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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Collision des Mondes


Narrateur omniscient

La salle principale du domaine viticole voisin était un mélange inattendu de rusticité et de sophistication. Les murs en pierres apparentes, illuminés par des guirlandes de lumières suspendues, dégageaient une chaleur contrastant avec l’atmosphère sérieuse qui régnait parmi les invités. La conférence scientifique, organisée dans le cadre d’une initiative mêlant tradition et innovation, attirait des viticulteurs locaux, des chercheurs et des investisseurs curieux. Les discussions passionnées, entrecoupées de tintements de verres, remplissaient l’air d’une énergie vibrante.

Alice Dumont, d’un pas mesuré, s’avança dans la salle, son regard analysant froidement l’assemblée. Sous son manteau de laine gris, elle avait soigneusement rangé sa blouse blanche, preuve de sa discipline professionnelle. Elle portait une expression concentrée, à mi-chemin entre vigilance et irritation. L’air saturé de l’odeur du vin et du bois ancien l’irritait légèrement, bien qu’une partie d’elle-même en soit intriguée. Alors qu’elle ajustait ses lunettes avec un geste méthodique, elle réfléchissait à l’objectif clair qu’elle poursuivait ici : convaincre les investisseurs que son algorithme pouvait révolutionner notre compréhension des émotions humaines et, par extension, des relations humaines elles-mêmes.

Dans un coin de la salle, Jules Leroy échangeait des plaisanteries avec deux viticulteurs locaux, un verre de vin à la main. Sa carrure imposante et son sourire chaleureux semblaient illuminer un rayon autour de lui, attirant naturellement les regards. Pourtant, derrière cette façade décontractée, une tension habilement dissimulée brillait dans ses yeux chaque fois qu’il jetait un coup d’œil à la salle. La conférence représentait pour lui une opportunité rare de renforcer les liens avec des investisseurs potentiels, d’apaiser les inquiétudes de Louise Marché, et, en fin de compte, de sauver le domaine familial de la pression grandissante des dettes.

Le destin voulut que leurs mondes se heurtent de manière aussi imprévisible que brutale. Alice, absorbée par ses pensées et consultant une série de notes manuscrites pleines de schémas et d’équations soigneusement tracées, ne remarqua pas Jules qui se frayait un chemin parmi les convives. Une main inattentive heurta son bras, et une éclaboussure rouge éclatante envahit ses feuilles, dessinant des traînées chaotiques sur ses calculs minutieux. Elle sursauta, reculant d’un pas, le souffle coupé par la surprise et l’irritation.

« Faites attention ! » s’exclama-t-elle, les yeux fixés sur ses notes tachées. Sa voix, bien que mesurée, vibrait d’une colère contenue.

Jules, tenant encore son verre fautif, resta un instant figé en réalisant la catastrophe. « Oh, ça, c’est pas bon… » murmura-t-il avant de lever les mains en signe d’excuse. « Je suis désolé, mademoiselle. Je ne vous avais pas vue. »

Alice releva la tête, ses yeux gris-vert lançant des éclairs. « Vous ne regardiez pas où vous alliez, c’est évident ! Ces documents sont… étaient essentiels pour ma présentation. »

Le ton accusateur fit froncer légèrement les sourcils de Jules. « Écoutez, j’ai dit que j’étais désolé. Ce n’était pas intentionnel. Et puis, ce n’est que du papier, non ? »

« Ce n’est pas ‘juste du papier’. Ce sont des résultats préliminaires cruciaux pour mon algorithme, que je dois présenter dans moins d’une heure ! » Elle serra les poings, tentant de réprimer les élans d’émotion qui menaçaient de faire surface.

Autour d’eux, plusieurs conversations proches s’interrompirent subtilement, des regards curieux se tournant dans leur direction. Jules, conscient de l’attention soudaine, tenta une approche plus apaisante, bien que son propre agacement commençât à poindre.

« D’accord, d’accord. Pas besoin de perdre votre sang-froid. Je vais vous aider à arranger ça. »

Alice, outrée par l’insinuation qu’elle était hors de contrôle, se redressa pour réaffirmer son calme. « Je ne perds pas mon sang-froid. Mais sauf si vous pouvez extraire des données intactes de ces taches, je doute que vous puissiez être d’une quelconque aide. »

Jules croisa les bras, le regard désormais sérieux. « Vous savez, un simple ‘merci pour vos excuses’ aurait suffi. Peut-être que si vous teniez vos fiches avec un peu moins de rigidité, elles seraient encore intactes. »

Avant qu’Alice ne puisse répondre, un sourire goguenard se dessinant déjà sur les lèvres de Jules, une voix familière rompit la tension.

« Alice ! » Camille Vern apparut à leurs côtés, son sourire bienveillant adoucissant instantanément l’atmosphère. Elle posa une main sur l’épaule d’Alice avant de se tourner vers Jules. « Tout va bien ici ? »

Jules haussa un sourcil, retrouvant un semblant de légèreté. « J’ai renversé un peu de vin sur les notes de votre amie, et je crois qu’elle m’en veut. »

Camille jeta un coup d’œil aux feuilles tachées et esquissa un sourire conciliant. « Eh bien, cela arrive, non ? Après tout, nous sommes dans un domaine viticole. » Elle se tourna vers Alice et ajouta doucement : « Peut-être que c’est l’occasion de tester votre capacité à improviser ? »

Alice serra la mâchoire, visiblement contrariée par la suggestion. « Ces données n’étaient pas remplaçables, Camille. Ce monsieur a sérieusement compromis ma présentation. »

« Monsieur, c’est Jules Leroy, » répondit-il d’un ton nonchalant. « Et si ça peut vous rassurer, je ne comptais pas ruiner votre journée. Mais vous devriez peut-être éviter de garder des choses aussi importantes près des verres… à l’avenir. »

Camille attrapa la main d’Alice avant qu’elle ne puisse rétorquer. « Excusez-nous une seconde. » Elle la tira légèrement sur le côté, lançant à Jules un regard rapide mais amusé.

« Alice, ce n’est pas le moment de monter en épingle cette histoire. Ce n’est qu’un incident, et je te connais : tu es capable de t’en sortir avec ou sans ces notes. »

Alice soupira, son agacement luttant contre la logique rassurante de Camille. « Peut-être. Mais il était négligent. Et arrogant. »

Camille haussa un sourcil. « Peut-être. Mais cela ne t’aidera pas de rester bloquée sur ça. »

Avant qu’Alice ne puisse répondre, Jules s’approcha, l’air légèrement embarrassé mais sincère. « Écoutez, je suis désolé pour vos notes. Si vous avez besoin de quelque chose pour arranger les choses, je suis prêt à aider. »

Alice chercha un instant des traces de sarcasme dans son ton, mais n’en trouva aucune. Elle soupira. « Très bien. Peut-être que vous pouvez m’aider à trouver un espace calme pour me préparer. »

Jules hocha la tête. « Suivez-moi. » Il la guida vers une table vide, loin de l’agitation principale. Alors qu’elle commençait à organiser ses affaires, Jules hésita à s’éloigner. Finalement, il brisa le silence.

« Alors, vous travaillez sur un algorithme ? »

Alice hocha la tête sans le regarder. « Oui. Il modélise les émotions humaines. »

Jules haussa les sourcils, amusé. « L’amour y est inclus ? »

Elle leva enfin les yeux. « Oui. Avec suffisamment de données, tout peut être compris. »

Il ricana doucement. « Vous croyez vraiment que l’amour peut se réduire à des chiffres ? »

« Pourquoi pas ? L’amour n’est qu’une série de réactions chimiques et de stimuli. »

Jules sourit, une lueur malicieuse dans le regard. « J’ai un doute. L’amour, comme le vin, ne se résume pas à une formule. Il y a une part de magie que ni vous ni vos algorithmes ne pourrez jamais saisir. »

Alice ouvrit la bouche, prête à argumenter, mais se ravisa. Ses mots résonnaient plus qu’elle ne voulait l’admettre. Jules, quant à lui, perçut son hésitation et décida de ne pas insister.

« Bonne chance pour votre présentation, » dit-il en s’éloignant.

Alice le regarda partir, perturbée par une confusion qu’elle ne s’expliquait pas. Pour la première fois depuis longtemps, quelqu’un avait défié sa vision du monde de manière si directe. Ce moment imprévisible, aussi frustrant qu’intriguant, laissait entrevoir des possibilités qu’elle n’était pas prête à affronter.