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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Pressions Familiales à Bordeaux


Jules Leroy

Le soleil déclinant embrasait les collines ondoyantes du domaine viticole Leroy, projetant des ombres longues et riches sur les rangées de vignes parfaitement alignées. Jules Leroy, les mains enfoncées dans les poches de son jean, observait son équipe s’affairer dans les champs. Des éclats de rire et des plaisanteries flottaient dans l’air, mais lui restait figé, son regard fixé sur l’horizon comme pour éviter de penser à ce qui l’attendait.

Il inspira profondément, cherchant dans le parfum de la terre et des raisins mûrs une sorte de réconfort. Ce domaine était son héritage, sa vie, mais ces derniers temps, il avait l’impression que cela lui échappait, qu’il n’était plus maître de ce qu’il avait juré de protéger.

« Patron, tout va bien ? » Laure, une jeune employée du domaine, l’interpella en passant à côté de lui, essuyant ses mains terreuses sur son tablier.

Jules sursauta légèrement, pris dans ses pensées. Il força un sourire. « Oui, Laure. Merci. Vous avez besoin de quelque chose ? »

Elle secoua la tête avec un sourire timide. « Non, je voulais juste être sûre. Vous avez l’air préoccupé. »

« Rien de grave, » mentit-il, cherchant à ne pas révéler l’angoisse qui lui nouait l’estomac. « Continuez comme ça, tout le monde fait un excellent travail. »

Laure hocha la tête, rassurée, et partit rejoindre les autres. Jules resta immobile un instant, absorbant la chaleur humaine de son équipe, avant que le bruit d’une voiture se garant devant la maison en pierre ocre ne le tire de ses pensées.

Louise Marché était ponctuelle, bien sûr. Toujours impeccablement habillée, elle descendit de son véhicule avec la grâce froide d’une femme habituée à dominer chaque pièce où elle entrait. Sa silhouette stricte, encadrée par un tailleur anthracite parfaitement ajusté, tranchait nettement avec la rusticité chaleureuse du domaine.

« Jules, » l’appela-t-elle en avançant vers la maison, ses talons claquant sur le gravier.

Il étira un sourire poli, sans chaleur. « Louise. Entrons, je vous attends dans la grande salle. »

Quelques minutes plus tard, ils étaient assis de part et d’autre de la grande table en chêne qui trônait au centre de la pièce. La lumière tamisée des lampes suspendues adoucissait à peine l’atmosphère tendue. Jules, un verre de vin à moitié plein devant lui — bien qu’il n’y ait pas touché —, croisait ses bras sur la table, son corps tendu trahissant son inconfort.

Louise, quant à elle, était une image de contrôle calculé. Elle déposa un dossier épais devant elle, effleurant la couverture cartonnée avant de retirer ses lunettes et de relever un regard perçant vers Jules.

« Jules, nous savons tous les deux pourquoi je suis ici, » commença-t-elle, son ton neutre mais cinglant.

« Bien sûr, » répondit-il, cherchant à maintenir un ton cordial. « Mais je vous écoute. »

Elle leva un sourcil, comme si elle doutait de sa sincérité. « La situation financière de votre domaine reste préoccupante. Les dettes ne disparaîtront pas par magie, et, pour être franche, vos efforts pour moderniser l’exploitation sont... » Elle fit une pause, cherchant ses mots avec une précision chirurgicale. « ... respectables, mais insuffisants. »

Jules serra les dents. Il avait entendu cette rengaine plusieurs fois au cours des derniers mois, mais cela ne rendait pas les mots moins irritants.

« Je fais tout ce que je peux, Louise. Les ventes s’améliorent, et nous avons introduit de nouvelles méthodes pour optimiser la production. Les résultats viendront, mais cela prend du temps. »

Elle inclina légèrement la tête, son regard glacial le transperçant. « Le temps, Jules, est un luxe que vous ne pouvez pas vous permettre. Les investisseurs veulent des garanties. Et, pardonnez-moi de le dire, mais ils ont des doutes sur votre capacité à gérer le domaine à long terme. »

L’attaque, bien que déguisée, le fit tressaillir. « Et qu’est-ce que vous attendez de moi exactement ? »

Louise croisa ses mains devant elle, ses mouvements mesurés et contrôlés. « Ce que j’attends, c’est un signe de stabilité. Pas seulement professionnel, mais personnel. Vous êtes l’héritier de ce domaine, Jules, mais cela ne suffit plus. Les investisseurs veulent voir un homme enraciné, quelqu’un qui incarne la continuité et la fiabilité. »

Il fronça les sourcils, l’incompréhension et la colère se mêlant dans son regard. « Que voulez-vous dire par là ? »

Un silence pesant s’installa avant qu’elle ne lâche finalement la bombe. « Ils veulent que vous vous présentiez comme un homme stable, entouré et soutenu. Un partenaire romantique, par exemple, serait un atout précieux pour rassurer les investisseurs. »

Jules éclata de rire, un son bref et amer. « Vous plaisantez, j’espère. Vous me demandez de trouver une... compagne pour améliorer mon profil aux yeux des investisseurs ? »

Louise resta impassible. « Je ne plaisante jamais, Jules. »

Il se leva d’un bond, faisant crisser la chaise sur le sol en pierre. « C’est absurde. Mon travail, ma passion pour ce domaine, cela ne suffit pas ? Je dois maintenant jouer à ce jeu ridicule pour sauver quelque chose qui est dans ma famille depuis des générations ? »

« Ce n’est pas un jeu, » répondit-elle froidement. « C’est une nécessité. Votre passion est admirable, mais elle ne paiera pas les factures. Si vous voulez maintenir ce domaine à flot, vous devez être prêt à faire des sacrifices. Parfois, cela signifie jouer selon les règles de ceux qui détiennent l’argent. »

Ces mots résonnèrent en lui comme un écho cruel. Jouer selon leurs règles. Lui qui avait grandi entouré des valeurs de sa famille, du respect de la terre et du temps, se retrouvait à défendre ce qu’il pensait être une évidence : ce domaine méritait de vivre, avec ou sans leur validation.

« Combien de temps ai-je ? » demanda-t-il finalement, la voix rauque.

« La prochaine réunion avec les investisseurs est dans trois mois, » répondit-elle. « D’ici là, trouvez une solution. Montrez-leur que vous êtes l’homme qu’ils peuvent soutenir. »

Elle se leva, lissant les plis inexistants de sa jupe, et rassembla ses affaires. Avant de quitter la pièce, elle ajouta : « Je ne dis pas cela pour vous humilier, Jules. Je veux que vous réussissiez. Mais le succès exige parfois des compromis. »

Jules resta seul dans la grande salle, le silence seul témoin de sa frustration. Il se laissa retomber sur sa chaise, le regard perdu dans le vide. L’idée de se plier à une telle exigence lui laissait un goût amer en bouche, mais la menace qui pesait sur le domaine était bien réelle.

Il se dirigea vers une fenêtre, observant le crépuscule envelopper les collines. La lumière dorée caressait les vignes, rappelant les générations passées qui avaient travaillé cette terre avec passion et dévouement. Un soupir lui échappa, chargé de colère et de résignation mêlées.

Une compagne. Une solution temporaire pour apaiser les investisseurs. L’idée lui semblait artificielle, presque insultante. Pourtant, il savait qu’il devait faire un choix. Le domaine était sa vie, et il ne pouvait pas se permettre de le perdre.

Il quitta la grande salle et se dirigea vers la cave de dégustation, où une bouteille de son meilleur vin l’attendait. Ce soir, il aurait bien besoin d’un verre pour calmer la tempête qui faisait rage en lui.