Télécharger l'application

Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3L'Ombre de la Guerre


Justine de Valrois

Les rayons pâles du matin s’infiltraient à travers les volets disjoints de la chambre de Justine, traçant des motifs complexes sur les murs humides. Le sommeil l’avait à peine effleurée cette nuit-là. Les mots entendus dans le couloir résonnaient encore dans son esprit, chaque intonation de la voix de son père s’imprimant sur ses pensées. « Correspondances… danger potentiel. » La tension qu’elle ressentait se mêlait à une détermination naissante, une volonté de ne pas rester passive face à l’ombre qui pesait sur leur famille.

Se redressant lentement, elle effleura la broche en émeraude accrochée à son corsage, son éclat captant un rayon de lumière. Le bijou, réminiscence d’un passé plus serein, lui semblait presque ironique dans ce contexte de doute et de suspicion.

Ses pieds nus rencontrèrent le froid du sol de pierre, la ramenant à la réalité. Les serviteurs étaient déjà à l’œuvre dans le domaine, et leurs murmures précautionneux ajoutaient à l’atmosphère tendue. En s’habillant rapidement, choisissant une robe simple et pratique pour ne pas attirer l’attention, elle attacha ses cheveux en une tresse rapide. Ses mains tremblaient légèrement, trahissant la nervosité qu’elle tentait de masquer.

Justine descendit l’escalier principal, où elle trouva Élise dans le petit salon, un livre posé sur ses genoux. Sa mère, bien que plongée dans une lecture distraite, semblait étrangement calme, une façade qui masquait probablement ses propres angoisses.

— As-tu bien dormi, ma chère ? demanda Élise sans lever les yeux, sa voix douce rompant le silence feutré.

— Aussi bien que possible, répondit Justine en hésitant, évitant de mentionner ce qu’elle avait entendu.

Elle se dirigea vers une fenêtre, écartant légèrement les rideaux. L’extérieur semblait paisible, du moins jusqu’à ce que son regard capte un mouvement au loin. Des silhouettes à cheval approchaient sur le sentier bordé de chênes, et leurs uniformes rouges brillaient faiblement dans la lumière du matin. Le cœur de Justine s’accéléra.

— Mère, des soldats britanniques arrivent, murmura-t-elle, sa voix teintée d’une alarme contenue.

Élise se leva précipitamment, son livre glissant sur le sol.

— Va chercher ton père, dit-elle d’un ton pressant, son calme apparent brusquement fissuré.

Justine acquiesça et quitta la pièce, ses pas rapides résonnant dans les couloirs vides et froids. Elle trouva Antoine dans son bureau, penché sur une carte étalée sur son bureau de bois massif, son expression concentrée.

— Père, des soldats britanniques sont ici, annonça-t-elle.

Antoine releva la tête, ses traits se durcissant instantanément.

— Très bien. Reste calme, Justine. Je vais les recevoir.

Mais Justine ne put réprimer son inquiétude.

— Père, ces visites ne sont jamais anodines. Que cherchent-ils ?

Antoine posa une main sur son épaule, un geste qui se voulait rassurant, mais dont la fermeté trahissait une tension sous-jacente.

— Ils cherchent des réponses qu’ils ne trouveront pas ici. Fais-moi confiance, dit-il, son regard ancré dans celui de sa fille.

Il quitta la pièce avant qu’elle ne puisse répondre, la laissant seule avec ses pensées désordonnées, ses craintes amplifiées par l’assurance feinte de son père.

Quelques minutes plus tard, Justine rejoignit sa mère dans le hall d’entrée. Les portes massives s’ouvrirent, et une escouade britannique fit irruption, leurs bottes claquant sur le sol de pierre. À leur tête se trouvait un homme élégant, le lieutenant Richard Graves, au regard calculateur et aux manières impeccables. Il avançait lentement, scrutant chaque détail du manoir comme un prédateur jauge sa proie.

— Lieutenant Richard Graves, annonça-t-il en s’inclinant légèrement. Une simple visite de courtoisie, bien sûr, dans l’intérêt de la sécurité de Sa Majesté.

Antoine s’avança avec une assurance polie, un sourire mesuré sur les lèvres.

— Soyez le bienvenu au Domaine de Valrois, monsieur Graves. Que puis-je faire pour vous ?

Graves fit un pas de plus, son regard s’attardant sur les fissures des murs et les meubles usés.

— Des activités suspectes ont été rapportées dans cette région, expliqua-t-il d’un ton posé, bien que sous-jacent à ses paroles résonne une menace voilée. Vous comprendrez que nous devons rester vigilants.

— Naturellement, répondit Antoine, sa voix maîtrisée. Ma famille et moi menons une existence paisible, loin des conflits.

Graves inclina légèrement la tête, son sourire narquois s’élargissant.

— La paix est une denrée rare, monsieur de Valrois. Elle mérite d’être scrutée de près.

Son regard se posa soudain sur Justine, et un silence lourd s’installa.

— Et vous, mademoiselle Valrois, quel rôle jouez-vous dans ce havre de tranquillité ?

Justine sentit le poids de son regard mais répondit avec une maîtrise impeccable, bien qu’un frisson parcourût sa colonne vertébrale.

— Mon rôle est d’assurer le bien-être de ma famille, monsieur, répondit-elle, sa voix calme mais teintée d’une pointe d’acier. Nous n’avons rien à cacher.

Un éclair d’amusement traversa les yeux de Graves.

— Très bien, dit-il en se retournant vers Antoine. Nous ne prendrons pas plus de votre temps, monsieur, mais sachez que nous restons vigilants. Bonne journée.

Les soldats quittèrent le domaine, mais leur présence laissa derrière eux une tension presque palpable. Une fois la porte refermée, Justine se tourna vers son père, la colère perçant dans son regard.

— Pourquoi étaient-ils là ? Que cherchent-ils réellement ?

Antoine fixa sa fille avec intensité, son expression fermée.

— Ce n’est pas ton affaire, Justine, répondit-il, mais le ton de sa voix manquait de la conviction qui l’habitait d’ordinaire.

— Si cela met notre famille en danger, alors c’est mon affaire !

Antoine soupira profondément, passant une main fatiguée sur son front.

— Tant que tu restes à ta place, il n’y aura pas de problème, dit-il finalement.

Mais Justine n’était pas convaincue.

Plus tard, elle erra seule dans les jardins envahis, cherchant à apaiser la tourmente qui grondait en elle. Son regard se posa de nouveau sur la porte latérale verrouillée par une chaîne rouillée. Cette fois, un craquement, léger mais distinct, attira son attention. Quelque chose – ou quelqu’un – semblait se tapir derrière ces murs interdits.

L’instinct de Justine lui soufflait que cette porte était une clé, un point d’entrée vers des vérités qu’on tentait de lui dissimuler. Elle resta immobile un instant, son esprit forgeant des hypothèses, mais elle savait qu’elle devrait attendre le bon moment pour agir.

Autour d’elle, le vent fit frémir les branches, comme si les bois eux-mêmes murmuraient des avertissements. Mais elle n’en avait cure. Une détermination nouvelle brûlait en elle : découvrir la vérité, protéger ceux qu’elle aimait, et affronter les ombres, même si cela signifiait affronter son propre père.

En rentrant au manoir, ses pas se faisaient plus assurés. Les murmures des soldats britanniques, les secrets d’Antoine, la chaîne rouillée – tout cela formait un puzzle qu’elle ne pouvait plus ignorer. Alors que le tonnerre grondait faiblement au loin, Justine savait que la tempête à venir ne serait pas uniquement météorologique.