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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 4IV


Le lendemain, Monsieur Hermès se leva tard. Il avait bien dormi. Il était dispos. Le soleil, pointant déjà au-dessus des toits, venait lécher le parquet de sa chambre. La faim le pressa de faire vivement sa toilette. Il la fit, contre son ordinaire, avec une certaine allégresse. Tout en se rasant avec soin et non sans coquetterie, il jouissait de son bien-être. Ces jours de sortie étaient vraiment à marquer d’une pierre blanche. Il avait décroché son costume bleu et préparé du linge propre, des chaussettes claires, des souliers jaunes. Faire peau neuve ! Vingt-quatre heures sans transpirer, sans souffrir des pieds, sans voir la sale gueule des Maîtres d’Hôtel. Se sentir le corps net, les mains propres. Oh, les mains, il aurait fallu huit jours pour que disparaissent cicatrices et ecchymoses ! Ça le chagrinait d’avoir le dessous des ongles noir. Mais rien à faire. Les dépôts graisseux avaient imprégné la peau. Il avait beau y passer la brosse et le cure-ongles, ça ne partait pas entièrement. Et l’abus de l’eau bouillante… Quelle poisse !

Ah ! qu’il n’oublie pas ses lorgnettes. Il en aurait besoin aussi bien au stade qu’au théâtre. Non, aujourd’hui non plus il ne toucherait pas à La Joie du Cœur. Autant laisser le manuscrit sur sa table. Mais il prit des journaux et un livre sous son bras. Ça ferait plus intellectuel. Vers dix heures, il descendit. Plus personne dans la Maison Meublée. Les locataires étaient au turbin. Dans un sens, c’était plus agréable d’être de sortie sur semaine. Il n’avait jamais aimé le dimanche. Parce que s’amuser en même temps que les autres, ça… En semaine, au contraire… Le sentiment de liberté était d’autant plus vif qu’il était moins partagé. Et pourtant, ça l’aurait amusé d’être là, un dimanche, au moins une fois, pour voir la tête qu’ils avaient, les locataires de la Maison Meublée. Il ne les connaissait pour ainsi dire pas. Quelle sorte de gens-pouvaient-ils être ? Bonjour, madame. Plutôt brave, la patronne.

Que la ville était lumineuse dans le matin ! Il allait faire une bonne marche. Il ouvrit ses narines aux odeurs de la rue qui n’étaient déjà plus celles de la première heure. Les ménages étaient faits. Les ordures avaient été ramassées. La chaussée, encore pleine d’ombre, avait été arrosée. Enfin vivre sans hâte, prendre le temps de regarder à droite et à gauche, de lever les yeux vers le ciel en fête !

À son comptoir, le patron du café-bar, en bras de chemise, surveillait son percolateur. Un café-crème et deux croissants, s’il vous plaît ! De sa place, à la petite terrasse déserte, Monsieur Hermès apercevait le carrefour de la rue de Rome et de la rue Cardinet. De la fosse du chemin de fer, de grosses volutes de fumée surgissaient. L’AL passait, dans lequel il n’aurait pas à monter. Tout cela était éclairé par le soleil dans un contre-jour pailleté. Monsieur Hermès clignait des yeux. Il était bien. Il savourait les instants un à un. Le café fumait dans la tasse. Il y trempa ses croissants. Il mangeait avec cérémonie, sans trop mastiquer pourtant, mais comme si un chef de protocole l’avait observé. On aurait dit qu’il voulait mieux se persuader ainsi de sa vacance. Toute une journée devant soi ! Tonton Nicolas paierait le déjeuner. Puis Colombes. Au retour, s’il avait le temps, une petite visite à ce vieux Fragonard. Enfin, il finirait la soirée au spectacle, comme d’habitude.

Patron, vous avez un journal ? Le patron lui porta Le Petit Parisien fixé à une monture de bois autour de laquelle il était enroulé. Tout en marchant vers lui, il le déroulait. Et ainsi, ça avait l’air d’une petite muleta dans sa main. Un peu petite, cependant, la muleta. Et quel drôle de torero il aurait fait ce gros bonhomme ! Tout à fait le genre de Fortuna ! Voyons, qu’y avait-il comme pièces à voir ? Au fond, pas beaucoup de détails sur les spectacles dans ces quotidiens. Il préférait encore son Comœdia. Il le déplia et compulsa la page des annonces. Puis il sortit de sa poche une enveloppe contenant des billets de réduction. C’était une agence qui lui fournissait ça. Moyennant un petit abonnement. Quoi choisir ? Il se plongea dans des supputations minutieuses qui plissaient son visage et lui donnaient l’air dur. Le Studio des Champs-Élysées ? Le Marigny ? L’Atelier ? Le Gymnase ? À l’Œuvre, on jouait une pièce d’Ibsen : Jean-Gabriel Borkmann. Il ne connaissait pas. Mais ça devait être bien. Ibsen, n’est-ce pas… Tiens, il avait justement un billet pour l’Œuvre. S’il y allait ? Des veinards, en somme, les types de l’Agence : il leur payait son abonnement comme tout le monde et il n’utilisait jamais qu’une place du billet qui était cependant valable pour deux. Oui, l’Œuvre, c’était un petit théâtre qui lui plaisait.

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