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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 4IV<br/><br/>LE REFUGE


Robert d’Ormoy, après le beau geste de destruction par quoi il pensait se relier à ses ancêtres constructeurs, quitta le château qui avait cessé de lui appartenir. Il traversa de nouveau les terres qu’il avait visitées le matin avec la fierté du propriétaire et qui n’étaient plus siennes. Elles lui parurent plus belles encore, plus grasses, plus plaisantes. Avait-il remarqué suffisamment ces vergers de cerisiers dont les fruits seraient mûrs dans quelques semaines ? Comme ces bois de châtaigniers avaient de profondeur ! Sous les voûtes de feuillages se donnaient des fêtes autrefois, où les seigneurs dansaient avec des villageoises en bonnet blanc. Il pouvait imaginer des scènes à la Watteau dans ces ombres bleutées qui se mêlaient au bout du coteau avec les eaux bleues du lac. Il se rappelait ses premiers perdreaux et ses premières cailles, son premier lièvre au fauve poil sanglant abattu, là, au pied de ce bel arbre. Chose curieuse ! il regrettait son domaine et n’en regrettait pas le prix.

Qu’allait-il devenir cependant ? À mesure qu’il marchait, son exaltation tombait et il mesurait l’abîme où il s’était précipité avec sa céramique. Le million qui lui devait permettre de continuer son existence désœuvrée n’avait eu qu’une éphémère durée. Jamais il ne chercherait une réconciliation avec l’odieuse créature qui venait de révéler sa bassesse, sa cupidité et son incompréhension. Non qu’il ne les eût déjà soupçonnées maintes fois au cours de sa liaison déjà longue, mais une circonstance suffit pour mettre en relief les vices ou les mérites comme un projecteur sort brutalement les objets ou les êtres de l’obscurité dont ils bénéficiaient. Au contraire, il était débarrassé d’elle. Si le million était au compte des pertes, cette rupture était au compte des profits, et les deux comptes se balançaient. Par quoi donc lui était-il attaché ? Pourquoi l’avait-il gardée ? Il dut s’avouer à lui-même cet unique lien de chair qui fait accepter peu à peu toutes les compromissions, toutes les lâchetés, toutes les turpitudes. Revenu de la guerre avec cette faiblesse si fréquente chez les anciens combattants fatigués d’avoir trop peiné dans la boue, le sang et l’ennui, il avait bien essayé de réagir, de retrouver et maintenir dans Paris ses relations de famille, de reprendre ses études interrompues en 1914, de revenir à ses goûts d’art et de politique qui l’attiraient à ses débuts dans la vie. Alice Gisors l’avait aidé à sombrer. Tandis qu’elle appartenait encore à une troupe de théâtre, il avait tenté de s’évader d’elle, de retrouver sa place dans le monde. Mais elle s’était aperçue de ces évasions et, soit qu’elle eût pour lui, sinon un sentiment, du moins une passion physique, soit qu’elle eût bientôt compris le parti qu’elle pouvait tirer de son pouvoir sur cet amant d’un beau nom et d’une apparence fortunée, elle quitta les planches pour se rapprocher de lui définitivement. Définitivement, pensait-elle, car elle ne manquait pas de lui rappeler le sacrifice qu’elle avait consenti par amour et les succès dramatiques abandonnés. Elle ne serait pas la première comédienne épousée par quelque seigneur. Elle ferait une jolie comtesse d’Ormoy. Et quel plaisir d’écraser avec ce nom connu et estimé des rivales plus heureuses à la scène et qui l’avaient accablée de leur supériorité avec des sourires aimables et des airs condescendants !

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