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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 33


Le lendemain, les services s’organisèrent. À cinq heures et demie une garde en blouse blanche ouvrit la porte à Gérard qui apportait des violettes de Parme artificielles dans un carton. Élisabeth fut séduite.

— Allez voir Paul, dit-elle sans malice. Moi, je surveille la piqûre de maman.

Paul, lavé, coiffé, avait presque bonne mine. Il demanda des nouvelles de Condorcet. Les nouvelles étaient renversantes.

Le matin, Dargelos avait été appelé chez le proviseur. Le proviseur voulut reprendre l’interrogatoire du censeur.

Dargelos, exaspéré, répondit quelque chose comme « Ça va, ça va ! » d’une façon si insolente que le proviseur, soulevé de son fauteuil, le menaça du poing par-dessus la table. Alors, Dargelos tira de sa veste un cornet de poivre et lui en jeta le contenu en pleine figure.

Le résultat fut si terrible, si prodigieusement immédiat, que Dargelos, épouvanté, grimpa debout sur une chaise par un réflexe de défense contre on ne sait quelle écluse qui s’ouvre, quelle brutale inondation. De ce poste élevé, il regardait le spectacle d’un vieil homme aveugle, arrachant son col, se roulant sur une table, mugissant et présentant tous les symptômes du délire. Le tableau de ce délire et de Dargelos, perché, stupide comme la veille lorsqu’il avait lancé la boule de neige, cloua sur le seuil le censeur qui accourait, attiré par les plaintes.

La peine de mort n’existant pas dans les écoles, on renvoya Dargelos et on transporta le proviseur à l’infirmerie. Dargelos traversa le péristyle la tête droite, la bouche gonflée, sans tendre la main à personne.

On imagine l’émotion du malade auquel son ami raconte ce scandale. Puisque Gérard ne laisse percer aucun triomphe, il n’affichera pas sa peine. Pourtant, c’est plus fort que sa force, il demande :

— Tu connais son adresse ?

— Mon vieux, non ; un type pareil ne donne jamais d’adresse.

— Pauvre Dargelos ! Voilà donc tout ce qui nous reste de lui. Amène les photos.

Gérard en cherche deux, derrière le buste. L’une représente la classe. Les élèves s’étagent par rang de taille. À gauche du maître, Paul et Dargelos se tiennent accroupis par terre. Dargelos croise les bras. Comme un joueur de football il exhibe avec orgueil ses jambes robustes, un des attributs de son règne.

L’autre épreuve le montre en costume d’Athalie. Les élèves avaient monté Athalie pour une fête de Saint-Charlemagne. Dargelos avait voulu tenir le rôle qui servait de titre à la pièce. Sous ses voiles, ses oripeaux, il paraît un jeune tigre et ressemble aux grandes tragédiennes de 1889.

Tandis que Paul et Gérard rappelaient des souvenirs, Élisabeth entra.

— On le met ? dit Paul en agitant la seconde photographie.

— On met quoi ? Où ?

— Dans le trésor ?

— Qu’est-ce qu’on met dans le trésor ?

L’enfant reprenait un visage ombrageux. Elle vénérait le trésor. Verser un nouvel objet au trésor n’était point une baliverne. Elle exigeait qu’on la consultât.

— On te consulte, reprit son frère, c’est la photo du type qui m’a lancé la boule de neige.

— Montre.

Elle inspecta longuement l’épreuve et ne répondit rien.

Paul ajouta :

— Il m’a lancé la boule de neige, il a lancé du poivre au proviseur, on l’a chassé de la boîte.

Élisabeth étudiait, songeait, marchait de long en large, se rongeait l’ongle du pouce. Enfin, elle entrouvrit le tiroir, glissa le portrait par la fente, le referma.

— Il a une sale tête, dit-elle. Girafe, ne fatiguez pas Paul (c’était le surnom amical de Gérard) ; je retourne chez maman. Je surveille les garde-malades. C’est très difficile, vous savez. Elles veulent prendre de l’initiative. Je ne peux pas les laisser seules une minute.

Et mi-sérieuse, mi-moqueuse, elle quitta la chambre en passant sa main sur ses cheveux d’un geste théâtral et en feignant de mouvoir une lourde traîne.