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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Un protecteur inattendu


Thierry d’Harcourt

Le matin était glacé lorsque Thierry d’Harcourt atteignit les portes du Château de Villebois, sa monture soufflant des volutes de vapeur dans l’air froid. Les premières lueurs de l’aube éclairaient les hauts murs de pierre grise, les rendant encore plus imposants dans leur austérité. Thierry tira sur les rênes, faisant halte devant les gardes.

"Je suis messager et protecteur sous ordre du roi," déclara-t-il d’une voix grave, tendant un parchemin scellé portant l’emblème royal.

Les gardes s’échangèrent un regard avant d’ouvrir les lourdes portes, leurs visages marqués de respect mêlé à une pointe de méfiance. Thierry incita son cheval à avancer, ses yeux gris acier scrutant les environs avec attention. Le château, bien qu’imposant, portait les marques de l’abandon. Les jardins, autrefois soigneusement entretenus, n’étaient plus que des ombres de leur gloire passée ; des vignes folles et des herbes folles envahissaient les allées. L’atmosphère semblait lourde, comme si les pierres elles-mêmes portaient le poids des secrets qu’elles abritaient.

Un jeune garçon, à peine sorti de l’enfance, accourut pour prendre les rênes de son cheval. Thierry descendit avec souplesse, ajusta son épée d’un geste machinal et pénétra dans le hall principal, où l’attendait un homme au visage sévère et à la posture rigide.

"Maître Geoffroy, je présume ?" demanda Thierry sans introduction.

"Chevalier d’Harcourt," répondit Geoffroy d’un ton neutre, ses traits marqués par une froideur calculée. "Votre arrivée était attendue. Suivez-moi, je vais vous conduire à Dame Aliénor."

Thierry hocha la tête, le visage impassible, et suivit le conseiller à travers des couloirs sombres et silencieux. L’intérieur du château semblait aussi figé que son extérieur. Les tapisseries fanées qui ornaient les murs portaient des motifs d’une époque révolue, les éclats d’un passé glorieux étouffés par une mélancolie pesante. Chaque pas de Thierry résonnait sur les dalles de pierre, un rappel de sa présence comme un étranger dans ces murs austères.

Ils arrivèrent bientôt dans une grande salle éclairée par la lumière tamisée des chandeliers et le faible éclat d’un feu vacillant dans l’âtre. Aliénor de Villebois se tenait là, droite comme un roseau, son regard bleu clair fixé sur Thierry dès qu’il entra. Elle portait une robe élégante mais modeste, brodée de motifs floraux, et ses longs cheveux dorés tombaient en vagues soignées sur ses épaules.

"Chevalier d’Harcourt," dit-elle d’une voix ferme, bien qu’un soupçon de méfiance transparaissait dans son ton. "Je suppose que vous êtes ici pour exécuter les ordres royaux."

"En effet, ma Dame," répondit-il avec une inclinaison respectueuse de la tête. "Le roi m’a confié la mission de veiller à votre sécurité jusqu’au jour de votre union avec le Comte de Montfort."

À ces mots, une ombre passa sur le visage d’Aliénor, mais elle dissimula son trouble avec une maîtrise impressionnante. Ses doigts serrèrent brièvement le tissu de sa robe avant qu’elle ne croise les mains devant elle, son expression redevenant neutre.

"Je vois," dit-elle simplement, son ton laissant deviner un mélange de défi et de résignation. "Et si cette sécurité devait entrer en conflit avec les ordres du roi ? Quel est votre véritable devoir, chevalier ?"

Thierry resta silencieux un instant, pesant soigneusement ses mots. "Je suis un chevalier, ma Dame. Mon devoir est de servir le roi et de protéger ceux qu’il me confie."

Aliénor le fixa, cherchant à percer le masque stoïque qu’il portait. Thierry, bien qu’entraîné à la discipline, sentit une légère tension dans son esprit. Le regard d’Aliénor n’était pas celui d’une noble ordinaire. Il y avait une flamme dedans, une détermination qui semblait à la fois admirable et potentiellement dangereuse.

Geoffroy rompit l’échange en toussotant légèrement, son regard passant de l’un à l’autre avec une froide indifférence. "Chevalier, je vous recommande de prendre vos quartiers et de vous familiariser avec le château. Je suis certain que vous trouverez nos installations… adéquates."

"Merci," répondit Thierry avec un bref signe de la tête.

L’échange terminé, Aliénor tourna les talons, ses pas s’éloignant d’un rythme mesuré. Thierry l’observa partir, remarquant la tension dans ses épaules, avant de suivre Geoffroy hors de la salle.

Dans les heures qui suivirent, Thierry explora méthodiquement le château et ses environs. Il parla brièvement aux gardes, évaluant leur compétence, et inspecta les points d’entrée et de sortie. La sécurité du domaine laissait à désirer, un constat qu’il consigna mentalement comme une faiblesse à corriger.

Cependant, ce qui occupait principalement son esprit, c’était Aliénor elle-même. Sa présence imposante et sa détermination étaient évidentes, mais il sentait aussi une fragilité sous-jacente, comme une corde tendue prête à se rompre. Sa question sur les ordres royaux résonnait encore dans son esprit, un défi subtil qu’il n’avait pas prévu de la part d’une noble femme.

Alors qu’il réfléchissait, un murmure parmi les serviteurs attira son attention. Il s’arrêta près d’une porte entrouverte, écoutant discrètement.

"… Je dis qu’il est dangereux."

"Peut-être, mais il est aussi courageux. Tout le monde sait qu’il a sauvé une vingtaine d’hommes à la bataille de Saint-Royan."

"Et alors ? Les chevaliers comme lui ne se soucient pas des gens comme nous. Il est ici pour le roi, pas pour notre Dame."

Thierry entra brusquement, et les deux domestiques sursautèrent, rougissant violemment sous son regard perçant.

"Je ne suis pas ici pour écouter des rumeurs," dit-il d’un ton sec. "Retournez à votre travail."

Ils s’inclinèrent précipitamment et disparurent dans le couloir. Thierry se pinça l’arête du nez, agacé par leur bavardage mais conscient que leur perception reflétait celle du château dans son ensemble.

La journée se termina dans une relative tranquillité, mais Thierry ne se sentait pas plus proche de comprendre la situation qu’il venait d’intégrer. Alors qu’il se préparait à rejoindre ses quartiers pour la nuit, il croisa Isabelle, la dame de compagnie d’Aliénor.

"Chevalier d’Harcourt," dit-elle avec un sourire nerveux, une hésitation visible dans ses gestes. "Dame Aliénor vous invite à la rencontrer demain matin pour discuter… de vos responsabilités."

Thierry resta un instant silencieux, scrutant le visage d’Isabelle. Ses yeux semblaient trahir une nervosité qu’elle tentait de masquer, comme si elle-même portait le poids d’un secret.

"Je serai présent," répondit-il enfin, simplement.

Alors qu’Isabelle s’éloignait, Thierry sentit une tension familière monter en lui. Il avait affronté bien des ennemis dans sa carrière, mais l’intuition lui disait que ce poste de protecteur allait exiger plus que sa maîtrise de l’épée.

Loin des champs de bataille, la guerre qu’il pressentait ici relevait d’un autre genre, plus subtil mais tout aussi périlleux.

Et dans cette lutte silencieuse, Aliénor de Villebois n’était pas une dame ordinaire à protéger. Non, elle était un champ de forces contradictoires, une incarnation des dilemmes auxquels il ne pouvait pas encore donner de réponse. La nuit avançait, mais Thierry ne trouva pas le sommeil.