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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Le masque de la respectabilité


Lucien Caron

Le murmure des conversations s’élevait dans l’air feutré de la galerie d’art, baignée d’une lumière tamisée qui sublimait les œuvres exposées. Les traits abstraits des toiles semblaient se fondre dans les profils élégants des invités, vêtus de tenues sombres et sophistiquées. Margaux Caron orchestrait le tout avec une aisance qui ne laissait rien au hasard. Chaque sourire, chaque mot prononcé par sa sœur était soigneusement calibré pour flatter et séduire cette élite parisienne.

Lucien, en retrait, observait l’assemblée d’un regard perçant. Appuyé contre un mur immaculé près d’une sculpture en verre, il sirotait lentement un whisky hors de prix. Sa stature imposante et son costume sur mesure faisaient de lui une figure magnétique, mais son expression froide décourageait toute tentative de conversation superficielle. Ce n’était pas une simple soirée mondaine pour lui ; c’était un échiquier sur lequel il plaçait ses pions.

Les invités, sous le vernis de leur respectabilité, cachaient pour certains des connexions troublantes que Lucien connaissait bien. Pourtant, il était attentif à chaque détail : une poignée de main trop rapide, un rire forcé, des regards échangés avec prudence. La galerie, avec ses murs immaculés et ses éclats de lumière, servait parfaitement son dessein : un théâtre où les apparences masquaient les ombres.

Un homme s’approcha, glissant à travers la foule avec une confiance étudiée. C’était Vincent Langlais, un homme d’affaires respectable en apparence, mais dont les transactions financières étaient depuis longtemps étroitement liées au réseau de blanchiment géré par Lucien. Vincent tendit une main ferme que Lucien serra brièvement, sans chaleur.

« Une soirée impressionnante, comme toujours, » dit Vincent, un sourire poli collé aux lèvres, mais ses yeux trahissaient une certaine nervosité.

Lucien haussa un sourcil, levant légèrement son verre en signe de réponse. « Margaux sait comment flatter les goûts d’un public exigeant. »

Vincent acquiesça, jetant un regard rapide autour de lui avant de baisser le ton. « Nous devons parler. Les dernières informations que j’ai reçues... elles ne sont pas encourageantes. »

Lucien se redressa légèrement, son regard se durcissant. « Pas ici, » dit-il, tranchant. « Allez dans la salle privée. Je vous rejoins dans un instant. »

Vincent hocha la tête et s’éclipsa, traversant une porte discrète au fond de la galerie. Lucien posa son verre sur une table voisine et se tourna vers Margaux, qui discutait non loin avec un petit groupe de collectionneurs enthousiastes.

« Margaux, un mot, » murmura-t-il en s’approchant suffisamment pour qu’elle l’entende, mais que les autres soient exclus.

Elle pivota, son sourire impeccable se transformant en une expression d’agacement léger. « Lucien, on pourrait croire que tu es venu saboter ma soirée avec cette tête d’enterrement. »

« Ce n’est pas le moment, » répondit-il froidement. « Assure-toi que personne ne se doute de rien. Je vais m’absenter quelques minutes. »

Margaux planta son regard dans le sien, cherchant une faille dans son masque d’impassibilité. Mais elle savait mieux que quiconque que Lucien dissimulait toujours ses véritables pensées. « Très bien, » dit-elle finalement, son ton mordant, avant de retourner à ses invités avec un sourire éclatant.

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La salle privée était bien différente de l’espace épuré de la galerie. C’était une pièce intime, presque austère, dont les murs étaient ornés de quelques œuvres soigneusement choisies. La lumière y était plus tamisée, presque oppressante, et une odeur subtile de cuir et de bois flottait dans l’air. Lucien trouva Vincent en train de siroter un cognac, visiblement nerveux.

« Parlez, » ordonna Lucien en fermant la porte derrière lui, sa voix basse mais tranchante, comme une lame.

Vincent déposa son verre, ses doigts tapotant nerveusement l’accoudoir du fauteuil. Une goutte de sueur glissa le long de sa tempe. « Il y a eu une fuite. Les autorités commencent à poser des questions sur certains transferts liés à Arcadia. Ils ont identifié des schémas suspects. Rien de concret pour l’instant, mais… »

Il marqua une pause, cherchant ses mots. « Il semble que quelqu’un de l’intérieur ait parlé. Une avocate, Élena Moreau, pourrait être impliquée. »

Lucien resta immobile, son masque d’impassibilité intact, mais à l’intérieur, son esprit s’accéléra. Il connaissait ce nom. Une juriste brillante, idéaliste, et par-dessus tout, extérieure à son monde. Son association avec Arcadia n’était pas une coïncidence.

« Quelqu’un de mon cabinet surveille déjà son travail, » poursuivit Vincent. « Mais elle pose trop de questions. Trop de bonnes questions. »

Lucien se pencha légèrement en avant, plongeant son regard dans celui de Vincent. « Si c’est vrai, pourquoi est-elle encore en vie ? »

Vincent déglutit difficilement, ses mains se crispant sur ses genoux. « Nous n’avons pas de preuves concrètes. Si elle n’est pas impliquée, agir contre elle pourrait attirer l’attention. Elle a des connexions dans le système judiciaire. »

Un silence pesant s’installa, seulement interrompu par le bruit lointain des conversations et le tintement de verres dans la galerie principale. Lucien inspira profondément, fixant un point invisible devant lui.

« Continuez à la surveiller, » déclara-t-il finalement. Sa voix, calme et mesurée, dissimulait une menace implicite. « Je veux tout savoir sur elle : ses habitudes, ses relations, ses faiblesses. Si elle devient un danger, je m’en occuperai personnellement. »

Vincent hocha la tête, visiblement soulagé de ne pas avoir à prendre cette décision lui-même.

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Lucien sortit de la salle privée avec une expression inchangée. Margaux l’attendait près du bar, un verre de champagne à la main. Elle arqua un sourcil en le voyant approcher.

« Alors ? » demanda-t-elle doucement, feignant l’indifférence.

« Rien qui ne puisse attendre, » répondit-il en reprenant son verre de whisky.

Margaux soupira légèrement. « Tu sais, contrairement à toi, je préfère ne pas transformer chaque moment de ma vie en champ de bataille. »

Lucien esquissa un sourire glacial. « Et pourtant, tu profites des fruits de ce champ de bataille. »

Elle ne répondit pas immédiatement, mais son expression s’assombrit brièvement. Elle savait que Lucien avait raison, même si elle ne voulait pas l’admettre.

Brisant le silence, Margaux reprit : « Cette avocate, la Moreau… »

Lucien tourna lentement la tête vers elle. « Qu’est-ce que tu sais à son sujet ? »

« Juste ce que j’ai lu dans les journaux. Elle est brillante, mais idéaliste. Pas le genre à fermer les yeux sur ce qu’elle découvre. »

Lucien hocha légèrement la tête, réfléchissant à ses prochains mouvements.

« Tu t’intéresses à elle ? » demanda Margaux, un sourire en coin, mais un éclat de méfiance dans le regard.

« Pas de la façon dont tu l’entends, » répondit-il sèchement.

Margaux haussa les épaules, dissimulant mal son irritation.

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À la fin de la soirée, alors que les invités commençaient à partir, Lucien se retira dans son bureau, situé à l’étage au-dessus de la galerie. La pièce était sombre, éclairée uniquement par la lumière de la ville qui filtrait à travers les rideaux épais.

Il se laissa tomber dans le fauteuil imposant derrière son bureau, sortant un dossier marqué du nom d’Élena Moreau. Les premières pages détaillaient son parcours académique et professionnel, une série de réussites qui confirmaient son intelligence et sa persévérance. Mais c’était dans les dernières pages que son intérêt se concentra : des notes sur ses recherches concernant Arcadia et des mentions de Girard Holding.

Lucien ferma le dossier, tapotant du bout des doigts la surface en bois de son bureau. Une pensée le traversa : cette femme, sans le savoir, pourrait bien être un catalyseur. Une menace, ou une opportunité.

Il allait devoir la rencontrer en personne.