Chapitre 3 — Disparition inquiétante
Clara Weil
Clara entra dans le bureau ce matin-là, les épaules raides et la mâchoire serrée. Une nuit d’insomnie avait laissé ses nerfs à vif, son esprit prisonnier des mots du mystérieux appelant : "Oubliez. Pour votre propre bien." Les chiffres tourbillonnaient encore dans ses pensées, entremêlés de souvenirs obsédants de silhouettes anonymes dans des couloirs obscurs.
Alors qu’elle passait devant l’open space de Valmont Cie, une tension instinctive la poussa à chercher Gilles Corbet du regard. Son bureau était vide.
Un vide troublant.
La chaise de Gilles était parfaitement repoussée contre le bureau, son ordinateur éteint, mais un détail l’interpella : une tasse de café à moitié pleine trônait encore à côté d’une pile de documents soigneusement empilés. Quelque chose clochait. Gilles, d’ordinaire méthodique, n’aurait jamais laissé une tasse ainsi s’il avait prévu de s’absenter.
Clara fronça les sourcils et s’assit à son poste, tâchant de masquer son trouble. Pourtant, une boule d’angoisse s’installa dans son estomac, une sensation d’urgence qui refusait de la quitter.
Après une demi-heure frustrante à tenter de se concentrer, Clara se leva avec une nonchalance feinte et s’approcha d’un autre analyste plongé dans une présentation PowerPoint.
— Antoine, tu as vu Gilles ce matin ? demanda-t-elle d’un ton détaché, les bras croisés.
Antoine leva les yeux, visiblement surpris par son interruption.
— Non, il n’est pas venu. Peut-être qu’il a pris un jour de congé ?
Clara hocha la tête, simulant l’indifférence. Mais le poids dans sa poitrine s’alourdissait. Gilles n’était pas du genre à s’absenter sans prévenir, surtout après leur échange tendu de la veille.
Elle se dirigea vers le bureau de Gilles et, une fois devant la porte vitrée, hésita. La poignée semblait la défier, comme une frontière qu’elle ne devait pas franchir. Mais la peur et la curiosité la poussaient. Elle tendit une main tremblante, prête à entrer, quand une voix sèche l’interrompit.
— Clara ?
Elle se retourna brusquement pour voir Camille, l’assistante administrative de l’étage, debout à quelques mètres avec une pile de dossiers dans les bras.
— Tu cherches Gilles ?
Clara força un sourire et croisa les bras pour masquer son trouble.
— Oui. Il avait mentionné quelque chose hier, mais je ne le trouve nulle part.
Camille haussa les épaules, l’air perplexe.
— C’est bizarre. Il ne m’a rien dit non plus. J’ai essayé de l’appeler ce matin pour lui transmettre les notes d’une réunion, mais il n’a pas répondu.
Clara la remercia brièvement et retourna à son poste. Une inquiétude sourde s’installa dans son esprit, comme si une pièce essentielle du puzzle venait de disparaître.
Elle tenta de se plonger dans son travail, mais les chiffres, habituellement si familiers et réconfortants, lui semblaient flous, comme s’ils refusaient de se plier à son contrôle. L’open space lui paraissait plus oppressant que jamais, chaque bruit de clavier et de téléphone amplifiant son malaise.
Finalement, elle céda à son instinct et ouvrit discrètement ses emails professionnels.
C’est là qu’elle le vit : un message non lu, envoyé tard la nuit précédente, émanant du compte de Gilles Corbet. L’objet, "Le silence est d’or", la fit frissonner.
Elle ouvrit l’email, le cœur battant. Le contenu était aussi troublant que cryptique :
*Clara, parfois, il vaut mieux ne pas chercher à comprendre. Certaines vérités détruisent tout sur leur passage. Pardonne-moi si je ne peux pas en dire plus. Sois prudente.*
L’absence de signature rendait l’ensemble encore plus dérangeant. Clara fixa l’écran, cherchant un sens à ce message. Une part d’elle voulait croire que Gilles essayait de la protéger, mais une autre y voyait un aveu de complicité ou… une mise en garde finale.
Elle relut les phrases, chaque mot résonnant comme un écho des avertissements de son père, des années auparavant : "Clara, certains secrets sont des pièges qu’on ne peut refermer." Ce souvenir fit naître une bouffée de colère et de détermination en elle.
Elle passa le reste de la matinée dans une tension insupportable, réfléchissant aux implications de ce message. L’absence de Gilles, son avertissement voilé, tout cela formait une toile de mystères qui lui échappait encore.
Lorsque midi arriva, elle sentit qu’elle devait sortir. L’air frais de la ville l’aiderait peut-être à apaiser son esprit.
Mais au contraire, son malaise s’accentua.
Dans les reflets des vitrines et des fenêtres des immeubles environnants, elle percevait des ombres qui semblaient bouger à son rythme. Elle sentit à plusieurs reprises des regards insistant sur elle. Chaque fois qu’elle se retournait, son cœur battait à tout rompre, mais elle ne voyait rien de suspect.
Elle accéléra le pas, ses talons frappant le pavé avec une régularité presque hypnotique. C’est alors qu’elle le vit.
L’homme en costume sombre.
Il se tenait de l’autre côté de la rue, appuyé contre un lampadaire, une main tenant un téléphone. Son costume impeccable semblait étrangement familier. Bien qu’il fît mine d’être absorbé par son écran, sa posture – trop détendue, trop calculée – la mit immédiatement sur ses gardes.
Clara détourna le regard et continua à marcher, tentant de masquer sa nervosité. Mais son souffle s’accélérait. Elle jeta un coup d’œil discret par-dessus son épaule : l’homme avait commencé à marcher, avançant tranquillement mais inexorablement dans sa direction.
Ses pensées s’emballèrent. Était-ce une coïncidence ? Était-il simplement un passant quelconque ? Non, il y avait trop de signes.
Elle pressa le pas, tournant brusquement à l’angle d’une rue plus étroite. L’adrénaline envahissait son corps. Lorsqu’elle aperçut une petite supérette, elle s’y engouffra rapidement et se cacha dans une allée, feignant d’étudier des étiquettes de produits.
Elle risqua un coup d’œil par la vitrine. L’homme passa devant la supérette sans s’arrêter, mais son allure calculée et son absence de regard autour de lui confirmaient ses soupçons.
Clara soupira de soulagement. Pourtant, son esprit restait en alerte. Si cet homme était réellement une menace, qu’est-ce que cela signifiait ? Et surtout, où était Gilles ?
Elle flâna dans les allées un moment, avant de reprendre son chemin. Ses nerfs étaient tendus comme des cordes de piano. Avant de rentrer chez elle, elle prit soin de mêler ses trajectoires, montant dans un métro pour descendre aussitôt, prenant des détours calculés dans l’espoir de semer une éventuelle surveillance.
De retour dans l’intimité relative de son appartement, elle verrouilla soigneusement la porte, posa son sac, et s’effondra sur son canapé. Tandis qu’elle fixait le plafond, une seule question tournait en boucle dans son esprit :
*Que cachait le silence de Gilles Corbet ?*