Télécharger l'application

Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Les Jeux de la Marquise


Charles Duvalier

Le crépuscule tombait sur Paris, drapant la ville d’une lumière vacillante et dorée. Charles Duvalier, le tricorne enfoncé sur la tête, approchait de la demeure où un salon littéraire rassemblait certains des plus illustres esprits de la noblesse parisienne. La Marquise Éloïse de Montreuil se trouvait parmi eux, et c’était précisément pour elle qu’il avait accepté cette invitation inhabituelle. Sous son bras, il portait un livre ancien, un alibi discret pour justifier sa présence. En vérité, il n’était pas là pour discuter de poésie, mais pour sonder les secrets qu’elle semblait détenir.

Le bâtiment, d’une élégance austère, rappelait la fierté fanée des cercles aristocratiques. Des éclats de rire et des murmures animés s’échappaient des fenêtres ouvertes, mêlés au parfum de cire chaude, d’eau de rose et d’un encens subtil évoquant la myrrhe. Duvalier traversa le hall, où un majordome impeccablement habillé s’empressa de lui prendre son manteau. L’air chargé de parfums capiteux l’enveloppa tandis qu’il avançait dans le salon principal, ses bottes résonnant légèrement sur le parquet brillant.

L’intérieur brillait d’une lumière tamisée, émanant de chandeliers en argent suspendus au plafond, dont les flammes vacillantes projetaient des ombres mouvantes sur les murs ornés de riches tentures cramoisies. Une dizaine de personnes étaient éparpillées dans la pièce, regroupées par petits cercles. Une voix affectée s’élevait au-dessus des murmures : un poète en vogue récitait des vers avec emphase, tandis que quelques rires polis ponctuaient son discours. Duvalier, pour sa part, balayait les lieux du regard, à la recherche de celle qu’il savait être l’âme véritable de cet événement.

Éloïse de Montreuil était assise à l’écart, sur un canapé en velours gris perle, un livre ouvert négligemment posé sur ses genoux. Ses cheveux relevés dégageaient la courbure élégante de son cou, et ses yeux perçants semblaient absorber les allées et venues des convives, comme si elle jouait elle-même aux échecs avec la salle entière. Quand son regard croisa celui de Duvalier, un sourire fin effleura ses lèvres. Elle lui fit un signe discret, l’invitant à la rejoindre.

« Monsieur Duvalier, quelle surprise de vous voir en ces lieux », murmura-t-elle d’une voix douce, presque moqueuse, lorsqu’il fut à portée de voix. « Je ne vous savais pas amateur de poésie. »

Il s’inclina légèrement, ajustant son tricorne. « La poésie m’échappe souvent, je l’avoue. Mais je suis friand des conversations éclairées. Et il se murmure que vos salons sont l’antre des esprits les plus aiguisés de Paris. »

Elle haussa un sourcil, amusée. « Vous flattez mon orgueil, Commissaire. Mais je doute que vous soyez ici seulement pour enrichir votre esprit. Si je ne me trompe, vous êtes en quête de réponses, n’est-ce pas ? »

Il s’installa sur le siège en face d’elle, posant son livre sur la table entre eux. « Vous parlez avec une telle certitude, Madame, qu’il serait discourtois de vous contredire. Oui, j’ai des questions. Et je crois que vous avez des réponses. »

Elle referma doucement son livre, le posant sur ses genoux avant de se pencher légèrement vers lui. « Les réponses, comme les secrets, Monsieur Duvalier, doivent être méritées. Mais je suis prête à écouter vos questions. »

Il hésita un instant, jaugeant ses intentions. Éloïse dégageait une aura déconcertante, à la fois captivante et dangereuse. Il ne pouvait s’empêcher de remarquer la précision calculée de ses mouvements, la manière dont elle jouait avec l’atmosphère comme un maître stratège. Décidant de jouer franc-jeu tout en restant prudent, il posa sa question.

« Que savez-vous du comte de Laval ? Et du symbole de la rose noire enflammée ? »

Pour la première fois, l’expression de la marquise se durcit imperceptiblement. Ses yeux, cependant, brillèrent d’un éclat nouveau, comme si la mention de ces mots avait touché une corde sensible.

« Le comte de Laval… Que dire de lui ? Un homme brillant, mais imprudent. Il s’est aventuré là où peu oseraient aller, et il en a payé le prix », répondit-elle, choisissant chaque mot avec soin. « Quant à la rose noire… Elle symbolise bien des choses, Commissaire. Une révolte contre l’ordre établi. Une vérité cachée. Peut-être une cause plus grande que ceux qui la servent. »

Duvalier fronça les sourcils, tentant de percer les sous-entendus de ses mots. Chaque phrase d’Éloïse semblait calculée pour éveiller sa curiosité sans jamais le satisfaire pleinement. « Vous parlez en énigmes, Madame. Si vous savez quelque chose qui pourrait m’aider à élucider cette affaire, je vous en conjure, soyez directe. »

Elle se redressa légèrement, croisant ses mains sur son livre. « Directe ? Je peux vous dire ceci, Commissaire : l’affaire qui vous occupe dépasse de loin le meurtre d’un noble déchu. Le comte de Laval n’a pas été tué pour ce qu’il savait, mais pour ce qu’il représentait. Et si vous continuez à suivre cette piste, vous pourriez bien découvrir des vérités que certains préfèrent laisser dans l’obscurité. »

Duvalier sentit une pointe de colère monter en lui, qu’il réprima avec effort. « Madame, je ne suis pas homme à fuir devant une menace. Si vous avez des informations, il est de votre devoir de les partager. »

Elle le fixa, son sourire revenant, mais cette fois empreint d’une certaine tristesse. « Vous êtes aussi intrépide qu’on me l’avait dit. Très bien, Commissaire. Puisque vous insistez, je vais vous donner une piste. Vous devriez vous rendre à la Bibliothèque royale de Versailles. Il y a, dans ses rayonnages, des documents que le comte avait consultés avant sa mort. Peut-être y trouverez-vous un début de réponse. »

Duvalier prit mentalement note de l’information. Tout en sentant qu’elle ne lui avait livré qu’une partie de la vérité, il pressentait que cette piste était cruciale. « Et vous, Madame ? Pourquoi m’aidez-vous ? Quel est votre rôle dans cette affaire ? »

Éloïse le regarda longuement, comme si elle pesait chaque mot qui allait suivre. « Mon rôle, Commissaire, est d’observer. De comprendre. Et parfois, de guider ceux qui ont le courage de voir au-delà des apparences. Mais ne vous méprenez pas. Je ne prends parti que lorsque cela me sert. »

Il hocha lentement la tête, respectant sa franchise tout en restant méfiant. Une dernière question s’imposa à lui : « Que savez-vous de Villeroi ? »

À la mention de ce nom, Éloïse détourna légèrement le regard, et une tension fugace traversa ses traits. « Villeroi est un nom chargé d’histoire et de pouvoir. Si vous souhaitez en apprendre davantage, je vous conseille de faire preuve de la plus grande prudence. Certains secrets, Commissaire, sont comme des flammes. Ils éclairent, mais ils brûlent aussi. »

Avant qu’il ne puisse approfondir, un jeune noble s’approcha, s’inclinant légèrement avec une aisance affectée. « Marquise, tout le monde s’inquiète de ne pas vous voir au centre de la conversation. Puis-je vous voler un instant ? »

Elle se leva avec grâce, adressant un dernier regard à Duvalier. « Je crains que nos jeux soient interrompus, Commissaire. Mais vous avez ma piste. Utilisez-la à bon escient. »

Elle s’éloigna en compagnie du jeune homme, échangeant quelques paroles légères d’un ton qui tranchait avec la gravité de leur discussion précédente. Duvalier, resté seul, observa ses pas gracieux jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans la foule. Tandis que les discussions autour de lui reprenaient, il ne pouvait s’empêcher de sentir que cette rencontre n’avait fait qu’épaissir le mystère. Mais une chose était claire : Éloïse de Montreuil était bien plus qu’une simple spectatrice. Elle manipulait les fils de cette affaire, de manière qu’il ne pouvait encore comprendre.

En quittant le salon, l’air nocturne lui parut plus lourd, presque oppressant. Alors qu’il montait dans sa calèche, un carrosse passa près de lui dans un bruit sec de roues sur les pavés mouillés. Instinctivement, il tourna la tête, alerté par une silhouette qui semblait l’observer brièvement depuis une fenêtre éclairée à l’étage du bâtiment.

Son intuition le traversa comme un éclair : Éloïse n’avait pas seulement guidé ses pas. Elle venait peut-être de l’entraîner dans un piège bien plus vaste qu’il ne l’avait imaginé.