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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Silences et Disparitions


Charles Duvalier

La pluie s’était arrêtée, mais l’humidité imprégnait toujours l’air lorsque Charles Duvalier regagna son bureau dans les quartiers de la police royale. Le trajet en calèche avait été silencieux, rythmé seulement par le claquement des sabots sur les pavés glissants. En passant devant les rares réverbères encore allumés, son regard s’attarda sur les reflets tremblants dans les flaques d’eau, évoquant des ombres insaisissables, comme celles qui planaient sur l’affaire.

Assis face aux documents qu’il avait rapportés de l’hôtel particulier, il sentait une tension sourde s’accumuler. Les symboles cryptés, le sceau royal sur les lèvres du comte de Laval et le nom de Villeroi formaient un tableau incohérent mais chargé de promesses inquiétantes.

Le silence de la nuit était brisé par le grincement d’une plume sur le papier. Duvalier écrivait un rapport préliminaire, consignant méthodiquement ses observations. Cependant, ses pensées vagabondaient vers le valet nerveux, les craquements au-dessus de la pièce secrète, et surtout ce symbole de rose noire enflammée. Il n’était pas homme à se laisser distraire par des conjectures, mais cette affaire avait un goût particulier. Un goût de menace imminente, de jeu dangereux où chaque erreur pouvait être fatale.

Quelques heures plus tard, alors que le jour commençait à percer l’obscurité, une rumeur étrange parvint jusqu’à lui. L’un des domestiques qui résidait à l’hôtel de Laval avait disparu. Il avait été envoyé par le commissaire pour récupérer la liste des visiteurs demandée, mais il n’était jamais revenu. Duvalier sentit ses mâchoires se contracter. Il ne croyait pas aux coïncidences.

« Envoyez chercher les autres domestiques », ordonna-t-il sèchement à un agent sous ses ordres. « Je veux qu’on les interroge immédiatement. »

Le jeune agent acquiesça, mais son regard trahissait une nervosité latente. « Bien entendu, monsieur le Commissaire. Mais… certains disent que des choses étranges se passent dans cet hôtel depuis des semaines. Ils craignent… des représailles. »

Duvalier fronça les sourcils. « La peur n’est pas une excuse pour fuir ses responsabilités. Faites ce que je vous ai demandé. »

L’agent quitta la pièce précipitamment. Duvalier, les bras croisés derrière son dos, fixa le parchemin crypté étalé sur son bureau. Ses yeux scrutaient les lignes entrecroisées et les symboles avec une concentration féroce, tentant de déchiffrer les secrets qu’ils renfermaient. Il savait qu’il aurait besoin d’aide pour comprendre cette écriture complexe, mais il hésitait encore à partager cette découverte. Qui pourrait-il vraiment en informer sans risquer de compromettre l’affaire ?

Une heure plus tard, le jeune agent revint, l’air troublé et le souffle court. « Monsieur le Commissaire, deux des domestiques sont introuvables. Les autres refusent de parler, même sous la menace d’une arrestation. Ils ont peur, cela se voit. »

Duvalier tapota son bureau du bout des doigts, un geste révélateur de son irritation. « Très bien, laissez-les pour l’instant. Mais placez des hommes pour surveiller leurs mouvements. S’ils tentent de quitter la ville, vous les arrêtez. »

L’agent s’inclina et quitta la pièce, laissant Duvalier à ses réflexions. Quelque chose dans cette affaire étendait ses ramifications bien au-delà du crime initial. Il doutait maintenant que le comte de Laval ait été la seule cible.

Plus tard dans l’après-midi, une nouvelle inquiétante arriva. L’un des potentiels témoins, un marchand connu pour ses relations avec la noblesse, avait été retrouvé mort dans sa boutique. La scène avait été déguisée en accident : une étagère effondrée, des marchandises écrasées, et le corps du marchand sous les décombres. Mais pour Duvalier, l’intention était claire. Quelqu’un cherchait à effacer toutes les traces qui pourraient le mener à la vérité.

Il se rendit sur place immédiatement. La boutique, située dans une rue animée de Paris, était maintenant encerclée par des badauds curieux. Duvalier fendit la foule et entra, son regard acéré balayant les lieux. Derrière le comptoir où le marchand avait été trouvé, une étagère brisée montrait des signes de sabotage évident.

Il s’accroupit près du cadavre, ses bottes touchant à peine le sol jonché de débris. Le marchand, un homme d’une cinquantaine d’années, avait encore les yeux ouverts, figés dans une expression de surprise et de peur. Duvalier nota une éraflure suspecte sur son cou, trop nette pour être causée par l’accident supposé.

Il détourna brièvement le regard, un frisson involontaire parcourant son échine. Ce n’était pas la première scène macabre qu’il voyait, mais chaque mort injuste laissait une empreinte. Réprimant cette faiblesse passagère, il murmura, presque pour lui-même : « Tuez-le rapidement, mais faites en sorte que cela ressemble à un accident. »

Il fouilla les lieux avec soin, ordonnant à ses hommes de tenir les curieux à distance. Derrière une armoire, il découvrit un carnet, protégé par une simple couverture en cuir usé. Les pages étaient couvertes de notes sur des transactions, mais une écriture différente occupait les dernières pages : des noms, des dates, des lieux. Ses yeux s’arrêtèrent sur un détail en particulier : le nom de Laval, suivi de celui de Villeroi.

Duvalier serra le carnet dans sa main. Cela confirmait ses soupçons. Ce marchand, tout insignifiant qu’il semblait, faisait partie du réseau d’informations. Mais pourquoi avait-il conservé des preuves aussi compromettantes ? Était-ce un acte de négligence, ou avait-il eu l’intention de se protéger en cas d’ennuis ?

De retour à son bureau, le commissaire passa des heures à examiner chaque détail de ce carnet. La nuit tombait quand il s’enfonça dans son fauteuil, les yeux fatigués mais l’esprit toujours en alerte. Cette affaire devenait de plus en plus périlleuse. Et il savait que ce n’était qu’un début.

Alors qu’il quittait son poste tard dans la soirée, décidant de rentrer chez lui pour quelques heures de sommeil, il sentit une présence inhabituelle dans l’air. Les ruelles de Paris étaient sombres et presque désertes, et pourtant, une ombre semblait le suivre.

Il accéléra le pas, sa canne d’apparat toujours dans sa main. Les bruits derrière lui se firent plus insistants. Il tourna brusquement dans une ruelle étroite, s’arrêtant net pour faire face à ses poursuivants. L’obscurité l’enveloppait, mais il pouvait distinguer deux silhouettes. L’une d’elle tenait une lame scintillant faiblement sous la lumière d’un réverbère éloigné.

« Vous auriez dû rester dans vos dossiers, monsieur le Commissaire », lâcha une voix rauque, empreinte d’une menace glaciale.

Duvalier ne répondit pas. Il dégaina la lame dissimulée dans sa canne, adoptant une posture défensive.

L’attaque fut rapide et brutale. Le premier homme tenta de le frapper, mais Duvalier esquiva avec une agilité surprenante pour un homme de son âge. La lame de sa canne fendit l’air et trouva un bras, faisant hurler l’assaillant.

Le second assaillant hésita une fraction de seconde, mais cette hésitation permit à Duvalier de contre-attaquer. Avec un coup précis, il désarma l’homme, qui recula en titubant.

Cependant, avant qu’il ne puisse interroger l’un d’eux, des bruits de pas précipités résonnèrent dans la ruelle. Les deux silhouettes profitèrent de l’occasion pour prendre la fuite, disparaissant dans l’obscurité. Dans leur précipitation, l’un d’eux laissa tomber une petite médaille gravée d’un symbole : une rose noire enflammée.

Essoufflé mais indemne, Duvalier resta immobile quelques instants, reprenant son souffle. Il savait désormais deux choses avec certitude : il n’était plus simplement un enquêteur, mais une cible. Et ceux qui tiraient les ficelles de ces événements étaient prêts à aller jusqu’au bout pour le faire taire.

Il ramassa son tricorne qui était tombé dans l’échauffourée. Alors qu’il le remettait en place, son esprit s’arrêta brièvement sur une pensée : l’échec n’était pas une option. Cette affaire, plus complexe et mortelle qu’il ne l’avait d’abord envisagé, venait de devenir personnelle.