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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 1Coordonnées gravées


Troisième personne

La pluie tombait en un rideau dense, transformant la ruelle en un labyrinthe de reflets liquides et de halos tremblants sous les rares lampadaires fonctionnels. Les bâtiments gris et décrépis bordant l’étroite allée semblaient se pencher, leurs façades craquelées comme des visages usés par le temps. Paris, pourtant si vibrante, dévoilait parfois ces poches d’oubli, ces endroits où tout semblait suspendu, figé dans une agonie silencieuse. Une odeur métallique âcre flottait dans l’air, mêlée aux effluves de pluie et de déchets stagnants.

Un homme marchait à pas rapides, la tête basse, le col de son manteau beige relevé pour se protéger du vent glacial. Ses chaussures, bien que usées, martelaient les pavés avec une cadence régulière, presque nerveuse. Il jetait parfois un regard en arrière, comme s’il sentait une présence à ses trousses, mais les ombres dansaient seules sur les murs.

Il n’était pas censé être ici. Pas ce soir. Pas après ce qu’il savait. Une pensée fulgurante traversa son esprit : « Ils savent. Ils ont découvert. » Le poids de cette idée l’écrasa davantage à chaque pas.

Il bifurqua soudain dans une ruelle encore plus étroite, un passage que seuls les initiés de ces lieux déserts auraient pu connaître. Là, le bruit de ses pas sembla s’amplifier, résonnant contre les murs rapprochés. Une goutte de sueur, glissant malgré le froid, se mêla à la pluie ruisselant sur son visage.

Il s'arrêta brusquement, ses instincts en alerte. Le silence s’était épaissi, presque surnaturel. Même les gouttes de pluie semblaient étouffées. Il se retourna lentement, scrutant les ténèbres derrière lui. Rien. Juste l’obscurité et le murmure persistant de l’eau s’écoulant dans les égouts.

Puis, il les entendit : des pas, discrets mais déterminés, se mêlant au fracas de la pluie. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Le cœur de l’homme s’emballa. Il fouilla dans sa poche, cherchant quelque chose, un couteau peut-être, ou une arme improvisée. Ses mains tremblaient légèrement.

— Qui est là ? lança-t-il d’une voix rauque, brisée par une nervosité qu’il ne parvenait plus à masquer.

Aucune réponse. Juste les pas qui se rapprochaient, lents, inexorables. L’ombre d’un homme émergea enfin de l’obscurité, sa silhouette se découpant dans le faible halo d’un vieux lampadaire. Grand, imposant, vêtu de noir. Il avançait sans précipitation, ses bottes écrasant les flaques dans un bruit sourd.

L’homme recula, son dos rencontrant le mur froid d’un bâtiment.

— Écoutez… je… je ne sais pas pourquoi vous me suivez, mais je n’ai rien fait, balbutia-t-il, son souffle court, sa voix teintée d’un désespoir croissant.

L’autre ne répondit pas. Il s’arrêta à quelques mètres de sa proie, son visage plongé dans l’ombre d’une capuche. Puis, d’un geste fluide, il sortit quelque chose de sa poche : un scalpel. La lame fine captait un éclat de lumière trouble, amplifiant son aura menaçante.

— Non… non, je vous en prie… Je peux parler ! Je peux vous aider !

Avant que la victime ne puisse réagir, l’homme en noir se jeta sur lui avec une précision implacable. Il n’y eut pas de lutte prolongée. Une main gantée empoigna le visage de l’homme, l’écrasant contre le mur, tandis que l’autre, armée de la lame, s’animait avec une rapidité chirurgicale.

Le silence de la ruelle fut brisé par des gargouillis étouffés et le bruissement de vêtements froissés. L’agresseur travaillait avec une efficacité presque mécanique, son souffle calme contrastant avec l’urgence désespérée de sa victime. Le scalpel se déplaçait avec une précision effrayante, comme un chirurgien exécutant un rituel qu’il avait répété maintes fois.

Quelques instants plus tard, le corps s’effondra au sol, inerte, les yeux grands ouverts vers un ciel indifférent. La pluie continuait de marteler le corps sans vie, effaçant peu à peu les traces de lutte.

L’homme en noir s’agenouilla. Il passa une main sur le torse de sa victime, déchirant la chemise trempée pour exposer la peau pâle. Alors, avec une précision glaçante, il grava un ensemble de chiffres directement sur la chair, chaque mouvement de la lame semblant calculé, méthodique. Ses gestes étaient étrangement posés, presque cérémonieux, comme s’il rendait là un hommage sinistre.

Lorsqu’il eut terminé, il recula d’un pas pour contempler son œuvre. Le sang coulait en minces filets, se mêlant à l’eau des flaques, mais les chiffres restaient lisibles malgré tout. Un message énigmatique, une signature macabre.

L’homme murmura enfin, une voix basse et monocorde, presque inaudible sous la pluie :

— Ils comprendront.

Le tueur se releva, sa silhouette s’effaçant progressivement dans l’obscurité. Aucune précipitation dans ses gestes. Il n’avait pas peur d’être vu. Il savait qu’ici, dans ce coin oublié de la ville, personne ne viendrait.

La pluie continua de tomber, lavant la scène, réduisant le corps à une image fantomatique dans la ruelle déserte. Pourtant, les coordonnées gravées sur sa chair demeuraient indélébiles, un mystère destiné à celui ou celle qui les découvrirait.

Et ainsi, la première pièce du puzzle était posée, silencieuse et troublante, dans une ville qui ne manquerait de la remarquer qu’au moment où le mal serait déjà en marche.