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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Rencontres au Pied du Pont


Claire Giraud

Le soleil n’était pas encore à son zénith lorsque Claire gara sa voiture sur le parking dédié aux visiteurs du Pont du Gard. Les cigales accompagnaient le bruit sourd de ses pas sur le gravier, un écho discret se mêlant à une ambiance paisible, presque sacrée. Ce matin-là, le lieu semblait encore plus vivant, avec des groupes de touristes éparpillés, des familles longeant la rivière et quelques artistes installés dans des coins ombragés, esquissant des croquis de l’aqueduc millénaire. Malgré cette effervescence discrète, Claire ressentait une solitude tenace, comme une ombre qu’elle ne parvenait pas à dissiper.

Elle ajusta son sac en bandoulière, contenant ses carnets et ses notes de la veille, et se dirigea vers le cœur du site. Tandis qu’elle approchait, elle remarqua un homme au centre d’un petit attroupement. Il parlait avec une voix captivante, une chaleur dans son ton qui semblait fasciner son auditoire. Ses cheveux bruns légèrement ondulés encadraient un visage expressif, et sa chemise en lin blanc épousait sa silhouette robuste. À cet instant, il évoquait une légende intrigante.

— Le Pont du Gard n’est pas seulement une prouesse technique, disait-il. C’est aussi un lieu qu’on associe aux légendes. Il paraît qu’un médaillon mystérieux, retrouvé ici il y a longtemps, exaucerait les vœux de ceux qui traversent le pont avec un cœur sincère.

Claire ralentit son allure, surprise par l’étrangeté de cette histoire. Un frisson imperceptible parcourut son échine, comme si le lieu lui-même murmurait à son oreille.

L’homme leva les yeux et croisa le regard de Claire, un sourire léger se dessinant sur ses lèvres. Il termina son discours et s’éloigna de son groupe, leur promettant de répondre à leurs questions à leur retour. Claire détourna rapidement les yeux et accéléra le pas, espérant se fondre parmi les visiteurs.

— Vous êtes nouvelle ici, non ?

La voix, plus proche qu’elle ne l’aurait imaginé, la fit sursauter. Elle se retourna pour découvrir l’homme debout à quelques mètres d’elle, sa curiosité évidente.

— Euh… oui, murmura-t-elle, un peu prise au dépourvu.

— Léo Martel, se présenta-t-il en tendant la main. Historien sur le site et, disons, gardien officieux des légendes locales.

Claire hésita un instant avant de serrer sa main.

— Claire Giraud. Architecte en charge de la restauration.

— Ah, la fameuse architecte de Paris, dit-il avec un sourire taquin. Vous êtes venue pour redonner un peu de jeunesse à ce vieux pont ?

Claire arqua un sourcil, son instinct sur la défensive, mais adouci par la note légère de sa remarque.

— Il semble s’être bien débrouillé sans moi jusqu’ici, répondit-elle, son ton teinté d’ironie. Mais je suis là pour m’assurer qu’il pourra encore le faire pendant quelques siècles.

Léo éclata de rire, un son chaleureux qui attira malgré elle un sourire en coin sur le visage de Claire.

— Touché, admit-il. Mais si vous avez besoin d’informations historiques ou même de quelques anecdotes locales pour enrichir vos rapports, vous savez où me trouver.

Avant que Claire ne puisse répondre, une femme pétillante, vêtue d’une robe colorée, arriva presque en courant.

— Léo ! s’exclama-t-elle. On t’attend au restaurant. Tu devais aider avec les préparatifs pour le déjeuner !

— Élodie, répondit-il en souriant. Toujours aussi exigeante.

La femme tourna son regard vers Claire, ses yeux brillants d’une curiosité amicale.

— Et qui est cette jeune femme ?

— Claire, dit-il en se tournant vers elle. Architecte et exploratrice du Pont du Gard. Claire, voici Élodie Fabre. Elle gère le meilleur restaurant du coin, et probablement de toute la Provence.

Élodie rougit légèrement mais secoua la main de Claire avec enthousiasme.

— Enchantée ! Vous devez venir déjeuner à mon restaurant. Le marché d’aujourd’hui était incroyable. J’ai trouvé des ingrédients parfaits pour un plat typiquement provençal. Venez, ça vous fera du bien de découvrir la vraie vie ici.

Claire allait décliner poliment, mais l’enthousiasme d’Élodie était presque contagieux.

— Pourquoi pas, finit-elle par dire, surprise par sa propre réponse.

Quelques minutes plus tard, elle se retrouvait dans une petite bâtisse colorée, ornée de vignes grimpantes et de guirlandes lumineuses. L’intérieur débordait de vie : l’odeur alléchante de la cuisine, les rires des clients et une énergie chaleureuse qu’elle n’avait pas ressentie depuis des mois.

Léo s’installa à une table avec Claire, tandis qu’Élodie disparaissait derrière le comptoir, donnant des instructions à ses employés avec une vigueur joyeuse.

— Elle est comme ça depuis que je la connais, dit Léo, amusé. Toujours à vouloir nourrir tout le monde, et pas seulement avec de la nourriture.

Claire observa la scène avec un mélange d’étonnement et d’envie. Cette simplicité, cette authenticité lui semblaient presque étrangères, comme une fenêtre vers une vie qu’elle avait oubliée.

— Vous êtes ici depuis longtemps ? demanda-t-elle finalement.

— Toute ma vie, répondit-il. J’ai étudié l’histoire à Aix-en-Provence, mais je suis vite revenu. Le pont a toujours eu une… importance particulière pour moi.

— Ah oui ?

Léo hésita un instant, mais hocha finalement la tête.

— Mon père travaillait sur le site, dans l’entretien. C’est lui qui m’a transmis cette passion pour l’histoire locale. C’est aussi ici qu’il a… enfin, qu’il nous a quittés.

Il détourna brièvement le regard, et Claire sentit une ombre passer sur son visage.

— Je suis désolée, murmura-t-elle.

Léo haussa les épaules, son sourire revenant doucement.

— C’est vieux, maintenant. Mais c’est ce qui m’a poussé à rester ici. Il y a quelque chose dans le Pont du Gard… quelque chose qui nous relie, vous ne trouvez pas ?

Claire réfléchit à ses mots, se rappelant l’impression qu’elle avait eue la veille, comme si le pont l’observait, la jaugeait.

— Peut-être, dit-elle doucement.

Leurs plats arrivèrent, interrompant la conversation. Claire découvrit un festin de saveurs : ratatouille, tapenade et un poisson délicatement grillé, accompagné d’un vin blanc local. Elle se laissa aller à savourer chaque bouchée, presque surprise par le plaisir simple mais profond qu’elle éprouvait.

— Vous voyez ? dit Élodie en s’asseyant brièvement à leur table. La Provence, c’est comme ça. Une belle assiette, de bons amis, et tout paraît plus simple.

Claire sourit, mais ses pensées la ramenèrent à Hugo, à Paris, au poids de ses responsabilités. Rien ne semblait jamais aussi simple dans son monde.

— Peut-être, admit-elle.

Après le déjeuner, Léo accompagna Claire jusqu’à sa voiture.

— Alors, vous pensez vraiment qu’un pont peut relier plus que deux rives ? demanda-t-il, une lueur dans ses yeux noisette.

Claire hésita, mais un sourire léger apparut sur ses lèvres.

— Disons que je commence à être curieuse, répondit-elle, presque en défiant sa propre réserve.

Léo lui adressa un clin d’œil avant de repartir vers le restaurant. Claire, seule à nouveau, resta un instant appuyée contre sa voiture, regardant le Pont du Gard se profiler à l’horizon. Elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une curiosité naissante, non seulement pour ce lieu, mais aussi pour ces nouvelles rencontres, ces nouvelles possibilités qui semblaient se dessiner.

Pour la première fois depuis longtemps, elle se surprit à envisager que peut-être, son cœur aussi pourrait trouver un pont vers quelque chose de nouveau.