Chapitre 1 — Le secret de Liliane
Liliane Delacroix
La nuit méditerranéenne enveloppait la villa Esperanza de son silence profond, seulement troublé par le bruissement des feuilles agitées par le vent marin et le chant intermittent des cigales. La lumière de la lune argentée baignait la façade délabrée de la maison, illuminant les volets bleu délavé et les lierres grimpants qui semblaient vouloir étouffer les dernières traces de grandeur. À travers une fenêtre entrouverte, une faible lueur vacillait, émanant de l’atelier de Liliane Delacroix, une pièce qui, bien qu’isolée depuis des décennies, vibrait encore des rémanences de sa passion créatrice.
À l’intérieur, Liliane était assise à son bureau, une main tremblante posée sur la feuille de papier devant elle. La pièce entière semblait figée dans le temps, chaque chevalet, pot de peinture séchée et toile inachevée témoignaient de l’intensité d’une vie autrefois dédiée à l’art. La verrière laissait filtrer une lumière lunaire douce, se mêlant à celle vacillante de la lampe à huile qui éclairait son visage marqué par le poids des années et des souvenirs. Ses cheveux noirs de jais, légèrement désordonnés, encadraient un visage à la fois beau et empreint de douleur. Ses yeux violets, autrefois pleins de feu et de défis, semblaient aujourd’hui absents, perdus dans une mer de regrets.
Elle prit une profonde inspiration, laissant l’odeur familière de la peinture et du bois imprégner ses sens. Devant elle, une plume d’encre noire était suspendue entre ses doigts, comme si elle hésitait à inscrire sur le papier ce que son cœur portait depuis trop longtemps. Finalement, elle se pencha en avant et commença à écrire. Les mots, d’abord hésitants, se déversèrent bientôt en un flot ininterrompu.
> « À celui qui ne lira jamais ces mots,
> Je t’écris ce soir avec une## Le secret de Liliane
Liliane Delacroix
La nuit méditerranéenne enveloppait la villa Esperanza de son silence profond, seulement troublé par le bruissement des feuilles agitées par le vent marin et le chant intermittent des cigales. La lumière de la lune argentée baignait la façade délabrée de la maison, illuminant les volets bleu délavé et les lierres grimpants qui semblaient vouloir étouffer les dernières traces de grandeur. À travers une fenêtre entrouverte, une faible lueur vacillait, émanant de l’atelier de Liliane Delacroix, une pièce qui, bien qu’isolée depuis des décennies, vibrait encore des rémanences de sa passion créatrice.
À l’intérieur, Liliane était assise à son bureau, une main tremblante posée sur la feuille de papier devant elle. La pièce entière semblait figée dans le temps, chaque chevalet, pot de peinture séchée et toile inachevée témoignaient de l’intensité d’une vie autrefois dédiée à l’art. La verrière laissait filtrer une lumière lunaire douce, se mêlant à celle vacillante de la lampe à huile qui éclairait son visage marqué par le poids des années et des souvenirs. Ses cheveux noirs de jais, légèrement désordonnés, encadraient un visage à la fois beau et empreint de douleur. Ses yeux violets, autrefois pleins de feu et de défis, semblaient aujourd’hui absents, perdus dans une mer de regrets.
Elle prit une profonde inspiration, laissant l’odeur familière de la peinture et du bois imprégner ses sens. Ce parfum était à la fois apaisant et accablant, une mémoire vivante de ce qu’elle avait été et de ce qu’elle ne serait plus. Devant elle, une plume d’encre noire était suspendue entre ses doigts, comme si elle hésitait à inscrire sur le papier ce que son cœur portait depuis trop longtemps. Finalement, elle se pencha en avant et commença à écrire. Les mots, d’abord hésitants, se déversèrent bientôt en un flot ininterrompu.
> « À celui qui ne lira jamais ces mots,
> Je t’écris ce soir avec une douleur que seules les années ont su apprivoiser, mais jamais étouffer. Toi, le sculpteur qui a façonné bien plus que des pierres, toi qui as modelé une partie de mon âme, tu as laissé derrière toi un vide que ni l’art ni le temps n’ont pu combler. Nos regards se sont croisés sous la lumière dorée d’une après-midi italienne, et ce jour-là, je suis devenue, sans le savoir, la muse d’une tragédie que je porterais jusqu’à mon dernier souffle. »
Liliane s’arrêta, fixant les mots qui paraissaient briller sur la page comme autant de cicatrices exposées à la lumière. Un souvenir précis s’imposa à elle : les ruelles ensoleillées d’une ville italienne, les éclats de rire et le frisson de ses doigts effleurant les siens pour la première fois. Elle détourna les yeux de la lettre et les posa sur une toile posée contre le mur, en partie cachée par un drap blanc. Elle savait ce qu’elle représentait : un autoportrait qu’elle avait peint durant les jours les plus sombres après leur séparation. Elle n’avait jamais eu le courage de le détruire, mais elle ne pouvait non plus le regarder sans ressentir une douleur lancinante. La peinture était son refuge et son bourreau, une mémoire vivante de ce qu’elle avait perdu.
La plume reprit son mouvement, cette fois plus rapide, comme si les mots se bousculaient pour sortir.
> « Je t’ai aimé comme on aime une œuvre parfaite, avec la crainte constante qu’elle puisse être brisée. Et elle l’a été, non pas par une main extérieure, mais par les chaînes invisibles de nos vies. Je ne t’en veux pas. Peut-être que si j’avais été plus forte, plus libre, j’aurais trouvé la force de me battre pour nous. Mais je n’étais que moi-même, Liliane, une femme avec trop d’amour et trop de peurs. »
Elle posa la plume une nouvelle fois et porta une main à son visage. Ses doigts effleurèrent ses lèvres, comme si elle pouvait encore sentir les baisers volés dans une villa toscane, à mille mondes de la Côte d’Azur. Elle ferma les yeux un instant. L’image de son amant italien s’imposa à son esprit : son sourire mélancolique, ses mains couvertes de poussière de marbre, sa voix grave l’appelant doucement dans le jardin d’une villa où le jasmin en fleurs embaumait l’air. Sa gorge se serra, et un autre souvenir, plus sombre, surgit — une porte qui se ferme, le claquement d’un adieu, et elle, seule sous un ciel chargé de nuages.
La douleur au creux de son ventre la ramena brusquement à la réalité. Non, ce n’était pas seulement un amour qu’elle avait perdu. C’était bien plus. Un secret qu’elle avait caché si profondément qu’elle-même peinait parfois à le confronter.
> « Il y a une vérité que je n’ai jamais osé te dire. Une vérité que j’ai portée seule, dans le silence de cette villa, dans les couleurs de mes toiles et dans les mots de ces journaux que je n’ai jamais montrés à personne. Cette vérité est le poids que je laisse derrière moi, pour qu’un jour, quelqu’un, peut-être, puisse comprendre. »
Elle posa la plume une dernière fois, sa main tremblante effleurant les mots comme pour s’assurer qu’ils étaient bien réels. Liliane savait que cette lettre ne serait jamais envoyée, mais elle avait besoin de l’écrire. Comme un dernier acte de confession, un cri muet dans le vide. Elle plia soigneusement la feuille et la glissa dans une enveloppe. Elle se leva, ses mouvements lents et mesurés, et se dirigea vers le bureau massif qui trônait au centre de la bibliothèque adjacente. La pièce était empreinte de l’odeur familière du cuir et du papier ancien. Elle ouvrit un compartiment secret, dissimulé sous une plaque de bois gravée d’un motif floral presque effacé par le temps, et y déposa la lettre. Ses doigts hésitèrent un instant avant de refermer le compartiment, comme si elle confiait une part de son âme à l’obscurité.
Quand elle referma le compartiment, un soupir s’échappa de ses lèvres. Elle resta immobile un moment, sa main toujours posée sur le bureau, comme si elle s’accrochait à un dernier vestige de sa volonté. Puis elle se redressa, ses yeux rencontrant son propre reflet dans la vitre sombre d’une bibliothèque. Une larme solitaire roula sur sa joue.
Avant de quitter la pièce, elle murmura d’une voix rauque, presque une prière adressée à l’écho de ses pensées :
« Si quelqu’un trouve ceci, qu’il ait le courage de comprendre. »
Liliane retourna lentement à l’atelier. Elle passa devant les toiles inachevées et s’arrêta devant son autoportrait. D’une main hésitante, elle tira le drap qui le couvrait. La peinture semblait briller sous la lumière de la lune, chaque coup de pinceau chargé d’une intensité presque insoutenable. Elle la contempla longuement, comme si elle disait adieu à une partie d’elle-même. Une ombre y était cachée, un détail qu’elle seule pouvait comprendre : un visage à peine esquissé dans le fond, presque effacé par des couches de peinture, mais toujours présent.
Finalement, elle prit une allumette dans une boîte posée près de la lampe à huile. Elle hésita, la flamme vacillant entre ses doigts. Mais au dernier moment, elle reposa l’allumette. Ce soir, elle ne pouvait pas détruire cette œuvre. Pas encore. Il y avait une étrange lueur d’espoir qui s’accrochait à son cœur brisé, une conviction que, peut-être, son histoire trouverait un jour son témoin.
Elle s’assit sur une chaise près de la verrière, regardant le ciel étoilé à travers le verre terni. Le vent marin s’insinuait doucement dans la pièce, apportant avec lui l’odeur apaisante du romarin et de la mer. Liliane ferma les yeux et laissa le silence l’envelopper, une dernière fois.