Chapitre 3 — Un Historien Enigmatique
Claire Lavoisier
Le souffle frais du vent s’insinuait dans la Grande Galerie, apportant avec lui une énergie presque palpable. Claire, perchée sur son échafaudage, observait les traces que le temps avait laissées sur la fresque. Elle effleura un détail du bout des doigts : les pigments fanés révélaient, dans des éclats de lumière tamisée, une scène plus complexe qu’elle ne l’avait imaginé. Son attention se porta à nouveau sur le faucon, ce symbole qui semblait murmurer des vérités oubliées.
Elle scrutait le carnet de croquis posé sur ses genoux, reprenant les notes qu’elle avait rédigées la veille. Une similitude subtile entre les motifs floraux et certains symboles observés dans les archives flottait dans son esprit, fugace mais insistante, bien qu’elle n’en saisisse pas encore le sens.
Un craquement du parquet brisa sa concentration. Claire releva la tête, le carnet fermement tenu contre elle. La silhouette d’un homme se dessinait en contre-jour, avançant avec une désinvolture maîtrisée. Charles Dubois, vêtu de sa sempiternelle veste en tweed, la salua d’un sourire en coin.
« Déjà au travail, mademoiselle Lavoisier ? » Sa voix, grave et légèrement moqueuse, résonna dans l’espace majestueux.
Claire descendit lentement de l’échafaudage, son regard fixé sur lui. « Monsieur Dubois, vous êtes bien matinal. »
« La curiosité ne dort jamais », répondit-il avec un haussement d’épaules, ses yeux pétillants d’amusement.
Claire fronça légèrement les sourcils. Elle n’appréciait guère l’intrusion, mais il était difficile d’ignorer l’aura d’intrigue qui entourait cet historien. Charles s’approcha de la fresque, les mains dans les poches, son regard attentif parcourant les pigments et les fissures avec une intensité presque déconcertante.
« Le faucon, je présume ? » dit-il, rompant le silence, sa voix teintée d’une certitude calculée.
Claire hésita. « Oui, un détail intrigant. Mais je suppose que vous en savez déjà plus que vous ne le laissez entendre. »
Charles tourna la tête vers elle, un sourire énigmatique sur les lèvres. « Peut-être. Ou peut-être suis-je simplement particulièrement attentif aux détails qui racontent une histoire. »
« Et quelle histoire pensez-vous que ce faucon raconte ? » demanda-t-elle, son ton mêlant méfiance et curiosité.
Charles avança d’un pas, désignant la section qu’elle avait étudiée. « Le faucon était un symbole prisé dans les cercles de François Ier, emblème de pouvoir et de discernement. Mais ici, c’est différent. Un parchemin dans ses serres ? Cela suggère une transmission, un message peut-être. Ou un code. »
Claire croisa les bras, scrutant son visage. « Vous semblez bien sûr de vous. »
Charles rit doucement, un son à la fois charmant et vaguement provocateur. « Disons que l’histoire est un labyrinthe, et que j’aime suivre les fils qui s’entrelacent. »
Elle serra les dents, incertaine de ses intentions. « Mon rôle est de restaurer cette œuvre à son état originel, pas de me perdre dans des conjectures. »
Charles inclina légèrement la tête, ses yeux verts brillant d’une lumière malicieuse. « Et pourtant, chaque brossée de votre pinceau pourrait révéler des vérités que vous n’avez pas cherchées. Que ferez-vous si ces vérités viennent à vous ? »
Claire sentit une pointe de frustration monter. Ses propres pensées l’avaient déjà conduite à cette question qu’elle préférait éviter. « Ce n’est pas ce que l’on découvre qui importe, Monsieur Dubois, mais ce que l’on choisit d’en faire. »
Charles sembla apprécier cette réponse, un sourire plus sincère adoucissant son expression. « Une perspective fascinante. Peut-être que nous pourrions en discuter davantage un jour. Vous êtes une personne intrigante, Claire. »
Elle se raidit légèrement à cette familiarité soudaine, mais avant qu’elle ne puisse répondre, Charles se détourna et quitta la galerie. Ses pas résonnèrent dans le silence jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement.
Claire resta immobile un instant, le regard fixé sur la porte. Cet homme jouait un jeu, mais auquel ? Et dans quelle mesure cela affecterait-il son propre travail ?
Elle remonta sur l’échafaudage, bien décidée à replacer son attention sur la fresque. Mais au fil des heures, les paroles de Charles continuaient de tourner dans son esprit, telles des ombres insaisissables.
En fin d’après-midi, Jacques Morel entra dans la galerie, inspectant brièvement les lieux avant de s’approcher de Claire. Son expression, comme à l’accoutumée, était posée et professionnelle.
« Alors, mademoiselle Lavoisier, comment avance votre travail ? » demanda-t-il en ajustant ses lunettes.
Claire prit une seconde pour organiser sa réponse. « La fresque est fascinante, mais elle recèle une complexité inattendue. Certains détails, comme ce faucon, semblent avoir été intentionnellement dissimulés. »
Jacques hocha lentement la tête, comme s’il s’était attendu à ce constat. « Vous avez raison. C’est précisément pour cela que nous avons besoin de votre expertise. Chaque élément devra être examiné avec soin. Mais gardez à l’esprit qu’il est parfois plus prudent de ne pas aller trop loin. »
La remarque fit naître un frisson dans le dos de Claire. Elle scruta Jacques, cherchant à percer le sous-entendu de ses paroles. « Que voulez-vous dire ? »
Jacques esquissa un sourire énigmatique, son ton prenant une teinte presque protectrice. « Disons simplement que cette fresque attire bien des regards, et pas uniquement ceux des amateurs d’art. »
Ces mots résonnèrent dans la tête de Claire alors qu’elle le regardait s’éloigner. La fresque, avec ses secrets enfouis dans les pigments et les craquelures, semblait bien plus qu’un simple défi artistique.
Elle s’assit à une table près de l’échafaudage, le carnet ouvert devant elle. Une part d’elle résistait à accorder du crédit aux théories de Charles, mais une autre sentait qu’il y avait une vérité enfouie, là, juste au-delà de sa portée.
Alors que le jour déclinait, plongeant la galerie dans une lumière dorée, Claire rangea ses affaires. Elle jeta un dernier regard à la fresque, ses motifs et symboles s’imprégnant dans son esprit.
Demain, elle irait plus loin. Mais elle savait déjà que ce qu’elle découvrirait pourrait bouleverser bien plus que l’histoire du château.