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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Un Lien Invisible


Alterné entre Camille et Thomas

La lumière dorée du matin baignait doucement la boutique florale de Camille, adoucissant les contours des bouquets éparpillés sur la table de travail. L’air était saturé d’un mélange enivrant de roses, de lys et d’eucalyptus. Camille, un tablier maculé de traces de terre enroulé autour de sa taille, se tenait debout face à une nouvelle composition. Sa main hésitait au-dessus d’une branche de gypsophile, mais son regard semblait fixer un point lointain, bien au-delà des fleurs devant elle.

La lettre qu’elle avait reçue la veille hantait ses pensées. Les mots résonnaient encore en elle : *“Peut-être parce que vos mots évoquent une part de moi que j’avais mise de côté…”* Elle avait lu et relu cette phrase, cherchant à en comprendre le sous-texte, à deviner l’identité de l’auteur. Était-ce la même personne qui lui avait écrit la première fois ? Oui, sans doute. Mais un détail troublant dans la lettre l’intriguait : l’évocation subtile d’un bouquet de marguerites, un souvenir qu’elle associait à son ancien compagnon. Cela ravivait une peur sourde de se tromper, d’ouvrir son cœur à une illusion.

« Camille, tu m’entends ? »

La voix enjouée de Louise la fit sursauter, et elle lâcha la branche qu’elle tenait. Elle se retourna pour voir son amie, un sourire espiègle aux lèvres, une écharpe colorée enroulée autour du cou.

« Tu es encore dans la lune, hein ? » Louise s’approcha, jetant un regard curieux à la composition inachevée. « Est-ce que tu rêves, ou tu penses à quelque chose de bien plus intéressant ? »

Camille tenta de sourire pour dissimuler son trouble, mais Louise, avec son instinct presque surnaturel, devina immédiatement la vérité. Elle posa un coude sur le comptoir, son regard insistant.

« Alors ? C’est encore cette fameuse lettre, n’est-ce pas ? »

Camille soupira, sachant qu’il était inutile de nier. « Oui, c’est ça. Mais cette fois… cette fois, c’est différent, Louise. » Elle attrapa l’enveloppe et la tendit à son amie.

Louise la prit avec précaution, comme si elle tenait une relique précieuse. Elle lut les mots lentement, ses sourcils se haussant légèrement à mesure qu’elle avançait. Une fois la lecture terminée, elle reposa l’enveloppe sur le comptoir et fixa Camille avec une expression mi-étonnée, mi-amusée.

« Eh bien, on ne peut pas dire que cet inconnu manque de talent avec les mots. » Elle fit une pause, réfléchissant, puis ajouta : « Mais je peux voir pourquoi ça te trouble. Ces mots… ils ont une sincérité que tu ne t’attendrais pas à trouver dans une simple correspondance anonyme. »

Camille hocha la tête. « C’est exactement ça. Il y a une profondeur… comme s’il… comme s’il me connaissait, ou qu’il écrivait pour moi sans même le savoir. »

Louise tapota le comptoir du bout des doigts, un sourire taquin illuminant son visage. « Alors, qu’est-ce que tu comptes faire ? »

« Je ne sais pas encore. Peut-être lui répondre à nouveau. Mais… » Camille hésita, le regard fuyant. « Et si je me trompais ? Et si c’était juste… une illusion ? »

Louise posa une main réconfortante sur l’épaule de Camille, son ton plus doux. « Tu sais, parfois, les plus belles choses naissent de l’inconnu. Tu n’es pas obligée de tout comprendre tout de suite. Rappelle-toi : c’est dans le doute que la magie opère. »

Un léger sourire étira les lèvres de Camille, malgré son cœur encore agité.

***

De l’autre côté de la ville, Thomas referma doucement la porte du café où il s’était arrêté pour prendre un café à emporter. Dehors, le bruit des voitures et des conversations animées emplissait l’air, mais il n’y prêta guère attention. Le gobelet en carton chauffait légèrement sa paume, mais son esprit était ailleurs.

La réponse qu’il avait écrite la veille flottait encore dans son esprit, et il se demandait si elle était entre de bonnes mains. Il imaginait la destinataire la découvrant dans un coin tranquille, peut-être assise dans un fauteuil près d’une fenêtre, la lumière du jour caressant son visage. Une image floue, mais étrangement réconfortante.

Antoine, fidèle à lui-même, avait envoyé un message ce matin, ponctué de blagues sur son « nouveau hobby littéraire ». L’un d’eux l’avait particulièrement marqué : *“Fais attention, mon vieux, les mots fragiles peuvent briser les cœurs de pierre.”* Bien qu’agacé, Thomas savait que son ami touchait un point sensible : cette correspondance réveillait quelque chose en lui, une part qu’il avait méticuleusement enfouie.

En entrant dans son bureau, il posa son café sur le bureau et alluma son ordinateur. Mais à peine avait-il commencé à parcourir un dossier que son regard tomba sur un coin du plateau où reposait encore la première lettre.

Il la saisit, relut encore une fois le passage qu’il connaissait presque par cœur : *“Peut-être devrais-je vous remercier. Peut-être devrais-je me méfier.”*

La méfiance. Oui, elle était présente. Mais il y avait aussi… autre chose. Un espoir, aussi ténu soit-il, qui semblait tendre la main à travers les mots.

La voix de Julie interrompit ses pensées. Elle se tenait dans l’embrasure de la porte, un téléphone en main, l’air légèrement pressé.

« Thomas, tu rêves aussi aujourd’hui, ou tu travailles ? »

Il rangea rapidement la lettre dans un tiroir, évitant son regard. « Je travaille, évidemment. »

Julie pencha la tête, un sourire moqueur apparaissant sur ses lèvres. « Vraiment ? Parce que fixer ton bureau comme si tu cherchais une révélation divine, ce n’est pas ce que j’appelle travailler. »

Il haussa les épaules, cherchant une diversion. « Rien d’important. Tu avais besoin de quelque chose ? »

Elle haussa un sourcil, sceptique, mais n’insista pas. « Oui, il faudrait que tu jettes un œil à la proposition que j’ai reçue ce matin. On se voit en salle de réunion dans dix minutes. »

Thomas hocha la tête, et Julie disparut rapidement, laissant derrière elle un léger parfum de jasmin. Il se redressa sur son siège, mais son esprit restait encombré par cette curiosité naissante. Qui était cette femme ?

***

Camille, de retour dans l’atmosphère paisible de son appartement, s’assit devant son carnet ouvert. Dehors, les bruits lointains de la ville paraissaient atténués, comme si le monde entier retenait son souffle.

L’enveloppe posée à côté semblait presque la défier de répondre. Ses doigts effleurèrent la plume de son stylo, hésitants, avant qu’elle ne commence à écrire.

*“Vos mots m’ont touchée plus que je ne saurais le dire. Ils sont empreints d’une vérité qui semble résonner au-delà des lignes. Pourtant, je ne peux m’empêcher de me demander : qui êtes-vous ? Et pourquoi ces mots me semblent-ils si familiers, si proches de ce que je suis ?”*

Elle s’interrompit, le regard fixé sur la ligne qu’elle venait d’écrire. Était-elle trop honnête ? Trop vulnérable ? Mais n’était-ce pas justement l’essence de ces lettres ?

Après quelques minutes de réflexion, elle ajouta une dernière phrase : *“Peut-être que ce lien, si fragile soit-il, mérite d’être exploré.”*

Elle plia soigneusement la lettre, la glissa dans une enveloppe, et la scella avec un timbre floral qu’elle avait trouvé dans une vieille boîte.

Le lendemain, à la boutique, elle plaça l’enveloppe dans la caisse de fleurs, exactement là où elle avait trouvé la précédente.

Son cœur battait plus vite qu’à l’accoutumée, mais pour la première fois depuis longtemps, ce n’était pas par peur. C’était un battement d’espoir.

***

Thomas reçut la lettre quelques jours plus tard, à son bureau. Lorsqu’il ouvrit l’enveloppe, ses mains tremblèrent légèrement.

Les mots étaient là, simples mais puissants, et ils firent naître une chaleur inattendue en lui.

Pour la première fois depuis des années, Thomas sentit que la vie pouvait être plus qu’un enchaînement de dossiers et de contrats. Peut-être, juste peut-être, que quelque chose ou quelqu’un pouvait briser son monde ordonné et lui montrer une autre facette de l’existence.

Il replia la lettre lentement, un sourire imperceptible sur les lèvres.

Oui, il répondrait. Et cette fois, il se montrerait encore plus vulnérable.