Télécharger l'application

Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2La tâche sacrée


Claire

L’odeur familière de pigments minéraux et de vernis enveloppait Claire tandis qu’elle ajustait sa blouse de travail. La lumière naturelle pénétrait dans l’atelier temporaire à travers de longs rideaux blancs, adoucissant les contours des tables encombrées de fragments de verre et d’outils méticuleusement alignés. Des scintillements colorés captés par des éclats de verre dispersés ajoutaient une teinte presque magique à l’espace. Le murmure des restaurateurs se mêlait au léger frottement des crayons et au bruit feutré des pinceaux, créant un fond sonore propre à cette bulle d’artisanat.

Claire s'assit sur un tabouret près de la table inclinée où reposait un panneau de la rosace nord, déjà morcelé et étiqueté. Ses mains gantées effleurèrent les fragments anciens, ses gestes précis et presque cérémonieux. Chaque morceau semblait murmurer une histoire oubliée, une vérité figée dans le verre depuis des siècles. À mesure qu'elle observait les détails, un mélange familier de fascination et de respect s’éveillait en elle. Pourtant, un sentiment de tension persistait. L’image du symbole aperçu la veille – ce cercle contenant une étoile à huit branches – refusait de quitter son esprit.

« Claire ? »

Elle sursauta légèrement et releva la tête pour apercevoir Camille, qui se tenait à proximité, un carnet à la main. Sa chef, vêtue d’une blouse bleu pâle, avait un sourire calme, mais son regard curieux trahissait une attention particulière.

« Tout va bien ? » demanda Camille en s’approchant doucement. « Vous avez l’air… absorbée. »

Claire hésita un instant, cherchant ses mots. Elle ne voulait pas paraître distraite dès son premier jour, mais elle sentait une brûlante envie de mentionner le symbole. Finalement, elle opta pour une réponse plus prudente. « Oui, tout va bien, » dit-elle en masquant son trouble. « C’est juste que… ce vitrail est exceptionnel. Chaque détail est si précis. On dirait presque que chaque fissure a une intention. »

Camille plissa légèrement les yeux, un sourire énigmatique au coin des lèvres. « C’est exactement ce qui rend Notre-Dame unique. Rien ici n’est laissé au hasard. Chaque élément a un rôle, une signification. Mais porter cette responsabilité… ça peut être intimidant, n’est-ce pas ? »

Claire hocha la tête sans répondre, retournant son attention aux fragments devant elle. Camille, semblant comprendre que Claire préférait se recentrer sur son travail, tapota doucement son épaule avant de s’éloigner. Une fois seule, Claire sortit un carnet de croquis et commença à dessiner les motifs visibles sur les morceaux intacts. Le travail était minutieux, presque méditatif. Pourtant, l’image de l’étoile gravée persistait dans son esprit, une présence insistante qui semblait réclamer son attention.

Une heure passa. Le murmure des autres artisans s’effaçait peu à peu dans son esprit, remplacé par le bruit feutré de son crayon glissant sur le papier. Lorsqu’elle se pencha sur un fragment particulièrement abîmé, un détail infime attira son regard. Une série de lignes minuscules, presque imperceptibles, était gravée dans le verre, comme un filigrane dissimulé par les ans. Elle rapprocha une lampe pour mieux examiner les gravures. La lumière, lorsqu’elle frappa le verre sous un certain angle, révéla des motifs complexes : peut-être une écriture ancienne, ou un symbole codé.

Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale. Elle approcha son téléphone pour prendre une photo, mais hésita. Était-ce une découverte fortuite ou quelque chose de plus significatif ? Les gravures semblaient presque danser sous la lumière, révélant des détails qui évoquaient une carte ou un schéma. Mais un schéma vers quoi ? Claire sentit son souffle s’accélérer, son intuition lui murmurant qu’elle touchait là à un mystère plus vaste.

Avant qu’elle ne puisse approfondir son observation, la voix de Camille résonna dans l’atelier, rappelant tout le monde pour discuter des priorités du projet. Claire glissa alors discrètement le fragment dans une boîte de verre étiquetée et rejoignit le groupe. Tandis que les autres échangeaient sur les prochaines étapes de la restauration, Claire n’écoutait qu’à moitié, son esprit déjà happé par ce qu’elle venait de découvrir.

***

Plus tard, dans la solitude de son appartement, Claire posa précautionneusement la boîte contenant le fragment sur son bureau. La lumière des réverbères filtrant à travers la pluie fine illuminait la pièce d’une teinte gris-bleu douce et mélancolique. Tout en retirant le couvercle de la boîte, elle sentit une nervosité familière s’installer en elle, un mélange d’excitation et de crainte.

Elle ajusta la position de sa lampe de bureau, dirigeant un faisceau concentré sur le fragment de verre. Les lignes gravées semblaient s’animer sous la lumière artificielle, révélant des connexions subtiles qu’elle n’avait pas remarquées plus tôt. Cela ressemblait à une carte, ou du moins à une représentation structurelle. Pas une carte traditionnelle, mais un cheminement – une configuration. Elle prit un carnet vierge et commença à reproduire les gravures avec une précision presque obsessionnelle, sa main tremblant légèrement sous l’intensité de l’effort.

Lorsque le dessin fut terminé, elle recula pour observer son travail. Cela ne ressemblait à rien qu’elle ait étudié auparavant, mais une chose était certaine : ce n’était pas une coïncidence. Elle laissa échapper un souffle qu’elle ne s’était pas rendu compte de retenir, son esprit s’égarant vers sa mère. Des souvenirs d’elle, penchée sur des fragments de verre similaires, affluèrent. « Chaque vitrail est un mystère », lui disait-elle souvent. « Il suffit de savoir où regarder. » Mais cette pensée, autrefois réconfortante, s’accompagnait désormais d’un poids plus sombre.

Son regard fut attiré par une vieille boîte en bois, empilée parmi d’autres matériaux dans un coin de la pièce. Intriguée, elle s’approcha et retira la boîte, se demandant pourquoi elle ne l’avait pas remarquée plus tôt. À l’intérieur, elle trouva un assortiment d’objets hétéroclites : des morceaux de verre, des esquisses froissées et un carnet à la couverture de cuir usé. Elle reconnut immédiatement les croquis de sa mère.

Son cœur manqua un battement alors qu’elle feuilletait les pages, découvrant des dessins et annotations griffonnées à la hâte. Chaque page semblait vibrer d’une symbiose entre technique et poésie, mêlant observations sur la lumière et réflexions personnelles. Mais c’est en arrivant à la dernière page qu’elle sentit un nœud se former dans sa gorge. Un dessin, presque identique à celui qu’elle venait de reproduire, s’étalait devant ses yeux. En dessous, une phrase manuscrite semblait pulser avec une intensité inattendue : « La lumière nous guidera, mais elle exige un prix. »

Claire referma le carnet brusquement, comme si elle avait touché quelque chose de brûlant. Pourquoi sa mère travaillait-elle sur un motif si semblable ? Quel prix évoquait-elle ? Les fils entre son passé et son présent se resserraient, formant un schéma qu’elle n’était pas encore prête à comprendre.

Cette nuit-là, alors que la pluie tambourinait contre les fenêtres, Claire s’allongea sur son lit sans trouver le sommeil. Le fragment de verre, le carnet et les souvenirs de sa mère dansaient dans son esprit comme autant de pièces d’un puzzle qu’elle était désespérée de résoudre. Une chose était certaine : ce n’était que le début d’un voyage qu’elle ne pouvait plus ignorer.