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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3CHAPITRE III<br><br>CATASTROPHE !


Quelques instants plus tard, coiffée d’un hennin moyenâgeux emprunté à la salle des aïeux, Diane faisait son entrée dans la chambre d’Hubert.

— Je vous présente dame Alix ressuscitée, mon beau chevalier !

— Quelle folle tu fais… Alors, tu as satisfait ton caprice ? Tu as essayé la ceinture de dame Alix ?

— Oui. C’est un peu gênant d’abord, mais on doit s’y habituer… Tiens, regarde ! Est-ce que j’ai la démarche anormale ?

— Comment ? sursauta le jeune duc. Tu l’as encore sur toi ?

— Naturellement. C’est nécessaire pour mettre ma petite idée à exécution.

— Quelle idée ?

— Ça m’est venu quand tu m’as raconté l’histoire de dame Alix. Je me suis dit : « Ça devait être rigolo, le retour d’un « croisé » et ça serait amusant de jouer au chevalier et à la châtelaine avec mon Hubert chéri !…

— Je ne comprends pas… Au lieu d’évoquer le passé, tu ferais mieux de venir près de moi, chérie, pour que nous profitions du présent !

— Mais laisse-moi donc t’expliquer… Alors, voilà : supposons que je sois dame Diane, une châtelaine du moyen âge, coiffée de son hennin, qui attend le chevalier Hubert, retour des Croisades. Toi, mon chou, tu vas jouer le rôle du chevalier. Tu reviens brûlant d’amour, tu prends la clé pour délivrer de sa ceinture ta dame bien-aimée et… tu saisis le scénario ?

Hubert ne put s’empêcher de rire.

— Oh ! tu sais, fit-il, moi je n’ai pas, comme toi, le génie de l’improvisation… Et puis, je ne suis pas bon comédien.

— Ça ne fait rien. Je te soufflerai.

— Mais pourquoi gaspiller en enfantillages ces minutes trop brèves ?

— Nous avons le temps, aujourd’hui, chéri, puisqu’Auguste est en Palestine… Non, zut ! je veux dire en voyage… Alors, tu ne veux pas faire plaisir à ta petite Diane ?… C’est bien la peine que je me mette en frais d’imagination pour te rendre heureux.

— Mais je suis très heureux avec toi, mon adorée, sans avoir besoin de singer le chevalier retour des Croisades…

— C’est bon, n’en parlons plus !… Et moi qui te traitais de romantique… ah, la, la !… Laisse-moi te dire, mon cher, que tu manques totalement d’imagination, de sens poétique !…

— Voyons, Dianette, ne te fâche pas… Si ça peut vraiment te faire plaisir, je veux bien essayer… Mais, avoue, ma chérie, que tu as d’étranges caprices.

— Alors, tu veux bien ? Chic… Tu vas voir, tu ne le regretteras pas…

— Bien… Que faut-il faire ? interrogea Hubert d’une voix résignée.

— D’abord, te mettre sur la tête un casque de chevalier. Il y en a un stock dans la galerie des Ancêtres.

— Mais je vais avoir l’air d’un déguisé de mi-carême… C’est ridicule.

— J’ai bien un hennin, moi… Tu comprends, mon loup, c’est utile pour la couleur locale… Pour créer l’ambiance, comme on dit au théâtre.

— Soit ! céda Hubert, résigné.

— Va vite, chéri. Je t’attends ici, comme jadis, dame Alix attendait son Hildebrand… Ah ! surtout n’oublie pas la clé, comme ton étourneau d’ancêtre… Je l’ai laissée dans la galerie. Dépêche-toi !

Cinq minutes plus tard, Hubert de Brandon-La Tour, la tête recouverte d’un heaume moyenâgeux, était de retour.

— C’est toi, mon fier chevalier ? Combien fut longue ton absence. Je commençois à m’inquiétois ! s’exclama la joyeuse Diane dès qu’elle aperçut Hubert. Eh bien ! qu’attends-tu pour répondre ? ajouta-t-elle en reprenant sa voix habituelle.

— Une seconde, dit Hubert, nous reprendrons après… Je venais te dire que je n’ai pas trouvé la clé.

— Tu n’as pas trouvé la clé de la ceinture ?

— Non. J’ai cherché partout. Où diable l’as-tu fourrée ?

— Inutile de t’expliquer. Autant y aller moi-même. Les hommes ne sont jamais capables de trouver quelque chose…

Et précédant Hubert, Diane s’élança dans la direction de la galerie. Mais, presque aussitôt, elle dût modérer son allure.

— Ce « short » en ferblanterie n’est pas précisément le rêve pour la course à pied, murmura-t-elle en riant. Faut s’y faire. C’est une question d’entraînement…

Une fois dans la galerie des Ancêtres, ses yeux, qui s’étaient immédiatement fixés sur un coin de la pièce, prirent une expression de stupeur intense.

— Je l’avais mise dans ce coin, balbutia-t-elle. Là… là… sur une sorte de bouclier, posé sur un tas de ferraille… Et il n’y a plus rien… le coin est vide.

— N… de D…, sursauta Hubert, pourvu que…

Et, sans achever sa phrase, il bondit vers un bouton d’appel et sonna.

— Qu’as-tu, Hubert ? Que se passe-t-il ? interrogea Diane de plus en plus ahurie.

— Il se passe que si ce que je prévois est arrivé, nous sommes dans de jolis draps ! hoqueta le jeune homme.

— Que veux-tu dire ?

À cet instant, Baptiste entra dans la galerie. En apercevant son maître et sa compagne dans leur attirail carnavalesque, malgré toute son impassibilité habituelle, le solennel majordome ne put qu’à grand peine réprimer un haut-le-corps. Mais avant qu’il fut revenu, de sa surprise, Hubert l’interrogeait fiévreusement.

— Le tas de ferraille… où est-il ?

— Le brocanteur est venu l’enlever il y a un instant, Monsieur le duc.

— Malheur !… Je m’en doutais… Courez vite, Baptiste… Rattrapez-le…

— Impossible, Monsieur… Il était en camion-automobile, et…

— Prenez l’auto !… Rattrapez-le, coûte que coûte… Il a emporté la clé de la ceinture de dame Alix. Je l’avais posée sur un vieux bouclier…

— Une targe, Monsieur. C’est le terme technique…

— Je m’en fiche… Courez… Il me faut cette clé… Mais courez donc, sacré Dieu !…

— Bien, Monsieur.

Accélérant le pas, autant que pouvait le lui permettre la dignité de ses fonctions, le majordome s’éloigna pour exécuter les ordres de son maître.

— Mon Dieu ! la clé est perdue… gémit Diane.

— Mais non, mais, non, on va la retrouver, fit Hubert d’une voix mal assurée. Mais aussi quelle idée de poser cette clé sur le tas de ferraille…

— J’étais à côté… Alors, machinalement, je l’ai mise sur le bouclier. Je ne pouvais pas supposer.

— Évidemment… C’est une fatalité… Mais enfin, si tu m’avais écouté, si tu n’avais pas voulu, à toute force, essayer cette maudite ceinture, tout cela ne serait pas arrivé !…

— C’est ça ! Reproche-moi aussi d’être venue, pendant que tu y es !

— Voyons, ne t’emballe pas, chérie…

— Au fond, c’est de ta faute, Hubert…

— De ma faute ?…

— Oui. Si tu ne conservais pas chez toi tout ce bric-à-brac d’une autre époque, si tu ne m’avais pas montré la ceinture de dame Alix, je n’aurais pas été tentée de l’essayer et je ne serais pas, maintenant, emprisonnée, peut-être pour toujours, dans cet horrible appareil… Ah !… mon Dieu ! que je suis malheureuse… que va dire mon mari !…

— Mais, voyons, tu es folle, calme-toi ! Ton mari ne le saura pas… On va retrouver la clé, c’est certain… ça ne fait aucun doute.

— Oui, mais si on ne la retrouve pas ?… C’est affreux… c’est…

— Entrez ! cria Hubert, entendant frapper à la porte.

Lucette, la femme de chambre, apparut essoufflée.

— Monsieur, c’est Mme d’Ambleuse qui désire voir Mme Millasson pour une communication urgente. J’ai fait entrer cette dame au salon.

— Maman ! s’écria Diane affolée en s’élançant hors de la pièce. Mon Dieu ! qu’est-il arrivé ?

— Ton mari est revenu à l’improviste, dit Mme d’Ambleuse, dès que Diane fut entrée dans le salon. J’ai heureusement aperçu sa voiture, pendant qu’il « klaxonnait » pour qu’on lui ouvre la grille. J’ai eu juste le temps de dire à Firmin qu’il réponde à ton mari que nous étions chez Hubert pour visiter sa galerie. Puis, en toute hâte, je suis passée par la porte de derrière et me voici…

— Auguste est revenu !… Je suis perdue, s’écria Diane en fixant sa mère d’un regard angoissé.

— Mais non, mais non, voyons, calme-toi, ma chérie… Puisque je suis là et que nous rentrerons ensemble… Ton mari ne se doutera de rien.

— Ce n’est pas ça, maman… Mais si tu savais ce qui m’arrive !… Si on ne retrouve pas la clé… Comment expliquer à Auguste ? C’est épouvantable ; ah ! que je suis à plaindre !… Que je suis malheureuse !…

Et Diane éclata en sanglots, tandis que sa mère effrayée et ne comprenant rien à ce désespoir imprévu, se tournait vers Hubert…

— Voyons, cher monsieur… Expliquez-moi, que se passe-t-il ?

Pendant que Diane continuait à sangloter, Hubert, dont l’aspect déprimé faisait prévoir à Mme d’Ambleuse des révélations pour le moins catastrophiques, lui conta en quelques mots l’essayage de la ceinture de dame Alix et la disparition de la clé.

— Mais, termina-t-il d’une voix qu’il essayait vainement de rendre persuasive, tout cela va s’arranger certainement… Baptiste va rapporter la clé… Il doit l’avoir retrouvée à l’heure actuelle… Dans quelques minutes, il sera là…

— C’est inimaginable, coupa sèchement Mme d’Ambleuse. Vous que je prenais pour un jeune homme sérieux, Hubert, pourquoi avez-vous laissé Diane se livrer à cette folle excentricité ? Quelle décadence !… De mon temps, je vous prie de croire, que les amoureux n’avaient pas besoin de recourir à de pareils stimulants…

— Mais, madame… Permettez, je vous assure… bégaya Hubert.

À ce moment, cessant brusquement de sangloter, Diane s’élança vers la fenêtre.

— Voilà l’auto… Baptiste est de retour. Mon Dieu ! pourvu qu’il l’ait retrouvée !…

— Je cours à sa rencontre et je rapporte la clé ! s’écria Hubert qui bondit vers la porte et disparut en courant.

— Je me rends compte à présent, Diane, reprit après le départ d’Hubert, Mme d’Ambleuse, combien je fus imprudente de fermer les yeux sur vos coupables amours.

— Oh ! je t’en prie, maman ! Pas de grands mots ! Ce n’est pas le moment !… Tu sais bien qu’Hubert et moi, nous nous aimions avant mon triste mariage et que si tu m’avais laissée attendre, je serais maintenant duchesse de Brandon-La Tour.

— Je sais… je sais… et je le regrette. Mais que veux-tu ? Je croyais bien faire. Nous étions ruinés par les spéculations malheureuses de ton père… Hubert était pauvre et je le croyais déshérité… Un riche parti s’offrait à nous…

— Et je devins madame Auguste Millasson, par amour… de ma mère !

— Pauvre chérie !… Depuis j’ai eu des remords, tu le sais… Aussi, quand tu m’avouas qu’Hubert et toi…

— Étions amant et maîtresse, ne pouvant plus être mari et femme…

— J’en fus heureuse, c’est la vérité. Et, pour me faire pardonner mon erreur passée, je devins presque ta complice…

— Maman chérie, murmura Diane émue en embrassant sa mère.

— Mais, depuis quelque temps, poursuit Mme d’Ambleuse, la jalousie de ton mari me donne de sérieuses inquiétudes. L’alerte d’aujourd’hui, par exemple, a mis mes nerfs à une rude épreuve et c’est pourquoi, tout à l’heure, je n’ai pu maîtriser un mouvement d’humeur contre ton pauvre Hubert… Mais j’entends des pas… C’est lui qui revient.

C’était Hubert, en effet. Pâle et défait, il pénétrait dans le salon d’un pas rappelant à peu de chose près celui du condamné à mort marchant vers la guillotine.

— Tu as la clé ? s’écria Diane.

— Non ! répondit Hubert, d’une voix à rendre jaloux le fantôme le plus lugubre d’un château hanté.

— Votre domestique n’a pu rejoindre le camion du brocanteur ? questionna à son tour Mme d’Ambleuse.

— Oui. Il l’a rejoint devant son dépôt aux environs de Tours. Il venait de décharger le camion dans un enclos spécial où étaient entassées des tonnes de ferraille.

— C’est horrible !… Je suis perdue… La clé est sous des tonnes de ferraille ! gémit Diane.

— Non, reprit Hubert. La clé n’est pas sous des tonnes de ferraille.

— Mais où est-elle, alors ?… Parle, je t’en conjure… Tu me fais mourir.

— Baptiste a interrogé habilement le brocanteur. Grâce à un large pourboire, il a appris qu’un antiquaire, qui suivait son camion en auto pour essayer de découvrir quelques objets rares parmi la ferraille, lui avait acheté dans le lot récupéré au château, un casque d’armure, un bouclier et de vieilles clés. Il a affirmé à Baptiste que la clé que nous cherchons était parmi elles. Il l’avait remarquée, car elle était brillante et bien astiquée, tandis que les autres clés étaient rouillées.

— Et il a donné l’adresse de l’antiquaire ? interrogea Diane haletante.

— Hélas, non !… Il a déclaré ne pas le connaître et ignorer même s’il habite la ville.

— Mais alors, la clé est aussi perdue que si elle était enfouie sous des tonnes de ferraille ! regémit Diane effondrée.

— Quelle aventure !… Mon Dieu, quelle aventure… ne cessait de répéter Mme d’Ambleuse. Il faut absolument trouver une solution. Diane ne peut rentrer chez son mari avec cette… cette machine…

— Ne nous affolons pas… Ne nous affolons pas ! hurla Hubert, dont la physionomie aurait pu servir de modèle à un peintre symboliste, désireux de représenter « la panique ». Il s’agit de ne pas perdre son sang-froid… Laissez-moi réfléchir… Il faut trouver quelque chose… Ah !… J’ai une idée…

— Une idée ? s’exclamèrent en même temps Diane et sa mère.

— Oui. Je vais faire passer une annonce dans les journaux pour rechercher l’antiquaire.

— Mais cela demandera du temps… Crois-tu que je puisse attendre ici que l’antiquaire vienne rapporter la clé ?… Il faut absolument trouver le moyen de me débarrasser de cette maudite ceinture… Tu n’as pas d’autre clé qui pourrait ouvrir la serrure ?

— Je ne crois pas. Ce sont des serrures spéciales… Enfin… on peut toujours essayer… Nous allons consulter Baptiste. Il est plus au courant que moi de toutes les antiquités de la famille.

— Comment ? Tu vas mettre ton majordome au courant de…

— C’est indispensable… On ne peut pas faire autrement… Mais ça n’a pas d’importance ; Baptiste est mon frère de lait… ça ne sortira pas de la famille. Et puis, c’est un homme de ressources. Et enfin, je ne vois pas d’autre solution.

— Soit. Consulte-le, mais pas devant moi… J’en mourrai de honte… Va… Dépêche-toi… Ah ! mon Dieu ! que je suis malheureuse !…

Et Diane se remit à sangloter sur l’épaule de sa mère, pendant qu’Hubert, de plus en plus affolé, repartait au galop.

— Baptiste, mon cher Baptiste, je me trouve dans une situation épouvantable. Il faut que vous me sauviez… que vous nous sauviez… Il s’agit de l’honneur d’une femme !

— Remets-toi, Hubert, je t’en prie ! Tu es tout pâle. Que se passe-t-il ? Explique-moi…

Ayant repris sa respiration, le jeune duc mit rapidement son majordome au courant des événements qui venaient de se passer.

— Ah ! c’était donc pour ça que tu m’as fait courir après cette clé ?

— Oui… vous le voyez, Baptiste, c’est une situation tragique… sans précédent… Que faut-il faire ?… J’ai pensé qu’avec une autre clé… peut-être…

— Impossible, Hubert. Ces ceintures moyenâgeuses sont munies de serrures secrètes, à mécanisme compliqué. Aucune clé ne pourrait réussir à les ouvrir.

— Alors… on pourrait peut-être essayer de la forcer ?…

— Tentative inutile, mon pauvre Hubert. Tu penses bien que les seigneurs qui partaient pour la Palestine, ne confiaient pas la vertu de leur femme à des serrures de pacotille ! C’est ainsi que dame Isabeau, l’épouse d’Hildebrant de Brandon-La Tour, qui fût empalé par les Sarrasins, mourut et fut ensevelie avec sa ceinture, dont aucun forgeron de l’époque ne put venir à bout. Je pourrais te citer encore…

— Non ! Je vous en supplie, Baptiste… Je n’ai pas la tête à écouter vos chroniques du temps passé… Il s’agit de trouver un moyen pour délivrer Diane… Le temps presse… Que pourrions-nous faire ?

— Je regrette, mon cher Hubert, mais à moins de retrouver la clé, je ne vois aucune solution.

— Oh ! j’y pense… On pourrait peut-être scier la ceinture…

— Malheureux… Garde-t-en bien… Les archives des Brandon-La Tour mentionnent que certaines ceintures utilisées par vos ancêtres, et notamment celle de dame Alix, renferment intérieurement un mécanisme secret qui, à la moindre tentative de limage ou de sciage, déclenche un ressort perforateur, dont la pointe empoisonnée s’enfonce dans l’abdomen et provoque la mort instantanée. C’est ainsi que dame Yolande…

— Mais alors… tout espoir est perdu ?

— Je le crains. À moins que tu ne retrouves la véritable clé…

— J’avais l’idée de faire passer une annonce demain, l’antiquaire peut la lire après-demain, et d’ici trois ou quatre jours…

— Mais Diane ne peut pas rester trois ou quatre jours avec cette ceinture… Vous oubliez qu’elle est mariée…

— Non. Mais une femme peut toujours trouver un prétexte pour éviter son mari pendant ce court laps de temps… Une migraine… une rage de dents… Une indisposition quelconque… Pendant ce laps de temps, tu rentres en possession de la clé, tu la lui fais parvenir et le tour est joué.

— Vous me rendez l’espoir, Baptiste.

— C’est la meilleure solution. Au surplus, par acquit de conscience, je vais réunir sur cette table toutes les clés moyenâgeuses que je conserve encore dans ces tiroirs, plus toutes les clés modernes du château. Dans quelques instants, tout sera prêt et ces dames pourront tenter l’expérience qui, à mon humble avis, je le répète, sera sans résultat.

— Ça ne fait rien… Essayons toujours. On ne sait jamais… Mon cher Baptiste, je retourne au salon ; lorsque vos préparatifs seront terminés, prévenez-moi par le téléphone intérieur. Vous comprenez, Baptiste, ces dames, sachant que vous êtes au courant, seraient gênées par votre présence.

— Entendu. À partir de cet instant, je deviens aussi invisible qu’un spectre. Maintenant, Hubert, file vite… Jusqu’à présent, j’ai réussi, non sans peine, à conserver la gravité qui convient à mes fonctions. Mais je t’avoue, j’ai hâte d’être seul, pour pouvoir me tordre à mon aise, sans déroger à ma dignité de majordome. Vite, va-t’en… Par respect, je ne voudrais pas éclater devant toi… Mais je sens que je ne peux plus me retenir. Va-t’en !…

Et tandis qu’Hubert, ahuri, quittait la pièce, il entendit derrière lui, à peine la porte refermée, de formidables éclats de rire, accompagnés de sonores claquements de mains sur les cuisses, pendant que la voix du majordome, en délire, répétait spasmodiquement :

— Ah ! elle est bonne !… Elle est bien bonne !…