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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Le fil ténu


Alternance entre Lilian et Roman

Lilian sirotait son troisième café en moins d’une heure, ses doigts serrant la tasse comme si elle s’y agrippait pour ne pas sombrer. Le vent agitait les branches nues de l’arbre visible depuis la fenêtre de son bureau, dessinant des arabesques sur la vitre embuée. La fatigue lui pesait lourdement, mais ce n’était pas le manque de sommeil qui l’épuisait. C’était cette tension insidieuse, cet écho du message anonyme qui semblait s’être infiltré jusque dans ses veines. Bien qu’elle ait effacé le message, les mots résonnaient encore : « Vous fouillez où vous ne devriez pas. »

Hélène Moreau, assise en face d’elle, l’observait attentivement, ses lunettes rondes reflétant la lumière tamisée. Ses mains reposaient calmement sur une pile de dossiers, mais la ligne ferme de sa bouche trahissait une inquiétude contenue. Elle rompit finalement le silence.

« Lilian, qu’est-ce qui se passe ? » Sa voix douce portait une autorité subtile mais bienveillante.

Lilian se força à sourire, un sourire qui vacilla aussitôt. « Rien d’inhabituel. La routine, une semaine chargée. »

Hélène fronça légèrement les sourcils, ses yeux perçants balayant le visage de Lilian. « Je te connais depuis assez longtemps pour savoir que tu ne me dis pas tout. Tu sembles tendue… comme si quelque chose te dépassait. »

Lilian détourna le regard, ses doigts crispés autour de la tasse brûlante. Elle aurait voulu tout raconter à Hélène – le message, les fragments de souvenirs, Roman – mais elle n’en était pas encore capable. « Ce sont des souvenirs… des vieux souvenirs qui remontent. Ça arrive parfois. »

Hélène hocha la tête, mais ne sembla pas totalement convaincue. « Bien. Mais prends garde, Lilian. Si tu tires trop sur la corde… »

« Elle finit par céder, » termina Lilian, esquissant un sourire que seule la politesse soutenait.

Hélène hésita, puis posa une main légère mais ferme sur le bureau. « Je suis là, si tu veux parler. Ne l’oublie pas. »

Lilian murmura un bref remerciement, mais elle sentait déjà son esprit s’éloigner. Elle le savait : Hélène avait raison. Elle tirait sur une corde prête à rompre. Mais reculer n’était plus une option.

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Roman se tenait dans une ruelle humide, adossé à un mur de briques altérées par le temps. Sa capuche dissimulait son visage, mais ses yeux restaient fixés sur l’autre côté de la rue. Là-bas, Lilian sortait d’un café adjacent au commissariat, une pile de dossiers sous le bras. Elle marchait vite, son front plissé d’une concentration intense.

Il la suivit des yeux, incapable de détacher son regard. Elle n’était plus une enfant, mais il retrouvait en elle des échos de la petite fille qu’il avait sauvée autrefois. Cette détermination dans son regard, cette force intérieure presque tangible... Rien n’avait changé.

Il n’aurait pas dû être là – il le savait. La suivre, même à distance, était une erreur. Mais il ne pouvait pas se résoudre à rester loin. La veille, un message de Luc avait fait irruption sur son téléphone : une menace explicite accompagnée d’une photo de Lilian, prise à travers sa fenêtre.

Sa main effleura machinalement le manche du couteau dissimulé dans sa poche. Une arme qu’il ne voulait pas utiliser, mais qui représentait une nécessité constante dans son existence. La violence était un spectre qu’il redoutait mais qu’il connaissait trop bien.

Un grattement derrière lui interrompit ses pensées. Son corps réagit avant son esprit : il se tourna d’un geste vif, prêt à frapper. Mais ce n’était qu’un chat errant, fouillant dans une poubelle renversée. Roman soupira, relâchant la tension de ses épaules. Si Luc savait où trouver Lilian, il savait forcément où lui-même se cachait. Et l’étau se resserrait.

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Lilian reçut un appel peu après sa conversation avec Hélène. Le numéro était inconnu, mais une impulsion inexplicable la poussa à répondre.

« Mademoiselle Duval, » dit une voix masculine, rauque et contrôlée, mais teintée d’une froide neutralité. « Vous devriez abandonner vos recherches. »

Son estomac se noua, mais elle garda sa voix calme. « Qui êtes-vous ? »

« Une voix de raison. Vous interpellez des forces qui vous dépassent. Croyez-moi, pour votre propre sécurité… arrêtez. »

Sa prise sur le téléphone se raffermit. « Ce sont des menaces ? »

Un silence calculé précéda la réponse. « Ce n’est pas une menace. Simplement un avertissement. Vous ne voulez pas savoir jusqu’où cela peut aller. »

L’appel se termina brusquement, laissant Lilian figée, la tonalité résonnant comme un glas dans son oreille. Ses doigts tremblaient légèrement lorsqu’elle posa lentement le téléphone sur son bureau. Ses pensées s’emballaient, et une question s’imposait : À qui pouvait-elle faire confiance ?

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Roman observait Lilian à distance, dissimulé dans l’ombre d’un porche. Il remarqua son pas rapide, sa posture tendue. Quelque chose n’allait pas, mais il ne savait pas encore quoi.

Soudain, une voiture noire attira son attention. Elle était garée trop longtemps au coin de la rue. Deux hommes étaient à l’intérieur, immobiles, le regard dirigé vers Lilian. L’un d’eux décrocha un téléphone, parla brièvement, puis raccrocha.

Un frisson parcourut Roman. Ces hommes n’étaient pas là par hasard. Il contourna rapidement le pâté de maisons pour se rapprocher, restant hors de leur champ de vision. Ses instincts lui hurlaient que le danger était imminent. Lilian était une cible, il n’en doutait plus.

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Lilian s’apprêtait à revenir vers le commissariat lorsqu’une main ferme mais non agressive se posa sur son bras. Elle se retourna vivement, les yeux écarquillés.

C’était Roman. Il se tenait là, le visage partiellement dissimulé par sa capuche, son regard vert perçant fixé sur elle.

« Qu’est-ce que vous faites là ? » demanda-t-elle, sur la défensive.

« Pas le temps pour ça, » murmura-t-il d’un ton chargé d’urgence. « Vous êtes suivie. Une voiture noire, au coin de la rue. Ils vous observent. Faites-moi confiance. »

Elle hésita, son regard oscillant entre Roman et la direction qu’il désignait. Une part d’elle voulait fuir, ne pas se laisser entraîner dans ce chaos. Mais une autre, plus intuitive, lui disait qu’il disait la vérité.

« D’accord, » finit-elle par murmurer, la voix basse mais ferme. « Qu’est-ce qu’on fait ? »

Son sourire, à peine perceptible, était dépourvu de joie. « On bouge. Maintenant. »

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Ils marchèrent rapidement, s’engouffrant dans des ruelles étroites et mal éclairées. Roman guidait leurs pas avec assurance, ses yeux scrutant chaque recoin. Lilian peinait à suivre son rythme, mais elle ne faiblit pas.

Au détour d’une ruelle, il s’arrêta soudain, balayant du regard les issues environnantes. « Écoutez-moi, » dit-il sans la regarder. « Vous avez deux options : soit vous laissez tomber cette histoire, soit vous continuez, mais dans ce cas, vous devrez accepter mon aide. Vous ne pouvez pas affronter ça seule. »

Elle le fixa, déconcertée par l’intensité de ses mots. « Pourquoi faites-vous ça ? »

Il la regarda enfin, et dans ses yeux, elle crut voir une douleur ancienne. « Parce que je vous dois au moins ça. »

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La pluie s’intensifiait, martelant les pavés autour d’eux. Le bruit couvrait presque le battement précipité du cœur de Lilian. Elle savait que le fil ténu qui la maintenait attachée à une vie normale était sur le point de se rompre. Et Roman, énigmatique et troublant, semblait désormais tissé dans ce chaos.