Chapitre 3 — Une rencontre sous tension
Claire
La lueur dorée du matin perçait à travers les rideaux épais du café, peignant des rayures lumineuses sur les tables en bois sombre. Claire, les mains autour d'une tasse de thé à demi vide, jouait machinalement avec la anse, ses gestes trahissant une nervosité qu'elle tentait de maîtriser. Devant elle, ses croquis et notes étaient soigneusement étalés, comme les pièces d’un puzzle labyrinthique. Elle vérifia une dernière fois les détails, ses yeux s’arrêtant sur le motif de l’étoile à huit branches. Une part d’elle redoutait que tout cela ne soit qu’une coïncidence, une illusion née de ses propres obsessions.
Le tintement familier de la cloche à l’entrée la tira de ses pensées. Elle releva les yeux et le reconnut immédiatement. Raphaël Leblanc correspondait exactement à sa réputation : élancé, un peu désinvolte dans sa veste en tweed légèrement froissée, ses cheveux bruns en bataille dégageant une apparente nonchalance. Ses yeux marron, vifs et perçants, balayèrent la salle avant de croiser les siens. Un sourire fugace et presque distrait effleura ses lèvres tandis qu’il s’approchait, une mallette en cuir à la main.
« Claire Duval, je présume ? » demanda-t-il en s’installant face à elle sans la moindre hésitation.
« Oui, merci d’avoir accepté de me rencontrer, » répondit-elle, tentant de cacher son malaise en se redressant légèrement.
Raphaël posa sa mallette sur la table, croisant les bras avec une nonchalance étudiée. « Quand Camille m’a parlé de vous et de votre découverte... disons que ma curiosité a été piquée. Mais je dois être franc : je suis sceptique. Les symboles cachés dans les vitraux, les mystères gothiques, ce genre de choses attire souvent des amateurs d’ésotérisme. »
Claire sentit une chaleur monter dans ses joues et serra les poings sous la table, avant de relâcher lentement sa prise. Elle inspira profondément et répondit, déterminée à garder son calme. « Je comprends votre scepticisme. Mais je ne suis pas là pour vous vendre une théorie. Je veux seulement comprendre ce que j’ai trouvé. »
Elle posa son carnet sur la table et tourna la couverture, révélant la page où elle avait méticuleusement reproduit les gravures découvertes dans le verre. Raphaël se pencha, ajustant ses lunettes avec un geste précis, son expression se tendant légèrement tandis qu’il examinait les motifs.
Un silence s’installa, seulement brisé par le bruit des cuillères et des tasses alentour. Claire observa Raphaël de biais, cherchant à déchiffrer son expression. Ses doigts pianotaient légèrement sur le bord de la table, un signe subtil de concentration.
« Intrigant, » dit-il enfin, presque pour lui-même. Il releva les yeux vers elle, un éclat d’enthousiasme furtif dans son regard avant qu’il ne reprenne un ton plus contrôlé. « Ce motif – l’étoile à huit branches – est riche de significations. On le retrouve dans différentes cultures, souvent lié à la lumière ou au guidage. Dans certains cas, il est associé à des concepts cosmologiques ou même spirituels. Mais ces gravures autour… » Ses doigts effleurèrent le dessin sur le carnet. « Elles ressemblent à une forme de notation architecturale médiévale. Leur usage exact m’échappe encore, mais je suis presque certain qu’elles ont une intention précise. »
Claire sentit un mélange de soulagement et d’excitation. « Vous pensez que cela pourrait avoir été laissé intentionnellement par les artisans eux-mêmes ? » demanda-t-elle, sa voix empreinte d’une curiosité sincère.
Raphaël haussa les épaules, mais son expression se fit plus sombre. « Rien dans une cathédrale gothique n’est laissé au hasard. Si c’est bien le cas, ces marques pourraient avoir une signification que seuls ceux qui les ont laissées pouvaient comprendre. »
Il ouvrit sa mallette et en sortit un carnet épais usé par le temps. Rapidement, il feuilleta les pages, ses sourcils se fronçant légèrement. « J’ai travaillé sur un manuscrit ancien il y a quelques années, un registre des bâtisseurs de cathédrales. Il mentionnait les ‘clés de lumière’. À l’époque, je pensais qu’il s’agissait simplement d’une allusion poétique aux jeux de lumière créés par les vitraux. Mais certaines descriptions étaient étrangement précises, laissant entendre qu’il pouvait s’agir de mécanismes intégrés à l’architecture elle-même. »
Claire le regarda, intriguée. « Vous pensez que ces ‘clés de lumière’ pourraient avoir un lien avec les motifs que j’ai découverts ? »
Raphaël releva la tête, un sourire en coin éclairant son visage. « C’est possible. Mais je vous préviens : une fois que l’on commence à tirer sur ce genre de fil, on finit souvent par découvrir des choses qu’on aurait préféré ne pas savoir. »
Claire soutint son regard, refusant de céder à sa condescendance voilée. « J’ai grandi en me posant des questions sans réponses. Si cela me mène à la vérité, alors je suis prête à continuer. »
Une lueur indéfinissable passa dans les yeux de Raphaël, comme s’il était à la fois impressionné et intrigué par sa détermination. Après un moment, il referma son carnet d’un geste vif. « Très bien. Dans ce cas, je vais examiner mes notes et voir si je trouve des références supplémentaires. En attendant, continuez à documenter tout ce que vous trouvez. Nous aurons besoin de toutes les pièces pour assembler ce puzzle. »
Il sortit une carte de visite de sa poche et la tendit à Claire. « Contactez-moi si vous faites une autre découverte. Et soyez prudente. Les vieilles pierres de Notre-Dame ont vu passer trop de secrets pour que nous puissions les prendre à la légère. »
Raphaël se leva, ajustant distraitement sa veste avant de quitter le café, un éclat déterminé dans son regard. Claire resta assise un moment, seule avec ses pensées. Elle tourna la carte de visite dans ses doigts, puis la glissa dans son sac.
Elle jeta un dernier coup d’œil à son carnet. À la lumière du soleil filtrant à travers la fenêtre, les motifs gravés semblaient presque luire, comme une promesse mystérieuse. Une intuition profonde lui disait qu’elle venait de franchir une porte qui ne pourrait plus jamais être refermée.