Chapitre 1 — Une Invitation Inattendue
Claire Lavoisier
Le bruit lointain des voitures résonnait dans les rues pavées de Paris, créant un fond sonore monotone que Claire Lavoisier trouvait presque apaisant. Assise à une petite table en bois près de la fenêtre de son atelier, elle observait distraitement les passants sous une lumière grise et douce de fin d'après-midi. Sa tasse de thé, oubliée, refroidissait lentement, son parfum délicat de bergamote se mêlant aux odeurs familières de pigments et de vernis qui imprégnaient la pièce.
Devant elle, une lettre soigneusement pliée reposait sur le bureau encombré de pinceaux, de pots de vernis et d’échantillons de toiles. Elle relut encore une fois l'en-tête imprimé avec élégance : "Ministère de la Culture - Division du Patrimoine et de la Conservation". Les mots scintillaient presque comme une promesse, mais aussi comme un poids.
Son cœur, pourtant habitué aux pressions professionnelles, battait un peu plus vite à chaque relecture. Ce projet n’était pas comme les autres. La restauration d’une fresque à Fontainebleau représentait une opportunité unique, un défi colossal, mais aussi une source potentielle de complications.
« Alors ? » demanda une voix familière derrière elle.
Claire se retourna pour voir Élodie, sa collègue et amie de longue date, qui se tenait dans l’encadrement de la porte, les bras croisés. Élodie portait ce sourire mi-taquin, mi-sérieux qui la caractérisait si bien, une tentative délibérée d’alléger l’atmosphère.
« Ils veulent que je restaure une fresque au Château de Fontainebleau », répondit Claire en désignant la lettre du bout des doigts.
Élodie haussa un sourcil, impressionnée. « Fontainebleau ? Rien que ça. »
Claire poussa un soupir, ses doigts jouant nerveusement avec un pinceau posé à portée de main. « Oui, mais... c'est un projet immense. La fresque est dans la Grande Galerie et apparemment liée à un moment clé de l'histoire française. C'est à la fois excitant et... terrifiant. »
Élodie s'approcha, prit la lettre avec précaution et la parcourut rapidement. « Terrifiant ? Tu plaisantes ? C'est une opportunité en or, Claire. Tu devrais être ravie. »
« Peut-être. » Claire détourna les yeux, ses pensées tourbillonnant. « Mais c'est aussi un coup de projecteur. Je ne peux pas me permettre la moindre erreur. Tu te souviens de ce qui s’est passé avec mon premier projet de restauration. »
Élodie posa la lettre et s’assit à côté d’elle, son expression devenant plus douce. « Ce projet, c'était il y a des années. Et honnêtement, tout le monde a oublié cette histoire, sauf toi. » Une pause. « Tu es l'une des meilleures dans ce domaine, Claire. Ils te font confiance pour ça. Fais-toi confiance aussi. »
Claire esquissa un sourire, faible mais sincère. Le soutien d’Élodie réchauffait une part d’elle-même, mais il ne suffisait pas à étouffer la peur qui rampait à la périphérie de ses pensées.
Le voyage jusqu’à Fontainebleau se déroula sous un ciel couvert, et Claire passa une grande partie du trajet à observer les paysages défiler hors de la fenêtre du train. Ses pensées oscillaient entre l’anticipation et le doute. Elle sentait l’ampleur de ce projet l’envelopper, mais quelque part, au fond d’elle, une petite flamme d’excitation persistait.
Quelques heures plus tard, Claire se tenait debout devant les portes imposantes du Château de Fontainebleau. Le vent apportait une bruine fine qui s’accrochait à son manteau. Les pavés glissants sous ses pieds ajoutaient une touche d’instabilité qui semblait refléter son propre état d’esprit.
Le château se dressait devant elle, majestueux et imposant, ses tours et son architecture Renaissance évoquant une autre époque. Chaque détail semblait chargé de l’histoire de ceux qui avaient foulé ces lieux. Claire inspira profondément et réalisa pleinement l’enjeu : restaurer un fragment de cette grandeur.
Elle fut accueillie par un homme à l’allure stricte mais courtoise, qui se présenta comme Jacques Morel, le directeur du projet. Ses cheveux grisonnants et ses lunettes en demi-lune semblaient amplifier une gravité naturelle dans son port.
« Mademoiselle Lavoisier, » dit-il en tendant une main, « bienvenue au Château de Fontainebleau. Nous sommes ravis que vous ayez accepté de collaborer à ce projet. »
Claire serra sa main, tâchant de dissimuler son appréhension derrière une façade d’assurance. « Merci. C’est un honneur de travailler ici. »
« Suivez-moi, » dit-il, avec une voix calme et mesurée.
Ils traversèrent les vastes couloirs du château, où chaque pas résonnait doucement sur les dalles anciennes. Claire observait tout, son regard capturant les détails des moulures, les éclats de lumière sur les vitraux et l’odeur subtile de cire à bois qui flottait dans l’air.
Jacques lui expliqua les grandes lignes du projet : « La fresque a été redécouverte récemment, dissimulée derrière des panneaux ajoutés au XIXe siècle. Sa structure est intacte, bien que les pigments aient souffert du temps. Ce que nous avons pu apercevoir des détails suggère une œuvre d’une rare complexité. »
Ils s’arrêtèrent devant une porte massive en bois, que Jacques ouvrit avec précaution. « Voici la Grande Galerie. »
Claire entra et son souffle se suspendit. La pièce était immense, baignée d'une lumière dorée tamisée qui semblait danser sur les dorures délicates des murs. Le plafond, orné de motifs complexes, captivait le regard comme un ciel étoilé figé dans le temps.
Au centre de la galerie, dissimulée sous des bâches protectrices et des échafaudages, attendait la fresque. Même voilée, elle semblait imposante, comme une présence respirant derrière un écran.
Claire s’approcha lentement, chaque pas amplifiant le martèlement de son cœur. Lorsqu’elle posa une main prudente sur le cadre de bois qui entourait l’œuvre, une étrange énergie sembla traverser sa paume. C’était comme si l’histoire elle-même l’appelait à travers les siècles.
Jacques l’observa en silence avant de parler d’une voix presque conspiratrice : « Nous soupçonnons qu’elle pourrait dater de la cour de François Ier. Ce serait une découverte majeure. Mais, comme vous le savez, plus une œuvre est précieuse historiquement, plus elle attire... disons, les attentions non désirées. »
Claire tourna la tête vers lui, alertée. « Vous voulez dire que des gens pourraient tenter d’interférer ? »
Jacques haussa légèrement les épaules, un sourire énigmatique éclairant son visage. « Disons simplement que certains mécènes et institutions ont des visions divergentes sur ce que signifie préserver l’histoire. Mais votre tâche, mademoiselle Lavoisier, est purement artistique et technique. Laissez-nous gérer le reste. »
Le frisson qui parcourut Claire n’était pas dû à la fraîcheur de la pièce. Elle hocha lentement la tête, bien consciente que ce projet serait bien plus qu’une simple restauration.
« Prenez votre temps pour vous installer », ajouta Jacques en lui tendant un dossier épais. « Vous trouverez ici tous les documents disponibles sur la fresque. Demain, nous commencerons officiellement. »
Cette nuit-là, dans sa chambre aménagée dans une aile du château, Claire feuilleta les documents à la lumière d’une lampe ancienne. L’odeur de papier jauni et de cuir la ramenait à ses années d’études, où elle s’était passionnée pour chaque mystère enfoui sous la surface des œuvres d’art.
Une note manuscrite attira son attention parmi les pages :
« Certains symboles de cette fresque pourraient être liés à des alliances secrètes de la cour. À confirmer. »
Un frisson d’excitation la parcourut malgré la fatigue. Elle ferma doucement les yeux, laissant la tension de la journée s’estomper.
Demain, elle toucherait enfin cette œuvre. Demain, elle commencerait à percer les secrets qu’elle renfermait.