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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 1Les Mots Perdus


Camille

La clochette au-dessus de la porte de la boutique tinta doucement, tirant Camille de ses pensées. Elle leva les yeux de la composition florale qu’elle était en train de terminer. Une cliente habituelle entra, salua chaleureusement et se dirigea vers un bouquet déjà préparé sur le comptoir. Camille répondit avec un sourire doux, essuyant rapidement ses mains sur son tablier pour encaisser le paiement.

Tout semblait suivre son cours habituel dans "Les Petites Merveilles", mais Camille sentit une étrange tension dans l’air. Peut-être était-ce le ciel gris de ce matin ou cette légère odeur de pluie qui s’était glissée à l’intérieur lorsqu’elle avait entrouvert les fenêtres. Elle aimait ces jours aux allures mélancoliques, où la lumière tamisée illuminait les bouquets de manière presque irréelle, comme si le monde retenait son souffle. Pourtant, aujourd’hui, quelque chose pesait sur son cœur, une impression diffuse, comme un pressentiment.

Une fois la cliente partie, Camille retourna à son travail. Ses gestes étaient fluides mais mécaniques : couper une tige à la bonne longueur, choisir une pivoine rose pâle pour adoucir les teintes vives des anémones, attacher l’ensemble avec un ruban de satin crème. La boutique, avec ses étagères en bois débordant de fleurs et ses outils éparpillés, semblait enveloppée de silence, comme si elle elle-même retenait son souffle. Pourtant, l’esprit de Camille était ailleurs, ramené sans cesse à ce matin, lorsque le livreur était passé avec une caisse de roses blanches.

C’est là qu’elle avait trouvé la lettre. Une enveloppe en papier crème, épaisse et délicatement fermée par un cachet de cire rouge. L’écriture sur le devant était soignée, élégante, ses boucles et lignes semblant danser sur le papier. Pas un mot ne précisait à qui elle était destinée, et pourtant, quelque chose dans sa présentation semblait murmurer à Camille qu’elle était la destinataire. Intriguée, elle avait tourné l’enveloppe entre ses doigts, le papier doux sous sa peau, hésitant entre l’envie de l’ouvrir et celle de la laisser de côté. L’odeur subtile des roses fraîches semblait se mêler à l’énigme.

La curiosité avait finalement triomphé. Installée à son bureau dans l’arrière-boutique, à l’abri des regards, Camille avait brisé le cachet de cire avec précaution. Le bruit du sceau s’ouvrant lui avait paru presque trop fort dans le silence feutré. À l’intérieur se trouvait une feuille de papier pliée en quatre, portant des mots qui semblaient s’adresser directement à elle :

*“Il y a dans chaque fleur un silence que les mots ne peuvent briser. Pourtant, je tente ici de faire ce que je n’ose dire. Si je pouvais, je te parlerais de cette lumière particulière qui émane de toi, celle qui fait que, même dans l’obscurité, je te remarque.”*

Camille avait senti son souffle se suspendre, comme si le temps s’était arrêté autour d’elle. Ses mains tremblaient légèrement en dépliant le papier, et elle avait dû relire plusieurs fois la lettre, chaque mot s’épanouissant en elle comme une fleur longtemps endormie. Qui pouvait avoir écrit cela ? Était-ce une erreur, une lettre destinée à une autre personne ? Mais au fil des phrases, une idée s’était insinuée en elle, une idée qu’elle avait aussitôt tentée de repousser, en vain.

Et si cette lettre venait de lui ?

Elle ne prononçait jamais son nom, même dans le silence de son esprit. Mais son ex-compagnon, l’homme qui l’avait brisée avant son départ de leur village natal, avait toujours eu une manière poétique de s’exprimer. Des images floues surgissaient : des poèmes maladroits mais sincères, des bouquets de fleurs des champs cueillis au hasard, et ce sourire qu’elle avait cru honnête. Elle se souvenait d’un soir d’été où il lui avait offert un bouquet de marguerites, avec un mot simple, presque enfantin : *“Pour que tu n’oublies pas ta lumière.”*

Poussée par un mélange de nostalgie et d’appréhension, Camille avait rangé la lettre dans un tiroir de son bureau et s’était jetée à corps perdu dans son travail pour éviter d’y penser. Mais l’idée persistait, comme un parfum tenace imprégnant tout.

Les heures passèrent dans une lenteur inhabituelle. Camille servit quelques clients, mais son esprit restait distrait. À plusieurs reprises, elle jeta un coup d’œil vers le tiroir où elle avait enfermé la lettre, comme si elle craignait qu’elle disparaisse ou qu’elle n’ait été qu’un rêve.

Vers la fin de l’après-midi, alors que le soleil perçait timidement les nuages, Louise poussa la porte de la boutique, un grand sourire aux lèvres. Son arrivée dissipait en général les ombres, mais aujourd'hui, Camille se sentait trop troublée pour s’y abandonner complètement.

« Salut ! » lança Louise en secouant un parapluie mouillé. « Quelle belle journée pour s’enfermer ici avec toi. »

Camille sourit faiblement, heureuse de voir son amie mais incapable de masquer son trouble. Louise fronça les sourcils en la détaillant.

« Toi, tu as cette tête. Celle qui dit que quelque chose de bizarre est arrivé. Allez, raconte. »

Camille hésita, mais l’insistance de Louise était implacable, son regard pétillant de curiosité. Finalement, elle se tourna vers son bureau, ouvrit le tiroir avec précaution et en sortit la lettre. Elle la tendit à Louise sans un mot.

Les sourcils de Louise se haussèrent alors qu’elle lisait. Ses lèvres formèrent un « oh » silencieux, et lorsqu’elle releva les yeux vers Camille, son expression était un mélange d’étonnement et de malice.

« Eh bien, c’est romantique, ça. »

Camille secoua la tête, sa voix empreinte d’une légère hésitation. « Ce n’est peut-être pas pour moi. »

« Bien sûr que c’est pour toi. Qui d’autre dans ce coin écrit des poèmes et les glisse dans des caisses de fleurs ? » Louise s’arrêta, puis un sourire narquois apparut sur son visage. « Ne me dis pas que tu crois que c’est... lui. »

Camille détourna les yeux, mal à l’aise. « Ça... ça pourrait y ressembler, non ? »

Louise soupira, croisa les bras et inclina légèrement la tête. « Camille, ça fait des années. Tu ne crois pas qu’il aurait trouvé un moyen plus direct de te contacter s’il voulait vraiment renouer ? »

« Je ne sais pas, » murmura Camille. « Mais... ça m’a fait quelque chose. »

Louise posa une main réconfortante sur le bras de son amie. « Écoute, peut-être que c’est quelqu’un d’autre. Peut-être même quelqu’un que tu ne connais pas. Pourquoi ne pas lui répondre ? Tu n’es pas obligée de tout dévoiler, mais tu peux tester les eaux, non ? »

Camille hésita. Louise avait raison, bien sûr. Elle pouvait simplement écrire quelques mots, voir ce qui en ressortait. Après tout, qu’avait-elle à perdre ?

Ce soir-là, après avoir fermé sa boutique, Camille demeura assise à sa petite table sous les poutres apparentes de son appartement. Devant elle, un carnet ouvert et un stylo. La lumière tamisée de sa lampe dessinait des ombres dans la pièce, tandis qu’une brise légère s’infiltrait par une fenêtre entrouverte, faisant bruisser un bouquet de lavande séchée.

Elle hésitait, mordillant l’extrémité du capuchon, ses pensées en désordre. Une partie d’elle voulait ignorer tout cela, ranger la lettre et l’oublier. Mais une autre, plus audacieuse, s’accrochait à cette étincelle d’excitation qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps.

Finalement, elle se mit à écrire. Les mots étaient hésitants au début, mais ils se firent plus fluides à mesure qu’elle laissait ses émotions parler :

*“Votre lettre m’a troublée. Peut-être parce qu’elle résonne avec des choses que je pensais avoir oubliées. Je ne sais pas qui vous êtes, mais vos mots m’ont touchée. Peut-être devrais-je vous remercier. Peut-être devrais-je me méfier. Pourtant, je me surprends à vouloir en lire davantage.”*

Elle s’arrêta, relut son texte. C’était honnête, un reflet de son cœur en cet instant précis. Elle plia soigneusement la feuille, l’inséra dans une enveloppe et écrivit simplement « À l’inconnu(e) des fleurs ».

Demain, elle glisserait cette réponse dans la caisse qui lui avait apporté la lettre. Elle ignorait où cela la mènerait, mais pour la première fois depuis longtemps, elle ressentait une étincelle de vie qu’elle croyait éteinte.