Chapitre 2 — CHAPITRE II<br><br>LA CEINTURE DE DAME ALIX
— Mme Millasson ! annonça la femme de chambre, en se retirant aussitôt discrètement.
La jeune personne qui venait d’entrer était une adorable blonde, dont le visage fin et racé contrastait d’une façon piquante avec son allure sportive et dégagée de femme ultra-moderne.
— Mon chéri !…
— Diane adorée !…
Après un long baiser « fin-de-film », les deux amants reprirent souffle.
— Épatant, ton studio moyenâgeux… Tout à fait dernier cri féodal ! s’exclama Diane joyeusement.
— Cette galerie aurait pu être la nôtre, soupira Hubert.
— Ah ! non, je t’en prie ! Pas de regrets romantiques dans cette salle médiévale… C’est de l’anachronisme !
— Excuse-moi, mais c’est plus fort que moi. Quand je pense que si tu m’avais attendu…
— Je serais ta femme, je le sais. Mais ne la suis-je pas, tout de même, chéri ?
— Pas assez souvent… J’aurais voulu t’avoir près de moi toujours, toute ma vie…
— Tu serais déjà rassasié ! Va, crois-moi, tu as la meilleure part.
— Peut-être. Mais ce n’est qu’une part ! L’autre part, c’est ton mari qui…
— Ah ! non, je t’en supplie, laisse ta jalousie au garage !… C’est bien assez d’avoir un Othello à la maison…
— Ton mari est jaloux ?
— Comme un « chat-tigre ». Et sans motif par-dessus le marché. Car enfin, à part toi, je ne vois pas ce qu’on pourrait me reprocher…
— Il nous soupçonne ?
— Non, pas, toi, bien sûr. Maintenant que tu es son ami, c’est classique, il soupçonne la Terre entière, sauf toi !… Mais je ne puis sortir sans subir un véritable questionnaire sur mon emploi du temps. Et quand c’est lui qui s’absente, pour un voyage d’affaire, à son retour, c’est un véritable interrogatoire de juge d’instruction !… Même ici, à la campagne, sa jalousie est toujours en éveil !… Alors, tu comprends, mon chou, si tu te mets à l’imiter, maintenant, la vie ne sera plus tenable pour ta pauvre petite Dianette…
Ayant ainsi parlé, l’adorable martyre tamponna d’une minuscule pochette ses grands yeux bleus, dans lesquels, malgré tous ses efforts, la moindre larme ne parvenait à perler.
Hubert, très ému, s’élança pour la consoler.
— Ma pauvre chérie… Ne pleure pas… N’en parlons plus. L’essentiel, c’est que tu sois là, mon amour, ma mienne toute !… Mais comment as-tu réussi à t’échapper ?
— Auguste est en voyage pour deux jours. Mais je ne suis pas venu ici pour parler de lui… Montre-moi plutôt le truc… le machin moyenâgeux dont tu m’as parlé.
— La ceinture de dame Alix ? La voilà, chérie.
Et enlaçant tendrement son amie, Hubert la conduisit devant la vitrine de verre où l’objet était enfermé.
— C’est ce qu’on appelait une ceinture de chasteté, dis, Hubert ? questionna Diane tout en examinant avec attention l’étrange appareil métallique exposé dans la vitrine. Il y en avait peut-être une aussi, dans nos antiquités de famille, ajouta-t-elle. Mais papa a tout bazardé quand il a vendu notre hôtel pour payer ses dettes. Au fond, c’est une sorte de « short », un « short » d’acier, avec un verrou à la ceinture.
— Exactement, chérie.
— Et ton aïeule portait ça comme « combinaison », lorsque son seigneur et maître était en Palestine ?
— Oui. Et, à ce sujet, Baptiste, qui connaît à fond les archives de la famille, m’en a raconté une bien bonne.
— C’est vrai ?… Dis vite, mon loup.
— Lorsque mon ancêtre Hildebrand, Amaury de Brandon-La Tour, revint de Croisade, après trois ans d’absence, il voulut, sans délai présenter ses amoureux hommages à dame Alix, son épouse. Brûlant du plus ardent désir, il cherchait d’une main fébrile la clé de la ceinture, quand, soudain, hagard et chancelant, il poussa un grand cri : « Enfer et damnation ! s’écria-t-il, j’ai oublié la clé de votre ceinture en Palestine ! » Dame Alix s’évanouit et lorsqu’elle revint à elle, son époux était déjà reparti vers le désert, à la recherche de la clé perdue.
— Et il la retrouva ?
— Non. Et pour une bonne raison. C’est que dans la précipitation du retour, il l’avait laissé tomber par inadvertance sur le pont-levis du château. Un page la ramassa, et la chronique scandaleuse de l’époque relate que dame Alix sut le récompenser de sa trouvaille, et attendit sans trop d’impatience le retour de son féal époux.
— Très « à la page », ta petite dame Alix… Ou plutôt… au page ! s’écria Diane en riant. Dis, mon chéri, ajouta-t-elle, tu permets que j’ouvre la vitrine ? Je voudrais voir la ceinture de plus près pour me rendre compte du mécanisme.
Et sans attendre la réponse d’Hubert, elle s’empara de la ceinture de dame Alix et se mit à l’examiner minutieusement.
— En somme, poursuivit-elle, pour les maris de l’époque, cet appareil était une vraie D.C.A. !
— D.C.A. ?…
— Oui. Défense contre amants…
— Très drôle, tu sais ! s’esclaffa Hubert.
— C’est tout ce qu’il y a de simple ! reprit Diane au bout d’un instant. Ça doit se mettre aussi facilement qu’une culotte. Par exemple, je me demande si c’était gênant à porter ?
Et soudain, éclatant de rire à l’idée qui venait de germer brusquement dans son esprit fantasque :
— Dis, Hubert, si je l’essayais ?… Tu veux bien ?
— Mais voyons, Diane, c’est ridicule… Tu ne vas pas…
— Oui !… J’en ai une envie folle… Je voudrais me rendre compte… Par curiosité… Tu comprends, chéri, c’est une occasion plutôt rare de pouvoir essayer cette machine… Il n’y a pas beaucoup de femmes qui peuvent se payer une pareille fantaisie… Alors, je voudrais en profiter… Tu veux bien ? Je ne l’abîmerai pas. Ne crains rien.
— Oh ! ce n’est pas ça… mais…
— Alors, sois bien gentil ! veux-tu ? Laisse-moi seule, une minute, le temps de passer le « short » à ressort, et je te rejoins dans ta chambre… dans notre chambre… Oui, oui, laisse-moi faire. J’ai une idée épatante… Tu vas voir…
Et tout en riant, poussant gentiment dehors Hubert ahuri, la folle créature s’enferma à clé dans la galerie des Ancêtres.