Télécharger l'application

Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Retrouvailles et Ombres


Julie Laval

Julie franchit les portes imposantes du hall principal, un frisson glissant le long de sa colonne vertébrale. L’air était saturé d’une humidité stagnante, mêlant l’odeur familière de bois ciré et de pierre froide. Les lustres suspendus au plafond diffusaient une lumière terne, projetant des ombres mouvantes sur les murs ornés de portraits austères. Ces visages figés la scrutaient, témoins silencieux des époques passées, de générations d’élèves qui, comme elle, avaient arpenté ces couloirs avec des espoirs, des secrets, et des drames.

Le hall était faiblement animé par une poignée d’anciens élèves dispersés en petits groupes. Julie reconnut quelques visages, mais aucun ne lui inspira un sentiment de réconfort. À mesure qu’elle avançait, ses pas résonnant sur le sol de marbre, l’étoile à huit branches gravée discrètement dans certaines colonnes attirait son regard. Ce symbole, autrefois anodin, semblait maintenant chargé de sens, une clé insaisissable vers une vérité qu’elle peinait encore à saisir.

« Julie ! »

La voix chaleureuse et familière de Camille Verney la fit se retourner. Camille approchait, serrant contre elle un foulard qui glissait de ses épaules, sa silhouette fine et nerveuse trahissant une anxiété qu’elle tentait de dissimuler. Son sourire était fragile, une tentative maladroite de combler l’espace des années écoulées.

« Camille, » répondit Julie, d’un ton neutre mais poli.

Elles s’étreignirent brièvement, un contact rigide et dépourvu de l’affection que Camille semblait vouloir évoquer. Julie observa son ancienne amie plus attentivement : son visage avait gagné en maturité, mais ses yeux, toujours aussi sombres et expressifs, étaient cernés, marqués par un éclat inquiet.

« Ça fait une éternité, n’est-ce pas ? » dit Camille en reprenant une posture hésitante.

Julie hocha la tête. « Oui. Et pourtant, certaines choses n’ont pas changé. »

Son regard erra sur les ornements vieillissants du hall, puis s’arrêta sur une gravure au mur représentant une étoile à huit branches. Ce détail, à peine visible pour un observateur distrait, semblait l’appeler, une présence insidieuse hantant chaque recoin du pensionnat.

« Qu’est-ce que tu fais là, Julie ? » demanda Camille, un mélange de curiosité et de doute dans sa voix.

Julie haussa les épaules. « La même chose que tout le monde, je suppose : essayer de comprendre pourquoi on nous a tous rappelés. »

Camille esquissa un sourire crispé, et ses doigts s’agitaient nerveusement sur le bord de son foulard. Avant qu’elle ne puisse répondre, une voix grave et familière interrompit leur échange.

« Julie Laval. Toujours aussi directe, à ce que je vois. »

Laurent Besson descendait lentement les marches du grand escalier central. Vêtu d’un costume impeccable, il avait l’assurance d’un homme habitué à contrôler chaque situation. Son sourire était aussi poli que calculé, mais ses yeux trahissaient une curiosité froide, un intérêt qui semblait dépasser les simples retrouvailles.

Julie sentit ses muscles se contracter instinctivement. Laurent représentait tout ce qu’elle détestait du pensionnat : l’arrogance, l’ambition démesurée, et cette capacité à manipuler les autres sans remords.

« Laurent, » dit-elle en inclinant légèrement la tête, son ton tranchant comme une lame.

Il s’approcha, ignorant Camille qui sembla s’effacer en silence. « Alors, qu’est-ce que ça fait d’être de retour ici ? » demanda-t-il, son sourire s’élargissant comme celui d’un prédateur.

Julie croisa les bras, son regard planté dans le sien. « Je me demande encore pourquoi j’ai accepté cette invitation. Mais peut-être que tu as une idée. »

Laurent éclata d’un rire bref, presque amusé. « Toujours aussi méfiante. Tu n’as pas changé. »

« Et toi, toujours aussi insupportable, » répliqua-t-elle sèchement.

Il laissa passer un silence, puis changea de ton, devenant presque conciliant. « Écoute, Julie. Je sais que ce lieu… réveille des souvenirs. Mais peut-être que cette réunion est une opportunité. Une chance de tourner la page, de se libérer de tout ça. »

Sa voix avait une douceur étrange, mais Julie n’y croyait pas une seconde. Elle savait que Laurent mesurait chaque mot, qu’il jouait avec elle comme il l’avait toujours fait, cherchant à la déstabiliser.

« Se libérer ? » répéta-t-elle avec un rire cynique. « Ce lieu est une prison, Laurent. Et tu sais autant que moi qu’on ne quitte pas une prison en prétendant qu’elle n’a jamais existé. »

Le sourire de Laurent vacilla légèrement, mais avant qu’il ne puisse répondre, une sonnerie retentit à travers le hall principal, signalant l’ouverture officielle de la réunion.

« Nous reparlerons de tout ça, » dit-il en s’éloignant, laissant Julie seule avec Camille, qui n’avait pas dit un mot pendant l’échange.

« Tu devrais faire attention, Julie, » murmura finalement Camille.

Julie se tourna vers elle, intriguée par la note de peur dans sa voix. « Pourquoi ? »

Camille détourna le regard, ses mains tremblant légèrement. « Juste… reste sur tes gardes. Certaines personnes ici… ne sont pas ce qu’elles prétendent être. »

Julie allait insister, mais Camille s’éloigna rapidement, laissant sa mise en garde suspendue dans l’air.

Un peu plus tard, Julie errait dans les couloirs, incapable de contenir sa curiosité. Les lieux lui semblaient à la fois familiers et étrangers, comme une vieille photo dont les couleurs se seraient estompées. Chaque porte, chaque couloir portait les traces d’un passé qu’elle avait tenté d’enterrer.

Elle s’arrêta devant une salle de classe. À travers la vitre poussiéreuse, elle aperçut des bureaux en bois usés, alignés avec une précision militaire. Une vague de souvenirs flous l’envahit : des rires étouffés, des murmures nerveux, et cette tension sourde qui planait toujours au-dessus de leurs têtes. Sur le tableau noir, une inscription effacée lui sembla familière, bien qu’elle n’arrive pas à la déchiffrer entièrement.

« Nostalgique ? »

Julie sursauta légèrement. Laurent se tenait derrière elle, son expression indéchiffrable.

Elle haussa les épaules. « Pas vraiment. »

Il observa la salle à son tour, un sourire mystérieux flottant sur ses lèvres. « Tu sais, c’est étrange de revenir ici après tout ce temps. Comme si ces murs avaient tout vu, tout retenu. »

Julie sentit une froideur dans ses paroles, une allusion voilée qu’elle n’arrivait pas à cerner.

« Tout vu, mais pas tout dit, » murmura-t-elle.

Laurent la fixa, son sourire disparaissant lentement. « Julie, parfois, les secrets doivent rester enterrés. »

Elle soutint son regard sans ciller. « Et si je ne suis pas d’accord ? »

Il ne répondit pas, mais son silence en disait long.

Julie se détourna, décidée à ne pas lui accorder davantage de terrain. Alors qu’elle reprenait son exploration, elle entendit des voix basses provenant d’un couloir adjacent. En s’approchant silencieusement, elle distingua deux anciens élèves – des visages connus mais dont elle peinait à se souvenir des noms – chuchotant avec une urgence palpable. Leurs mots flottaient dans l’air, incomplets, mais un fragment retint son attention : « …si quelqu’un découvre pour l’étoile… »

Le hall principal était maintenant plus animé, les autres anciens élèves engagés dans des conversations banales, mais Julie savait que tout cela n’était qu’une façade. Sous les sourires polis et les plaisanteries, une tension invisible liait chacun d’eux, les ramenant inexorablement à ce passé qu’ils prétendaient vouloir célébrer.

Elle croisa Camille à nouveau, qui semblait sur le point de parler, mais avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, une voix s’éleva depuis l’estrade improvisée au bout du hall.

« Mesdames et messieurs, chers anciens élèves, bienvenue au Pensionnat Saint-Ange. »

Un homme qu’elle ne reconnaissait pas, vraisemblablement l’organisateur de l’événement, prenait la parole. Mais Julie n’écoutait déjà plus. Son regard était attiré par une silhouette dans la foule.

Quelqu’un la fixait.

Un frisson glacé lui parcourut l’échine.

Elle plissa les yeux, cherchant à identifier cette présence. La tête inclinée de l’individu capta brièvement la lumière, révélant une cicatrice fine qui barrait sa joue. Julie sentit son cœur se serrer.

Ce visage, elle le connaissait.

Et il appartenait à un fantôme du passé.