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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 1Deuil et décret royal


Aliénor de Villebois

Le soleil déclinait au-dessus des collines verdoyantes entourant le Château de Villebois, projetant des ombres longues et mélancoliques sur les murs de pierre grise. Aliénor se tenait près de la fenêtre de la grande salle, ses doigts explorant machinalement les broderies florales de sa robe. Les motifs délicats semblaient presque réels, rappelant les jardins du château autrefois en fleurs, désormais envahis par des mauvaises herbes. Depuis la mort de son père, tout ce qui vivait ici semblait s’être figé dans une mélancolie silencieuse.

Elle tourna son regard bleu clair vers les flammes dansantes de l’âtre, leur chaleur un piètre remède contre le froid qui l’habitait. "Un seigneur doit être fort, Aliénor", lui avait dit son père, en la tenant par les épaules dans cette même salle. "Même si le monde entier cherche à vous briser." Ces mots résonnaient encore en elle, comme gravés dans la pierre du château. Elle serra légèrement les dents. Mais comment être forte dans un monde où l’on vous enferme dans des chaînes invisibles ? Elle n’était pas un seigneur, pas un homme.

Un bruit léger derrière elle la tira de ses pensées. C’était Isabelle, sa fidèle dame de compagnie, portant un plateau où reposaient une coupe de vin et une assiette de fruits. "Mon amie, vous n’avez presque rien mangé depuis ce matin. Vous devez reprendre des forces," dit-elle doucement, son regard inquiet se posant sur Aliénor.

Aliénor offrit un maigre sourire avant de prendre la coupe, mais ses mains restèrent immobiles. "Merci, Isabelle," murmura-t-elle. Elle savait que son amie voulait alléger son fardeau, mais le silence de la pièce pesait bien plus que la faim.

Isabelle hésita un instant, puis ajouta à voix basse : "Les serviteurs disent que le messager royal arrivera avant la tombée de la nuit."

Aliénor posa la coupe, ses doigts tremblant légèrement. Une lettre du roi. Rarement portait-elle de bonnes nouvelles. "Sais-tu ce qu’il apporte ?" demanda-t-elle enfin, sa voix calme, mais tendue comme un fil prêt à se rompre.

"Je l’ignore. Mais… les rumeurs parlent d’une décision concernant votre avenir, ma Dame," répondit Isabelle, baissant les yeux, ses mains jouant nerveusement avec le bord de son tablier.

Aliénor ferma les yeux un instant, cherchant à maîtriser le tumulte en elle. Puis elle se redressa, laissant ses cheveux dorés onduler sur ses épaules. "Mon avenir ? Mon avenir appartient à ce domaine, à ce peuple. Je suis Villebois, Isabelle. Le sang de mon père coule dans mes veines. Personne ne décidera de mon avenir sans mon consentement."

Isabelle ne répondit pas, mais son regard parlait pour elle. Aliénor était forte, cet éclat dans ses yeux le prouvait. Mais dans ce monde, même la plus grande des volontés pouvait être brisée par le poids des attentes sociales.

Plus tard, alors que le ciel s’assombrissait, un roulement sourd de sabots résonna dans la cour. Debout à une fenêtre surplombant l’entrée, Aliénor observa l’arrivée du messager. Il descendit de son cheval, vêtu d’une livrée royale impeccable, son port rigide et son visage austère accentuant l’appréhension qui montait en elle.

Dans la salle d’audience, elle se tenait droite, son visage impassible. À ses côtés, Maître Geoffroy, son conseiller, affichait une expression renfrognée. Depuis la mort de son père, il avait pris en charge la gestion des affaires du domaine, mais son pragmatisme souvent glacial irritait Aliénor.

"Rappelez-vous, ma Dame," murmura-t-il alors que les pas du messager approchaient, "de ne jamais contrarier les désirs du roi."

Aliénor tourna un regard glacé vers lui. "Et si ces désirs vont à l’encontre de l’honneur de ma famille ? Dois-je me soumettre sans question ?"

Geoffroy ouvrit la bouche pour répondre, mais la porte s’ouvrit avant qu’il ne puisse le faire. Le messager entra, raide et solennel, avec un rouleau scellé portant le symbole royal. D’un geste précis, il le tendit à Aliénor avec une révérence exagérée.

Elle prit le parchemin, ses mains légèrement tremblantes, et brisa le sceau. Les mots s’inscrivirent dans son esprit avec une froideur implacable : par décret royal, elle était sommée d’épouser le Comte Renaud de Montfort.

Le silence qui suivit fut assourdissant. Elle releva lentement les yeux vers le messager, son visage maîtrisé, bien que chaque muscle de son corps criait sa révolte. "Transmettez mes remerciements au roi pour cet… honneur," dit-elle d’une voix froide et distante.

Le messager inclina la tête et quitta la pièce sans un mot. Dès que la porte se referma, Aliénor serra convulsivement le parchemin entre ses mains. "Renaud de Montfort," murmura-t-elle, la gorge nouée.

"Un choix judicieux," intervint Geoffroy, brisant le silence avec une froideur calculée. "Le comte est puissant et respecté. Cette union assurerait la sécurité de votre domaine."

Aliénor pivota vers lui, ses yeux étincelant de colère contenue. "Et ma liberté ?"

"Votre liberté, ma Dame, n’a que peu de poids face aux besoins du royaume," répondit-il, inébranlable.

Elle sentit le sol se dérober sous elle. Renaud de Montfort. Même son nom portait une ombre. Elle connaissait sa réputation — un homme cruel et impitoyable, plus intéressé par le contrôle que par le partage. S’unir à lui serait une condamnation.

"Je ne l’épouserai pas," déclara-t-elle, sa voix tremblante mais résolue.

Geoffroy soupira profondément. "Ma Dame, il ne s’agit pas de ce que vous voulez. Il s’agit de ce qui doit être fait."

Aliénor tourna les talons et quitta la salle, ignorant les appels de son conseiller. Dans le couloir, elle croisa Isabelle, qui l’attendait, son visage marqué d’une inquiétude sincère.

"Aliénor ? Que dit le messager ?" demanda Isabelle, presque en chuchotant.

"Le roi a scellé mon sort," répondit-elle, sa voix à peine un souffle. "Mais je refuse de courber l’échine."

Isabelle posa une main tremblante sur son bras. "Que comptez-vous faire ?"

Aliénor fixa un tableau représentant son père, noble et fier dans toute sa gloire passée. "Tout ce que je peux. Je trouverai un moyen de briser ces chaînes. Je suis une Villebois, Isabelle. Et je ne laisserai pas Renaud de Montfort ou quiconque dicter ma vie."

Cette nuit-là, alors que tout le château était plongé dans l’obscurité, Aliénor restait éveillée, assise près de sa fenêtre. Dans sa main, elle tenait un médaillon, dernier souvenir de son père. Elle le serra contre son cœur, cherchant dans cet objet une force qui semblait lui échapper.

Les étoiles scintillaient au loin, indifférentes à ses luttes, mais leur éclat semblait murmurer une promesse : un jour, elle briserait ses chaînes. Le vent s’engouffra dans la pièce, caressant son visage avec une douceur presque réconfortante. Elle ferma les yeux.

Dans ce monde cruel et injuste, elle ne plierait pas. Elle lutterait.

Et le feu dans l’âtre continuait de danser, projetant des ombres de défi sur les murs du château.