Chapitre 1 — Un Nouveau Départ en Provence
Claire Giraud
Claire serra un instant le volant de sa voiture, comme pour s’ancrer dans l’instant. Devant elle, le paysage changeait progressivement. Les champs s’étendaient à perte de vue sous le ciel d’un bleu limpide, ponctués de la silhouette gracile des cyprès et des oliviers noueux. Quelques maisons en pierre, avec leurs volets pastel et leurs toits de tuiles rouges, se fondaient harmonieusement dans ce tableau immuable.
Un soupir mêlé d’appréhension et d’espoir s’échappa de ses lèvres. Elle avait quitté Paris à l’aube, laissant derrière elle l’agitation de la ville, les souvenirs persistants de son mariage brisé et les attentes pressantes de son chef, Hugo Lambert. Ce nouveau projet, la restauration du Pont du Gard, représentait une opportunité rare. Hugo n’avait pas hésité à le qualifier de « mission cruciale pour sa carrière », mais Claire y voyait autre chose : une chance de tout recommencer.
La route sinueuse la mena enfin à son nouveau chez-elle. Une petite maison en pierre se dressait là, entourée d’un champ de lavande. Les volets bleu clair contrastaient joliment avec la façade ocre, et un figuier imposant projetait une ombre bienveillante sur la terrasse. Claire coupa le moteur et descendit de voiture, accueillie par le chant persistant des cigales et l’odeur enivrante des herbes sauvages.
Elle poussa la porte d’entrée, découvrant un intérieur simple mais charmant. Ses talons résonnèrent doucement sur les sols en terre cuite tandis qu’elle avançait dans la pièce principale. Des poutres apparentes au plafond et des meubles en bois rustiques composaient un cadre épuré et chaleureux. Une odeur à la fois douce et musquée flottait dans l’air, mélange de lavande séchée et de bois ancien. Posant ses valises près de l’escalier, elle fit un rapide tour des lieux. Une petite cuisine tout équipée, un salon baigné d’une lumière dorée filtrant à travers des rideaux en lin, et une chambre meublée avec simplicité mais goût.
Dans une des commodes de la chambre, elle trouva un tiroir qui coinçait légèrement, comme s’il n’avait pas été ouvert depuis des années. Elle tira doucement, découvrant quelques lettres jaunies et une vieille clé en fer. Intriguée, elle se promit d’y revenir plus tard. Pour l’instant, elle voulait s’imprégner de l’atmosphère de ce lieu.
Se dirigeant vers une fenêtre, elle ouvrit les volets. Une brise chaude, chargée d’arômes de thym et de lavande, caressa son visage. Pour la première fois depuis des mois, elle ressentit une vague de sérénité, bien que fragile.
Cependant, ce moment de calme fut de courte durée. Son téléphone vibra sur la table, brisant l’atmosphère paisible. Elle reconnut immédiatement le nom qui s’affichait : Hugo Lambert. Elle hésita une seconde avant de décrocher.
— Claire, lança-t-il d’un ton incisif. Tu es bien arrivée ?
— Oui, répondit-elle, tentant de masquer son irritation face à son empressement. La maison est parfaite, et le cadre…
— Bien. J’espère que tu te rends compte de l’importance de ce projet. Le Pont du Gard n’est pas qu’un monument historique, c’est une vitrine pour nous. Il faut maintenir un niveau d’excellence impeccable.
Elle pinça les lèvres. Hugo avait une capacité unique à transformer chaque conversation en un rappel de ses responsabilités et de ses attentes.
— Je sais, Hugo, rétorqua-t-elle calmement. Je commence dès demain.
— Parfait. Et Claire… ajoute-t-il, avec une pointe de condescendance. Je compte sur toi pour ne pas reproduire les hésitations que tu as montrées lors de notre dernier projet. Concentre-toi. Ce n’est pas le moment de te laisser distraire.
La ligne se coupa avant qu’elle n’ait pu répondre. Elle posa le téléphone sur la table et croisa les bras, fixant un instant l’écran éteint. Sa mâchoire se crispa légèrement. Elle laissa échapper un souffle agacé, puis murmura ironiquement, comme pour elle-même :
— Oui, Hugo, je vais m’assurer de respirer correctement aussi, si ça ne te dérange pas.
En quête d’air, elle sortit sur la terrasse. Là, elle s’installa sur une chaise en fer forgé, observant le soleil qui amorçait lentement sa descente derrière les collines. Elle sortit un carnet de croquis de son sac et commença à dessiner les contours du figuier qui s’étendait au-dessus d’elle. Ses doigts, d’abord hésitants, retrouvèrent peu à peu leurs gestes assurés. Elle se souvenait des soirées passées à dessiner quand elle était jeune, seule dans sa chambre à Lyon, où chaque coup de crayon semblait offrir une parenthèse de calme.
Elle nota, presque sans y penser, un mot dans un coin de la page : « recommencer ».
Le lendemain matin, elle se rendit sur le site du Pont du Gard. Dès qu’elle aperçut l’édifice, une vague d’émerveillement la submergea. Le pont s’élevait au-dessus de la rivière Gardon avec une majesté intemporelle. Ses arcs imposants, baignés par une lumière dorée, semblaient défier le passage du temps. Claire gara sa voiture à l’entrée, ajusta son sac en bandoulière et s’avança, ses bottines crissant sur le gravier du chemin.
Alors qu’elle se tenait là, au pied du pont, une étrange mélancolie l’envahit. Les pierres anciennes paraissaient porter en elles une infinité d’histoires, chacune inscrite dans leurs fissures et leurs contours usés. Elle porta la main à son médaillon, un cadeau de sa grand-mère. Gravé d’un motif complexe qu’elle n’avait jamais vraiment pris le temps d’étudier, il semblait vibrer légèrement sous ses doigts.
Un groupe de visiteurs passait non loin, guidé par un homme dont la voix portait jusqu’à elle.
— Construit au premier siècle après J.-C., disait-il, le Pont du Gard est un témoignage des prouesses des ingénieurs romains. Mais il est aussi au cœur de nombreuses légendes locales, évoquant des souhaits exaucés et des promesses éternelles…
Claire l’observa un instant avant de détourner les yeux et de se concentrer sur la mission qui l’attendait.
Elle passa le reste de la journée à explorer le site, prenant des notes et des photos. Son esprit analytique s’activait, examinant les détails structurels et identifiant les zones nécessitant une restauration. Pourtant, une part d’elle ne pouvait s’empêcher de se laisser happer par la beauté presque mystique du lieu, comme si le pont l’observait en retour, pesant silencieusement ses intentions.
En fin d’après-midi, alors que le soleil commençait à embraser le ciel de teintes rouges et orangées, Claire s’assit sur un rocher près de la rivière. Elle plongea ses doigts dans l’eau fraîche, observant les reflets scintillants à la surface. Une promesse de renouveau s’insinua en elle, douce mais insistante. Elle ferma les yeux un instant, laissant ses pensées se calmer.
Elle releva les yeux vers le pont, imposant et silencieux, et murmura presque malgré elle :
— Aide-moi à trouver ce que je cherche.
Le vent sembla répondre, léger et apaisant.
Cette première journée en Provence avait réveillé quelque chose en elle, une étincelle qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps. Claire se leva, prête à rentrer dans sa maison, mais avec une certitude nouvelle : cet endroit, ce projet, pourraient bien être le point de départ d’une reconstruction.