduisit Thomas hors de la place centrale. Les murmures des villageois s’éteignirent à leur passage, remplacés par un silence lourd et oppressant.

Alors qu’ils s’éloignaient, Thomas sentit les regards peser sur lui comme un millier de flèches invisibles. Dans son esprit tourbillonnaient des images floues de sa tante et des récits fragmentés qu’elle lui avait confiés un jour. Pourtant, il ne savait pas encore que les réponses qu’il cherchait ne se trouvaient pas seulement dans l’histoire du village, mais dans les secrets profondément enfouis de ceux qui l’habitaient.