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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Réveil brutal


Camille Villeneuve

La lumière blafarde s’insinuait à travers les persiennes de l’appartement, dessinant des ombres striées sur le mur dépouillé. Camille se réveilla en sursaut, le souffle court, le cœur battant dans sa poitrine comme un tambour désaccordé. Son front était perlé de sueur froide, et ses mains agrippaient convulsivement les draps. Pourtant, le rêve—ou plutôt le cauchemar—ne lui laissait que des fragments épars, des échos d’images qu’elle ne pouvait accrocher, comme de la fumée s’évanouissant entre ses doigts. Une lumière froide, des murs clos, des cris étouffés. Du sang, toujours du sang, et une sensation d'enfermement qui lui donnait encore la nausée. Une voix, indistincte mais étrangement familière, résonnait encore dans son esprit avant de disparaître, la laissant avec une vague angoisse qu'elle ne pouvait expliquer.

Un bruit sec brisa le silence. Son téléphone vibrait sur la petite table de chevet, son écran illuminant brièvement la pièce. Camille se redressa, chassant les vestiges de sommeil et les relents de son rêve. Elle attrapa le téléphone et décrocha sans regarder l’écran.

— Villeneuve, grogna-t-elle, sa voix rauque trahissant à la fois son réveil brutal et ses nuits trop courtes.

— Camille, c’est Mercier, lança une voix pressée de l’autre côté de la ligne. Désolé pour l’heure, mais tu dois te rendre sur place. Rue des Lilas. Meurtre. Et… c’est un peu spécial.

Elle fronça les sourcils, passant une main sur son visage fatigué. Mercier n’appelait jamais pour des détails insignifiants. S’il disait « spécial », c’était qu’il y avait quelque chose qui sortait de l’ordinaire, quelque chose qui nécessitait son regard analytique.

— Spécial comment ? demanda-t-elle, un soupçon d’ironie dans la voix.

— Tu verras par toi-même.

Son ton était tendu, presque hésitant. Camille sentit une pointe d’agacement monter en elle, mais elle se retint et répondit simplement :

— J’arrive.

Elle raccrocha et se leva d’un bond, enfilant machinalement son jean sombre et une chemise froissée. En passant devant le miroir, elle jeta un coup d’œil rapide à son reflet : des cernes creusaient son visage, et ses cheveux bruns, encore emmêlés, trahissaient la précipitation qu’elle imposait à chaque matin. Elle attrapa son blouson en cuir et ses bottines, puis composa un café noir sans goût qu’elle ne but qu’à moitié.

L’appartement était silencieux, presque oppressant dans sa simplicité austère. Les piles de dossiers éparpillés et le tableau de liège où des photos de scènes de crime côtoyaient des notes griffonnées étaient les seuls signes tangibles de vie. Sous ce tableau, un ruban rouge usé maintenait une vieille photo. Camille détourna rapidement les yeux, refusant de s’attarder sur ce souvenir. Elle attrapa ses clés et claqua la porte derrière elle, laissant ce sanctuaire froid et impersonnel derrière elle.

Dans la rue, Paris s’éveillait à peine, mais la pluie, froide et incessante, semblait ne jamais s’arrêter. Elle s’engouffra dans sa voiture, le bruit des essuie-glaces rythmant ses pensées. Rue des Lilas. Le nom ne lui disait rien, mais déjà son esprit s’activait, tentant de deviner ce qui l’attendait. Une intuition sourde lui disait que ce ne serait pas un simple homicide.

En arrivant sur place, la ruelle était plongée dans une lumière artificielle et surréaliste, provoquée par les gyropharres des voitures de police. Les pavés luisaient sous la pluie incessante, et une poignée de badauds, enveloppés dans des imperméables, tentaient d’apercevoir quelque chose au-delà des rubans de sécurité tendus entre les façades décrépites. Camille passa sous le cordon sans un mot, son badge suffisant à repousser les curieux. L’odeur la frappa immédiatement : un mélange de métal, d’eau stagnante et de quelque chose de plus écœurant qu’elle connaissait trop bien.

— Villeneuve, par ici, appela Mercier, un homme massif au visage marqué par des rides profondes. Il l’attendait à l’entrée de la ruelle.

Camille hocha la tête en guise de salut. Mercier semblait tendu, ses lèvres pincées et son regard fuyant.

— Alors, qu’est-ce qu’on a ? demanda-t-elle, directe.

— Homme, quarantaine. Retrouvé avec… quelque chose gravé sur le torse. Pas d’identité, pas de papiers. C’est propre, chirurgical. Pas une seule empreinte sur lui ou autour. Et le pire… tu verras par toi-même.

— Chirurgical ? répéta Camille, haussant un sourcil, un mélange de scepticisme et de curiosité dans la voix. C’est un légiste ou un tueur qu’on cherche ?

Sa remarque fit grimacer Mercier, mais il resta silencieux, préférant éviter tout échange inutile. Camille le dépassa, se dirigeant vers le corps recouvert d’un drap blanc, entouré de flashs d’appareils photo des techniciens de scène de crime. Un des légistes la salua d’un hochement de tête avant de soulever le drap pour révéler la victime. Camille s’accroupit, examinant le visage figé dans une expression de terreur. Les yeux ouverts, vitreux, fixaient un point invisible dans le ciel.

Mais ce qui attira son attention, c’était son torse. La chemise avait été déchirée, et sur la peau pâle était gravée une série de chiffres. Des coordonnées. Les bords de la plaie étaient nets, précis, exécutés avec une main sûre et expérimentée. Elle sentit un frisson glacé courir le long de son dos, mais ne laissa rien paraître.

— Gravé après la mort ? demanda-t-elle au médecin.

— Non. Pendant, répondit-il avec une grimace. Les traces de lutte sont minimes, mais il était vivant. Paralysé peut-être. On attend les analyses toxicologiques. En tout cas… c’est pas un amateur.

Camille releva les yeux, scrutant le reste de la scène. Pas de signes de lutte prolongée. Pas de marques sur le sol qui auraient indiqué une tentative de fuite. L’agresseur avait contrôlé la situation de A à Z. Cela exigeait non seulement des compétences mais aussi une certaine… froideur.

Elle se redressa, ignorant la pluie qui imbibait son blouson. Les chiffres continuaient de danser dans son esprit. Elle sortit un carnet de son sac pour les noter.

— Quelqu’un a déjà vérifié ça ? demanda-t-elle en désignant les coordonnées.

Mercier secoua la tête.

— Pas encore. On a juste commencé à sécuriser la scène.

— Alors faites-le. Tout de suite.

Elle s’éloigna légèrement, cherchant un abri sous l’auvent d’une boutique fermée. Elle sortit son téléphone, les chiffres gravés dans son esprit. Elle les entra dans une application GPS, plus par curiosité que par espoir d’une réponse immédiate. Les coordonnées menaient à un endroit en périphérie de Paris, un bâtiment laissé à l'abandon à en juger par la faible description fournie.

Un soupir frustré s’échappa de ses lèvres. Pourquoi ces coordonnées ? Et pourquoi cette sensation étrange qu'elles résonnaient en elle, comme un écho lointain et dérangeant d’un souvenir enfoui ?

La voix de Mercier la tira de ses réflexions.

— Camille, tu viens ? Le supérieur veut un rapport préliminaire.

Elle rangea son téléphone et le suivit, son esprit incapable de lâcher cette énigme. Elle savait que cette affaire ne serait pas comme les autres. Quelque chose, au fond d’elle, résonnait étrangement avec cette scène. Une intuition, ou peut-être un avertissement, lui soufflait que ce meurtre n’était que le début.