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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 1Ultimatum Scientifique


Alice Dumont

Le vrombissement des ventilateurs remplissait l’air du laboratoire, une mélodie monotone et oppressante, reflet parfait de l’esprit d’Alice Dumont, en équilibre précaire entre contrôle et chaos. Elle fixait l’écran de son ordinateur, ses yeux gris-vert passant en revue les lignes de code avec une intensité presque fébrile. L’algorithme, son chef-d'œuvre, s’étalait devant elle comme une promesse fragile, un château de cartes qu’un souffle d’incertitude menaçait de renverser.

Elle se redressa légèrement, ses lunettes glissant sur l’arête de son nez, et inspira profondément. Son index gauche tapotait nerveusement sur le bureau d’acier inoxydable, un tic qu’elle ne remarquait même pas. Son regard, d’habitude si analytique, était ce soir-là empreint d’une fatigue qu’aucun graphique ne pouvait dissimuler.

Cet algorithme était tout pour elle : une tentative ambitieuse de dompter l’irrationalité des émotions humaines, de réduire l’amour – ce phénomène si insaisissable – à une équation quantifiable. Mais en ce moment précis, il lui semblait presque risible, comme si les chiffres eux-mêmes se moquaient de son ambition.

La porte du laboratoire s’ouvrit doucement, et les pas mesurés de Laurent Berger résonnèrent sur le sol carrelé. Sa présence imposait une autorité discrète. Ses lunettes fines reflétaient un éclat froid sous les néons du laboratoire, et son costume sobre, à peine froissé, contrastait avec l’austérité scientifique de l’environnement.

« Alice, nous devons parler. »

Elle sursauta légèrement, puis se tourna vers lui avec un calme étudié, bien qu’elle sente déjà une tension monter en elle, un nœud se former dans son estomac. « Je suis en train de raffiner les simulations. Si vous me donnez encore quelques semaines, je pourrai— »

Laurent leva une main pour l’interrompre, un geste qui, bien que mesuré, lui donna l’impression qu’il venait de tracer une ligne invisible entre eux.

« Ce n’est pas une question de temps, » dit-il en s’appuyant contre un comptoir, croisant les bras. « Les résultats que tu as présentés la semaine dernière n’ont pas convaincu les investisseurs. Ils ont besoin de preuves concrètes, pas de projections hypothétiques. »

Alice détourna les yeux, ses mâchoires se serrant imperceptiblement. Ses mots s’alignaient avec une froideur clinique, mais elle sentait une sueur discrète couler le long de son dos. « Les résultats sont prometteurs. Les corrélations sont statistiquement significatives... »

« Prometteurs, mais insuffisants, » la coupa Laurent, son ton plus sec cette fois. « Ils veulent des applications réelles. Quelque chose qu’ils peuvent montrer. Vendre. Si tu ne leur donnes pas cela, ils retireront leur financement. »

Elle s’obligea à le regarder dans les yeux, cherchant à masquer son désarroi derrière une façade froide. « Combien de temps me donnent-ils ? »

Le soupir de Laurent, long et chargé de résignation, sembla suspendre le temps. « Trois mois. Pas un jour de plus. Si d’ici là tu ne leur prouves pas que cet algorithme peut fonctionner dans le monde réel, tout s’arrête. »

Un picotement désagréable envahit ses doigts alors qu’elle revenait à son écran. Les graphiques et les calculs qui l’avaient toujours rassurée semblaient soudain dépourvus de sens, comme des constellations sans étoiles.

Laurent, adoucissant légèrement son ton, ajouta : « Je crois en toi, Alice. Mais cette fois, il va falloir aller au-delà des théories. »

Il se détourna et quitta la pièce, laissant derrière lui une atmosphère étouffante, plus oppressante encore que le vrombissement des machines.

Alice se leva brusquement, traversant la pièce jusqu’au tableau blanc où s’étalaient des schémas complexes des mécanismes neurobiologiques de l’amour. Elle agrippa un marqueur rouge et traça une ligne nerveuse à travers l’un des schémas, un geste rare d’abandon à sa frustration.

Un souvenir lui revint, fugitif. Elle avait dix ans, assise dans la cuisine de son père, entourée par le chaos d’un divorce en cours. Elle s’était promis ce jour-là que jamais elle ne laisserait ses émotions prendre le dessus. Tout pouvait être contrôlé. Tout devait l’être.

Son téléphone vibra sur le bureau, interrompant le fil de ses pensées. Elle le saisit et répondit sans même vérifier l’appelant.

« Oui ? »

La voix chaleureuse de Camille Vern, son amie et confidente, résonna à l’autre bout du fil : « Alice, tu vas exploser à force de bosser comme ça. Comment tu te sens ? »

Alice pinça les lèvres, hésitant à répondre. « Les investisseurs menacent de couper les financements. Ils veulent des résultats concrets. »

Il y eut un silence calculé avant que Camille ne réplique doucement : « Et toi, qu’est-ce que tu veux, Alice ? »

Cette question, si simple en apparence, frappa Alice comme un coup de tonnerre. Que voulait-elle vraiment ? La reconnaissance scientifique ? La validation d’une théorie audacieuse ? Ou prouver que tout – même les sentiments humains – pouvait être compris et maîtrisé ?

« Je veux réussir, » finit-elle par dire, sa voix plus dure qu’elle ne l’avait prévu.

Camille, toujours pragmatique, répondit avec un sourire dans la voix : « Réussir, oui, mais à quel prix ? »

Alice ferma les yeux, inspirant lentement. « Douter ne m’aidera pas, Camille. Je dois avancer. »

Dans un changement de ton qui lui était propre, Camille taquina : « Tu sais, ce ne serait pas une mauvaise idée de sortir un peu respirer l’air frais. Qui sait, peut-être qu’un contact humain réel te donnerait une perspective différente. »

Un sourire bref, presque imperceptible, effleura les lèvres d’Alice. « Très drôle. »

Après quelques échanges légers, elles raccrochèrent. Mais les paroles de Camille résonnaient encore dans son esprit, plantant une graine d’incertitude inattendue.

Elle retourna vers son tableau blanc, ses pensées formant des nœuds complexes. Trois mois. C’était à la fois un ultimatum cruel et une opportunité unique. Tester son algorithme dans le monde réel... C’était risqué, mais peut-être nécessaire.

Soudain, une idée, floue mais persistante, naquit dans son esprit. Elle s’assit à son bureau et se mit à rédiger, ses doigts bondissant sur le clavier. Une liste de critères prenait forme, un plan embryonnaire pour confronter sa théorie à la réalité.

Avant de quitter le laboratoire pour la nuit, elle jeta un dernier regard à l’espace ordonné qui avait toujours été son refuge. Les écrans alignés, les appareils aux lignes parfaites, tout semblait étrangement distant, comme un écho d’un passé qu’elle ne parvenait plus à toucher.

Dehors, Paris baignait dans une lumière froide et jaune. Les rues, animées mais impersonnelles, étaient ponctuées de bruits de klaxons et de conversations indistinctes. Alice marcha lentement, ses pensées en bataille.

Le chaos de ce monde extérieur, qu’elle avait toujours évité, semblait soudain lui tendre la main. Si elle voulait sauver son projet, elle devait quitter sa bulle contrôlée.

Il était temps d’affronter l’imprévisible.