Chapitre 3 — Rencontre avec Jules
Camille Laurent
Le lendemain matin, Camille avançait d’un pas vif dans les rues pavées du Marais, son trench beige flottant légèrement sous l’effet d’une brise fraîche. Le ciel, chargé de nuages bas et lourds, étouffait la lumière du jour, créant une atmosphère oppressante. Pourtant, son esprit était en effervescence. Le journal de Julie et le médaillon, soigneusement enveloppés dans son sac, pesaient contre sa hanche, une présence tangible et presque troublante. Les rêves persistants de la nuit précédente, mêlés à l’image de cette photographie ancienne, la hantaient encore. Elle espérait que Jules pourrait l’aider à y voir plus clair.
Devant un café discret niché à l’ombre d’un passage couvert, elle ralentit et prit une inspiration profonde. Les plantes en pots bordant la terrasse dégoulinaient encore de gouttes de pluie, et à travers la baie vitrée, elle aperçut Jules déjà installé. Il était assis à une table près de la fenêtre, penché sur un carnet, une tasse de café fumante à portée de main. Camille hésita brièvement, observant l’attitude décontractée de l’homme, son allure un peu bohème avec sa chemise bleu clair légèrement froissée et ses manches retroussées. Il semblait concentré, mais il releva bientôt la tête et, en la voyant, lui adressa un sourire chaleureux avant de se lever pour tirer une chaise.
— Camille, toujours ponctuelle. J’aime ça, lança-t-il avec un éclat moqueur dans les yeux.
Elle esquissa un sourire, plus par politesse que par véritable amusement, et s’assit. Jules portait à son poignet un vieux bracelet en cuir, usé par le temps, et ses gestes dégageaient une aisance naturelle.
— Désolée pour le message de dernière minute, dit-elle en sortant le journal et le médaillon de son sac. Mais je crois que ce que j’ai trouvé pourrait vraiment vous intéresser.
Il haussa un sourcil, intrigué, et se pencha en avant. Camille disposa les deux objets sur la table, prenant soin de les poser avec précaution. Jules examina d’abord le journal, ses doigts effleurant la couverture de cuir usé avec une délicatesse presque révérencieuse.
— Un journal du XIXe siècle, murmura-t-il. Et celui-ci aurait appartenu à… ?
— Une certaine Julie Lambert, répondit Camille en croisant les bras. Je l’ai trouvé hier aux puces de Saint-Ouen, avec ce médaillon.
Elle lui tendit le médaillon brisé. Jules le prit avec précaution, le faisant tourner sous la lumière tamisée du café. Ses yeux marron s’étrécirent alors qu'il scrutait les gravures complexes. Il fronça légèrement les sourcils en découvrant les motifs stylisés évoquant la Tour Eiffel, ainsi que le symbole géométrique central, indéchiffrable.
— On dirait presque une clé, ou un mécanisme… dit-il finalement. Cet objet est fascinant. Les gravures sont ésotériques, presque cryptiques. Et le journal… vous l’avez lu ?
— Une partie, répondit Camille en hochant la tête. Il y a des passages troublants. Julie y parle de soirées mondaines, mais aussi de son père, un riche industriel. Elle insinue qu’il était impliqué dans des affaires… douteuses, peut-être liées à la construction de la Tour Eiffel.
Jules hocha pensivement la tête, feuilletant le journal avec précaution. Il s’arrêta sur une page et lut quelques lignes en silence. À plusieurs reprises, un léger sourire intrigué passa sur ses lèvres.
— Vous savez, la Tour Eiffel a toujours été entourée de rumeurs de scandales, dit-il en levant les yeux. Il y a eu des querelles financières, des accusations de corruption… Mais Julie ne précise rien de concret ?
Camille soupira légèrement, frustrée.
— Pas encore. J’ai l’impression qu’elle tourne autour du pot, qu’elle essaie de laisser des pistes sans tout révéler. Mais ce n’est pas tout. Hier soir, pendant mes recherches, j’ai trouvé une photographie ancienne. L’une des femmes sur cette photo me ressemble de façon troublante.
Jules releva brusquement la tête, son expression oscillant entre scepticisme et curiosité.
— Vous êtes sérieuse ?
— Très. Voilà pourquoi je vous ai contacté. Je commence à croire que ce journal, ce médaillon, et même mes rêves récurrents… tout ça est connecté. Mais je n’ai aucune idée de comment.
Jules resta silencieux un moment, jouant distraitement avec la poignée de sa tasse. Puis il redressa les épaules.
— Bien. Voici ce que je propose. Je vais examiner ce journal en détail, voir si je peux trouver des références historiques ou des indices. Quant au médaillon… je connais un expert en antiquités qui pourrait nous éclairer sur sa provenance. Mais je dois être honnête avec vous, Camille.
Elle haussa un sourcil, sentant une pointe de solennité dans son ton.
— Si vous espérez des réponses claires et nettes, vous risquez d’être déçue. Parfois, les mystères du passé ne se dévoilent jamais complètement.
— Et si je ne veux pas abandonner ? rétorqua-t-elle, un soupçon de défi dans la voix.
Un sourire amusé éclaira le visage de Jules.
— Alors nous tirerons sur tous les fils jusqu’à ce que l’histoire accepte de nous parler.
Camille sentit une chaleur inhabituelle dans sa poitrine à cette réponse. Il avait une manière de rendre sa quête moins isolante, presque collaborative.
— Vous avez mentionné que Julie soupçonnait son père, reprit Jules. Est-ce qu’elle donne des détails sur ses activités ?
— Pas vraiment. Elle le décrit comme un homme obsédé par son travail, froid et distant. Mais elle mentionne un bureau dans leur maison, un endroit où il recevait des invités tard le soir. Elle semble croire que quelque chose de louche s’y passait.
Jules tapota son stylo contre la table, pensif.
— Si nous pouvions localiser cette maison, peut-être pourrions-nous retrouver des traces ou des archives liées à ses affaires. Vous voyez, les journaux personnels de cette époque peuvent sembler introspectifs, mais ils contiennent parfois des indices précieux. Julie a peut-être laissé des détails qui nous permettront de suivre sa piste.
Le serveur arriva pour débarrasser leurs tasses vides, interrompant brièvement leur échange. Camille baissa les yeux vers le médaillon, toujours posé sur la table. Il semblait capter la lumière d’une manière étrange, presque surnaturelle, comme s’il pulsait doucement sous leurs regards.
— Vous croyez au destin, Jules ? demanda-t-elle soudain.
Il haussa les épaules, son sourire en coin réapparaissant.
— Je crois en l’histoire. Et parfois, elle a une manière bien à elle de revenir nous hanter.
Leurs regards se croisèrent, une compréhension implicite naissant entre eux. Camille ressentit un mélange de gratitude et de certitude. Elle n’était plus seule dans cette quête.
— Alors, par où commençons-nous ? demanda-t-elle finalement.
Jules se leva, empochant son carnet.
— Par le Jardin des Tuileries. Si Julie y a mentionné une rencontre importante, il y a peut-être quelque chose que nous pourrons trouver. Vous êtes prête ?
Camille hocha la tête, son regard glissant une fois de plus sur le médaillon et le journal. Ces objets semblaient presque murmurer, gardant leurs secrets tout en incitant à les découvrir.
— Plus que jamais.
Ensemble, ils quittèrent le café, laissant derrière eux l’odeur du café fraîchement moulu et le bruit léger de la pluie sur les pavés. Une nouvelle étape de leur enquête s’ouvrait devant eux, et Camille savait qu’elle ne pourrait plus reculer.