Chapitre 3 — Un Pacte Troublant
Clara Villeneuve
Le craquement de la porte du bureau mal alignée sur ses gonds résonna dans le silence, interrompant le lent filet de pensées de Clara. Elle releva à peine les yeux, ses doigts jouant distraitement avec le coin du carnet usé posé devant elle. La pluie continuait de battre doucement contre la fenêtre, ajoutant une note monotone à l’atmosphère.
Lorsqu’elle aperçut la silhouette élancée qui s’encadrait dans la porte, un soupir audible lui échappa. Devant elle, Hélène Duval, impeccable dans une robe sombre ajustée, s’avança comme si la décrépitude des lieux était insignifiante. Ses talons claquèrent doucement sur le parquet usé, un contraste étrange avec l’austérité du bureau.
« Vous avez un goût fascinant pour les lieux de travail déprimants, » lança Hélène, sa voix douce et parfaitement maîtrisée, tandis que son regard effleurait les murs écaillés et le mobilier fatigué. Son sourire s’étira, une pointe narquoise au coin de ses lèvres carmin.
Clara, toujours assise, croisa les bras en s’adossant à son fauteuil, une lueur froide dans les yeux. « C’est qui, cette fois ? Une cliente ? Une menace ? Une distraction ? Soyons claires, je n’ai pas de temps à perdre. »
Hélène s’arrêta juste à côté du bureau, lentement, avec une grâce calculée. Elle retira ses gants en cuir, un geste théâtral qui n’échappa pas à Clara, mais qu’elle choisit d’ignorer.
« Une femme dans ma position ne peut jamais être totalement innocente, » murmura Hélène, son sourire s’adoucissant en quelque chose de presque triste. « Mais aujourd’hui, je suis avant tout... une victime. »
Clara haussa les sourcils, laissant son scepticisme percer dans un éclat de rire sec. « Une victime ? En Dior et avec ce genre d’attitude ? Fascinant. Alors, dites-moi, qu’est-ce que vous voulez vraiment ? »
Hélène glissa un souffle amusé, mais ses yeux noirs restèrent fixés sur Clara, calculant chaque nuance de son expression. Elle prit place sur la chaise face au bureau sans y être invitée, croisant les jambes avec une élégance suffocante.
« Jacques Lemaire et moi étions... partenaires. Parfois alliés, parfois adversaires. » Elle inclina légèrement la tête, un éclat de mélancolie dans sa voix. « Sa mort, vous le savez, est une tragédie. »
Clara attrapa sa tasse, vide depuis longtemps, et fit mine d’en boire une gorgée, son regard ne quittant pas celui d’Hélène. « Une tragédie, dites-vous ? Vraiment ? Je suppose que c’est à ce moment-là que vous me dites que vous êtes injustement accusée. »
Hélène posa ses mains croisées sur ses genoux et laissa son sourire s’effacer, comme si elle abandonnait un masque bien en place. « C’est exact. On murmure que j’aurais eu un rôle dans sa disparition. Ces murmures menacent tout ce que j’ai construit. »
Clara posa brutalement sa tasse sur le bureau, le bruit sec résonnant dans la pièce. « Et pourquoi moi ? Pourquoi venir ici, dans ce trou à rats, alors que vous avez des avocats ou d’autres... alliés ? »
Le silence s’étira. Hélène laissa son regard s’attarder, presque tendre, sur le carnet usé entre les doigts de Clara. « Parce que je sais que vous cherchez des réponses, » dit-elle enfin, sa voix d’un calme désarmant. « Pas seulement sur Jacques, mais sur vous-même. Vous savez, dans ce monde, la vérité n’est jamais ce qu’elle semble être. Et Jacques vous respectait. » Elle se pencha légèrement en avant, réduisant la distance entre elles, son ton devenant plus intime. « Il pensait que vous étiez la seule capable de voir au-delà des apparences. »
Les yeux de Clara se plissèrent, sondant Hélène avec une froideur calculée. Mais, sous cette façade, un frisson de doute la traversa. Elle fit tourner le carnet entre ses doigts, son esprit tourbillonnant autour des implications de cette rencontre.
« Supposons que je décide de creuser, » dit-elle enfin, son cynisme perçant dans un ton mordant. « Pourquoi est-ce que ça vous arrangerait ? »
Hélène haussa légèrement les épaules, affichant un sourire énigmatique. « Parce que la vérité ne se trouve pas uniquement dans mes affaires ou dans mes clubs. Elle se cache dans les ombres que Jacques a laissées derrière lui. Et si vous découvrez cette vérité, cela pourrait me laver des accusations. »
Clara se redressa lentement, posant le carnet sur la pile de dossiers devant elle. « Vous attendez de moi que je vous défende. Mais vous savez que je ne fais pas ça. Alors pourquoi vraiment venir ici ? »
Hélène se leva, son ombre s’étirant sur le bureau sous la lumière tremblotante de la lampe. Elle ajusta sa robe d’un geste mécanique, presque distrait. « Parce que, Clara, nous avons toutes les deux intérêt à ce que la vérité éclate. »
Elle se dirigea vers la porte d’un pas mesuré, marquant une pause avant de l’ouvrir. Sans se retourner, elle ajouta : « Je vous laisse une journée pour réfléchir. Si vous décidez de travailler avec moi, je vous garantis que vous trouverez ce que vous cherchez. Mais faites vite. Le temps, comme vous le savez, n’est pas de notre côté. »
Puis, elle disparut, laissant derrière elle l’écho de ses pas, un léger parfum de rose et une tension presque palpable.
Clara resta immobile un moment, fixant la porte close. Puis, d’un geste brusque, elle saisit le carnet, le feuilleta rapidement, ses yeux s’arrêtant sur une entrée qui évoquait un lieu familier. Ses doigts hésitèrent avant de refermer violemment la couverture.
Travailler avec Hélène signifiait entrer dans un jeu où les règles étaient écrites pour la tromper. Mais refuser pourrait la laisser seule, à tâtonner dans l’ombre, entourée d’ennemis invisibles.
La pluie recommença à tambouriner contre la fenêtre. Clara sortit une cigarette et l’alluma, observant la fumée s’élever, brouillant ses pensées.
Quoi qu’elle choisisse, elle savait que le prix à payer serait élevé.