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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Première Rencontre avec la Fresque


Claire Lavoisier

Le matin s’éveillait doucement sur le Château de Fontainebleau, enveloppant ses pierres anciennes d’une lumière dorée atténuée par les nuages bas. Claire s’accorda un instant dans sa chambre, observant la fine condensation sur le verre de la fenêtre qui offrait une vue partielle sur les jardins encore baignés de silence. Elle inspira profondément, absorbant l’odeur subtile de cire de bois et de papier ancien qui imprégnait l’espace. La journée allait marquer une étape importante : son premier contact avec la fresque.

Un mélange d’excitation et d’appréhension s’agitait en elle. Depuis son arrivée, l’image de la fresque, encore cachée sous ses bâches protectrices, hantait ses pensées. Cette nuit, ses rêves avaient été peuplés de couleurs tourbillonnantes, presque vivantes, et de symboles indistincts s’effaçant à mesure qu’elle essayait de les saisir. Elle ajusta son chignon, enfilant un tablier de restauration par-dessus son chemisier crème, et quitta sa chambre. Tandis qu’elle descendait les escaliers menant à la Grande Galerie, elle s'efforça de concentrer son esprit sur les gestes précis et méthodiques que son travail allait nécessiter. Pourtant, une pensée furtive lui échappa : Jacques avait mentionné des "motivations variées" entourant la fresque. Quelle nature prenaient ces motivations, et à quel point allaient-elles interférer avec son travail ?

Jacques Morel l’attendait à l’entrée de la galerie, un air sérieux mais cordial sur le visage.

« Bien dormi, mademoiselle Lavoisier ? » demanda-t-il en ajustant ses lunettes.

« Oui, merci. » Elle mentait à moitié.

Jacques ouvrit la porte de la Grande Galerie d’un geste mesuré, et Claire sentit son cœur s’accélérer en pénétrant dans l’immense pièce. La lumière du matin, filtrée par les hautes fenêtres, magnifiait chaque recoin de la galerie, dansant sur les dorures et les boiseries délicates.

« Tout est prêt pour que vous commenciez », déclara Jacques en s’écartant pour la laisser avancer. « Prenez votre temps. Nous serons à disposition si vous avez besoin de quoi que ce soit. »

Claire hocha la tête, trop accaparée par l’ampleur du moment pour répondre. Jacques partit, ses pas s’évanouissant doucement dans les couloirs. Elle s’approcha de l’échafaudage, ses bottines crissant sur le sol de marbre. Ses doigts effleurèrent les montants de bois, un contact rugueux qui l’aida à recentrer son esprit.

Lentement, elle retira les bâches, section par section. Une vague d’émotion l’envahit tandis que les contours de la fresque émergèrent, comme si un voile temporel s’effaçait devant elle.

La fresque, bien que partiellement effacée par les siècles, semblait vibrer d’une énergie propre. Des personnages élégants, drapés dans des tissus d’apparat, se tenaient dans une scène de cour fastueuse. Une lumière subtile semblait émettre des pigments eux-mêmes – des rouges profonds, des bleus azurés fanés, et des dorures ternies mais encore éclatantes dans les broderies et les ornements. Elle sentit une étrange connexion s’établir entre elle et cette œuvre, comme si elle n’était pas seulement une restauratrice mais aussi une passeuse d’histoires oubliées.

Mais ce qui attira immédiatement son attention fut l’arrière-plan : un motif complexe de symboles entrelacés dans la végétation et l’architecture, presque dissimulés dans la composition. Des formes géométriques et des figures animales semblaient émerger et disparaître selon l’angle de la lumière.

Elle sortit un carnet de croquis et un crayon de sa mallette, incapable de résister à l’envie de capturer ces motifs. Chaque trait esquissé semblait révéler une intention cachée, une vérité voilée sous des siècles de poussière et d’oubli.

Quelques heures passèrent dans un silence studieux, rythmé seulement par le grattement de son crayon et le froissement de ses notes. Lorsqu’elle abordait une section abîmée sur le côté droit de la fresque, elle sentit son souffle ralentir. Les pigments y étaient presque complètement effacés, ne laissant qu’un soupçon de leur ancienne splendeur. Elle sortit une lampe de poche fine et ajusta l’angle de la lumière, tentant de déceler les traces les plus subtiles.

Une forme se dégagea lentement : un oiseau. Plus précisément, un faucon stylisé, ses ailes partiellement déployées, tenant dans ses serres ce qui semblait être un parchemin. Ce symbole était différent des autres, comme une marque dissimulée au regard des spectateurs ordinaires.

Elle fronça les sourcils, notant soigneusement les détails dans son carnet. Le faucon semblait presque vivant sous la lumière particulière, comme un messager silencieux à travers le temps. Était-ce une simple référence à François Ier et à son goût pour la chasse, ou un indice plus profond, plus ésotérique ? Les mots de Jacques, sur les intérêts variés entourant la fresque, revinrent la troubler.

Le bruit d’un pas résonna derrière elle, la tirant brusquement de ses pensées.

« Alors, qu’en pensez-vous ? »

Elle se retourna pour découvrir un homme grand et élégant, vêtu d’une chemise légèrement froissée et d’une veste en tweed. Ses cheveux bruns bouclés encadraient un visage marqué d’un sourire en coin, et ses yeux verts pétillaient d’une curiosité presque insolente.

« Charles Dubois », se présenta-t-il, tendant une main. « Historien, et... disons, un observateur très intéressé par votre travail. »

Claire serra sa main, bien qu’un peu hésitante devant son entrée brusque. « Claire Lavoisier. Restauratrice. »

« Je sais », dit-il avec un sourire. « Votre réputation vous précède. »

Elle ne sut comment interpréter ce commentaire, mais choisit de garder son calme.

« Vous examinez déjà les symboles ? » demanda-t-il en désignant son carnet d’un geste de la main.

Elle hésita avant de répondre, méfiante de l’intensité de son regard. « Oui. Certains motifs se démarquent. J’essaie de comprendre leur rôle dans la composition. »

Charles hocha la tête, s’approchant de la fresque. « Fascinant, n’est-ce pas ? Une œuvre comme celle-ci n’est jamais purement décorative. Chaque détail, chaque élément, porte une intention, un message. Et parfois, ces messages ne sont pas destinés à être compris par tous. »

Il effleura la surface de la fresque avec une expression songeuse. « Ce faucon, par exemple. Une référence évidente à la chasse, un thème cher à François Ier. Mais le parchemin ? Cela suggère autre chose. Peut-être une sorte de communication secrète. »

Elle leva un sourcil. « Vous semblez bien sûr de vous. »

Charles haussa les épaules, un éclat d’amusement dans ses yeux. « L’histoire est pleine de messages codés, mademoiselle Lavoisier. C’est une danse entre ceux qui veulent préserver les secrets et ceux qui veulent les découvrir. Et vous, dans quelle catégorie vous situez-vous ? »

Claire détourna le regard, incertaine de comment répondre à cette question piquante.

« Mon travail », répondit-elle finalement, « est de restaurer cette fresque à sa vérité originale. Ce qui se cache derrière n’est pas ma priorité. »

Charles inclina légèrement la tête, comme s’il acceptait sa réponse tout en doutant de sa sincérité.

« Et pourtant, » murmura-t-il en regardant à nouveau la fresque, « parfois, la vérité a une manière bien à elle de s’imposer, que cela vous plaise ou non. »

Il se détourna, laissant Claire seule face à ses pensées.

Cette rencontre laissa un étrange arrière-goût. Elle s’efforça de se reconcentrer sur son travail, mais les paroles de Charles résonnaient encore dans son esprit. Qu’importe ses intentions, il avait raison sur un point : cette fresque contenait des secrets, et elle savait déjà, au fond d’elle, qu’elle ne pourrait pas les ignorer.

Alors qu’elle terminait sa journée, elle prit un dernier moment pour contempler l’œuvre avant de remettre les bâches en place. Une lueur rougeoyante du soleil couchant effleurait les pigments délavés, comme une promesse silencieuse.

Demain, elle irait plus loin. Elle découvrirait ce que cette fresque avait à dire, qu’elle le veuille ou non.